Docteurs, montrez la langue ! L'éditorial du "Monde des livres"
LE MONDE DES LIVRES |
Chers psychanalystes, il est grand temps de retourner à Freud. Voilà ce qui vient à l'esprit en lisant la correspondance du maître viennois avec sa fille Anna, que nous saluons aujourd'hui. Il s'agirait moins d'un retour aux sources conceptuelles que de retrouvailles avec le style. Car il en va de la psychanalyse comme de toutes les théories révolutionnaires : le coup d'envoi, c'est la rencontre d'une idée et d'une écriture. Et le coup de blues, maintenant, c'est aussi l'oubli de la langue par des thérapeutes qui font pourtant métier de lui prêter l'oreille. Ainsi s'expliquerait la marginalisation de la psychanalyse sur les tables des libraires : pour un livre bien écrit, combien d'autres jargonnent ? Quand on est un ami de la psychanalyse, on lui doit de dire cette vérité. Me revient en mémoire le cas d'une sommité du freudisme français, homme fort estimable au demeurant, qui se plaignait de voir ses tribunes refusées par Le Monde. Comme de bien entendu, il voulait croire à une omerta ourdie par d'occultes réseaux, conspirant jour et nuit à le bâillonner. Or, sa prose était illisible. Ce qu'il a bien fallu lui expliquer.
Oui, chers psychanalystes, cela ne tient qu'à vous, vous pouvez encore renouer avec Freud, retrouver cet homme de style auquel Patrick J. Mahony rendait hommage naguère (Freud, l'écrivain, Les Belles Lettres, 1990), comme le font à leur tour Edmundo Gomez Mango et J.-B. Pontalis dans un essai qui paraît sous le titre Freud avec les écrivains (Gallimard, "Connaissance de l'inconscient", 398 p., 21 €). Le père de la psychanalyse "utilise toutes les ressources de la langue pour incarner sa propre pensée", rappellent les auteurs, qui reviennent sur son amour pour Goethe ou Shakespeare et sur ses échanges avec Stefan Zweig, Thomas Mann ou Romain Rolland, ses contemporains. Exploration de l'inconscient et horizon du roman, vérité du désir et beauté du concept, soin des âmes et jouissance de l'écriture : le vrai retour à Freud, c'est le retour à la littérature.
Jean Birnbaum
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