e premier test de diagnostic de l'autisme va être lancé » : pour Bertrand Jordan, c'est ce titre d'un article paru dans Le Monde, en 2005, qui a tout déclenché. Généticien, il sait qu'il n'existe aucun marqueur biologique fiable de l'autisme, et cette annonce, émanant de la société française de biotechnologies IntegraGen, lui semble pour le moins prématurée. Et de fait : elle donnera lieu au fil des ans à diverses péripéties scientifiques, médiatiques et judiciaires - sans que le moindre test génétique soit pour autant commercialisé.
Entre science et business, ce sont les méandres de cette aventure que l'auteur, directeur de recherches émérite au CNRS, a choisi de mettre en scène, en alternance avec des chapitres faisant le point sur ce qu'on sait aujourd'hui de l'autisme et de sa prise en charge. Le résultat illustre avec brio les espoirs et les déconvenues de la « médecine génomique » : une discipline dont l'objet est de trouver le (ou les) gène(s) impliqué(s) dans telle ou telle maladie qui, dans le cas de l'autisme comme de tant d'autres, se heurte au mur de la complexité.
Non pas qu'il n'y ait aucun gène impliqué dans l'autisme. Bien au contraire : il y en a trop ! La part de l'hérédité étant depuis longtemps confirmée par la concordance très élevée de la maladie observée dans les couples de vrais jumeaux (de 60 % à 90 %), de multiples équipes ont tenté d'identifier les marqueurs moléculaires qui lui étaient associés. Les outils toujours plus pointus d'exploration du génome humain ont distingué une pléthore de « gènes candidats » susceptibles de jouer un rôle dans cette affection et donné lieu à plus de mille publications entre 2005 et 2011 - trois dans la seule revue Nature cette semaine ! Tous ces travaux, résume Bertrand Jordan, « montrent surtout la complexité des corrélats génétiques de l'autisme ». « Le » gène de l'autisme, et même les gènes « majeurs », dont la version défectueuse aurait un effet significatif sur l'incidence de la maladie, restent introuvables. Et pour cause : ils n'existent pas.
Avancée médicale illusoire
Pourquoi alors continuer dans cette voie de recherche ? Parce que mieux connaître les gènes impliqués, même s'ils sont multiples, éclairera l'étiologie de cette affection neurobiologique. Parce que ces connaissances pourraient, à terme, aider à concevoir des médicaments spécifiques. Et parce que l'autisme est un marché.
Sans marqueurs biologiques, le diagnostic de l'autisme ne peut être posé de façon certaine avant l'âge de trois ans. Or tout indique que la prise en charge est d'autant plus efficace qu'elle est menée précocement. D'où l'espoir que suscite, chez les parents comme chez les neuropédiatres, la mise au point d'un test génétique. Et d'où la tentation, pour les entreprises de biotechnologies, de travailler à sa commercialisation. Même si elles savent que ses performances resteront limitées.
Problème : faut-il mettre un tel test sur le marché ? En prenant l'exemple de la société IntegraGen - la plus avancée dans ce domaine -, dont il a longuement rencontré les responsables scientifiques et commerciaux, Bertrand Jordan montre comment la logique d'une petite start-up en biotech, alliée à la demande des parents et des médecins, peut déboucher sur une avancée médicale illusoire, ou du moins relative. Comment, s'interroge-t-il, « faire comprendre que le test proposé n'apporte qu'une petite contribution à l'identification d'enfants un peu plus vulnérables que d'autres ? » Comment évaluer les effets négatifs qu'entraînera l'annonce de ce risque légèrement plus élevé que la moyenne sur les parents, et donc sur leurs enfants ? La génétique ne peut pas tout. C'est un des mérites de ce livre, écrit par un homme de l'art, que de le rappeler.
Catherine Vincent
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