Le dossier médical personnel, très mal ficelé
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C'est un constat sévère que dresse la Cour des comptes dans son rapport sur "le coût du dossier médical personnel (DMP) depuis sa mise en place", dont Le Monde a eu connaissance. Ce document, terminé en juillet, avait été demandé par la commission des finances de l'Assemblée nationale.
Conçu par la loi de 2004, le DMP a été mis à disposition des usagers en janvier2011 par le ministère de la santé, après de nombreux atermoiements. Electronique, gratuit et rempli par un professionnel de santé, il regroupe les informations médicales d'un patient: prescriptions, comptes rendus d'hospitalisation, mention d'allergies... Un outil utile pour faire des économies et renseigner les praticiens. Pourtant, il reste peu connu du public. Quelque 158 000 dossiers ont à ce jour été ouverts, un chiffre nettement insuffisant.
Défaillance de stratégie et de pilotage de la part de l'Etat, manque d'une évaluation rigoureuse de son utilité, insuffisance grave de suivi financier: les critiques sont nombreuses. La Cour des comptes estime que le DMP a coûté au moins 210 millions d'euros de 2005 à 2011. En ajoutant le coût des dossiers informatisés des patients dans les hôpitaux, ce montant est évalué à un demi-milliard d'euros fin 2011.
Les sages de la rue Cambon, qui en sont à leur troisième rapport sur le sujet, pointent "l'absence de suivi de ces dépenses par l'assurance-maladie". Ils rappellent "la multiplication d'expérimentations sans lendemain jusqu'en 2008".
Aucun ministre ne s'est jusqu'ici réellement préoccupé du sujet. Xavier Bertrand, ex-ministre de la santé, regrettait d'avoir laissé construire"une cathédrale". Marisol Touraine, qui lui a succédé, avait déclaré en janvier, que le projet actuel ne fonctionnait pas. Spécialiste des questions de santé, Gérard Bapt, député PS de la Haute-Garonne ne cesse de dénoncer les retards et gaspillages. Il rappelle que l'objectif était d'avoir ouvert 500 000 DMP fin 2011.
UN OUTIL INADAPTÉ
"La France souffre d'un déficit de gouvernance politique en santé", constate le docteur Jean-Pierre Blum, président de l'Institut Edouard-Belin (systèmes d'information de santé et de télémédecine). "Il est temps que l'Etat définisse enfin, dans une concertation étroite avec tous les acteurs, une stratégie d'ensemble pour intégrer le DMP dans une vision globale de l'organisation du dispositif de soins et des systèmes d'information en santé", insiste le rapport. Les médecins ont jusqu'ici été réticents à ouvrir des DMP pour leurs patients.
"Tel qu'il existe aujourd'hui, il n'est pas utilisé, et il n'apparaît pas utile dans notre pratique professionnelle au quotidien", explique le docteur Claude Leicher, président du syndicat de médecins généralistes MG France. Par exemple, le patient peut masquer certaines données, ce qui introduit des lacunes. Le médecin aura alors besoin d'un autre dossier, complet. "Le DMP ne fonctionne pas tel quel, il faut remettre les choses à plat, écouter les acteurs de terrain, tirer les enseignements des systèmes régionaux qui fonctionnent, comme en Rhône-Alpes, avec le dossier informatisé du patient", estime Gérard Bapt.
"Je me demande à quoi sert le DMP et à qui il est destiné. Il doit être utile aux médecins, simple et rapide d'utilisation, ce qui ne semble pas le cas aujourd'hui", questionne Jean-Pierre Blum. Le décret définissant le champ et le contenu du DMP n'est toujours pas paru. Or, certaines catégories de patients, comme ceux relevant des affections longue durée ou de maladies chroniques, auraient pu être invitées prioritairement à ouvrir un DMP. Les professionnels de santé sont nombreux à penser qu'un tel outil est indispensable, au regard de l'augmentation de ces maladies et du manque de médecins dans certaines régions.
Autre faiblesse relevée par le rapport : plusieurs hôpitaux ont ouvert leurs dossiers informatisés pour les patients, mais les systèmes ne peuvent pas communiquer entre eux. Quant à la sécurité des données de santé, le fait de les centraliser auprès d'un hébergeur unique n'est pas sans risques, selon plusieurs experts.
"Je souhaiterais que ce rapport soit rendu public. Il est nécessaire de donner du sens au projet", indique Jean-Yves Robin, directeur général de l'Agence des systèmes d'information partagés de santé (ASIP Santé). En clair, le DMP doit bénéficier d'une réelle impulsion politique, ce qui n'a jamais été le cas.
M. Bapt a demandé à la ministre de la santé de lancer une inspection conjointe de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales, qui avait déjà fait un audit sévère en 2007.
Pascale Santi
Des primes pour les organismes de FMC qui boostent le DMP
L’Agence des systèmes d’information partagés de santé (ASIP-Santé) veut accélérer le déploiement du dossier médical personnel (DMP). Elle a publié le 1er août un appel à projetinvitant les organismes de formation à proposer au plus grand nombre de médecins libéraux des formations relatives au DMP. « L’objectif est de disposer, dès la fin 2012, d’un socle solide d’offres de parcours de formation sur les thèmes du DMP et de la coordination des soins, susceptibles de constituer une offre de développement professionnel continu (DPC) dès 2013 », explique l’ASIP.
Les organismes ont jusqu’au 5 septembre pour répondre à l’appel d’offres de l’agence. Pour être éligibles, ils doivent avoir été agréés par l’Organisme gestionnaire conventionnel (ancien OGC, nouvellement OGDPC) et être en capacité de dispenser des formations sur l’ensemble du territoire. Les organismes doivent attester de plus de 1 500 journées de formation en 2010 et proposer un parcours de DPC intégrant une évaluation et un suivi post-formation.
+15 % pour les associations efficaces.
L’ASIP indique qu’elle participera financièrement à la mise en place des actions et à la formation des animateurs-formateurs. Mais le montant de ce soutien financier n’a pu être précisé.
Par ailleurs, et c’est une nouveauté avec cet appel d’offres, une « prime qualité », d’un montant de 15 % du budget alloué sera accordé par l’ASIP aux organismes « dès lors que les médecins formés ont créé et alimenté à hauteur de 100 DMP en moyenne par médecin (dans les trois mois), attestant de l’efficience de la formation délivrée », précise l’Agence dans le cahier des charges mis en ligne sur son site. Ainsi, pour 200 praticiens formés par un même organisme, l’atteinte d’un objectif global de 20 000 DMP créés et alimentés déclenchera le versement de la prime qualité.
Il est impossible aujourd’hui de connaître le nombre de structures susceptibles de répondre à cet appel d’offres. Contacté par « Le Quotidien », le Dr Philippe Bonet, président de l’Union nationale des associations de formation et d’évaluation continues (UNAFORMEC) regrette le très court délai laissé au milieu associatif pour candidater.« Nous avons organisé un sondage rapide par voie électronique pour connaître l’avis de notre réseau et ses besoins de formation, explique le Dr Bonet. A titre personnel, cette idée de prime qualité me semble être dans l’air du temps. En terme de stratégie, je trouve cela astucieux. Le nombre de dossiers ouverts est un indicateur très concret qui permet d’évaluer l’implication active des participants. »
Stratégie astucieuse ou course à l’échalote ?
Cette initiative n’est en revanche pas du goût de Gérard Bapt qui redoute que l’ASIP se lance dans une « course à l’échalote » dans le but d’augmenter à tout prix le nombre de DMP ouverts. Le député socialiste de Haute-Garonne s’interroge sur la nouvelle mission que s’arroge selon lui l’ASIP en « contrôlant l’activité des médecins ». « Il est urgent que l’autorité politique reprenne le pilotage des questions concernant l’information des données de santé des Français, et qu’un projet cohérent soit refondé sur la base des droits du patient, des besoins des professionnels de santé et de l’efficience de l’investissement public », conclut Gérard Bapt.
Á l’OGDPC, on met en garde : « L’ASIP peut lancer un appel d’offres pour faire des formations sur le DMP mais rien ne permet de dire que ces actions vaudront DPC. Le DMP n’est pas à ce jour une orientation nationale de développement professionnel continu et nous ne connaissons pas les critères qui permettront de définir une action de DPC ni les méthodes qui seront validées par la Haute autorité de santé (HAS). »
Le DMP a déjà fait l’objet de formations conventionnelles en 2007-2008 mais sans grand succès. Moins d’un millier de médecins avaient alors participé à ces séminaires de formation.
› CHRISTOPHE GATTUSO
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