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jeudi 8 mars 2012

 

Lucian Freud, tous des monstres, sauf maman

Critique | LEMONDE | 07.03.12
L'un des modèles de Lucian Freud, Sue Tilley, devant son portrait intitulé "Benefits Supervisor Sleeping" dans le cadre de l'exposition organisée par la National Portrait Gallery à Londres, le 8 février 2012.
L'un des modèles de Lucian Freud, Sue Tilley, devant son portrait intitulé "Benefits Supervisor Sleeping" dans le cadre de l'exposition organisée par la National Portrait Gallery à Londres, le 8 février 2012.AFP/CARL COURT
Des visages, des figures, il y en a donc des dizaines, des années 1940 jusqu'à 2010 : la plupart comme des volcans. Si, à trop en voir, on se lasse de ces peaux dont s'emparent des forces telluriques, il faut reconnaître à nombre d'entre elles une énergie indéniable, aussi sûre d'elle-même qu'éprouvante. Du moins jusqu'à ce que Freud décide de brûler derrière lui ce qui lui apparaissait comme les dernières terres vierges de la peinture : les trente dernières années ne s'avèrent supportables qu'aux yeux des inconditionnels.
Quant aux dix premières, qui ouvrent l'exposition, elles étonnent tant elles tranchent avec ce qui va suivreFille au chaton ou Homme à la plume, les épidermes sont lisses, le rendu très précis et presque naïf, au cheveu près. On s'attache aux regards qui déjà se perdent dans le vague, à cette rose trop bien peinte dans une main. Mais le pinceau perd peu à peu sa naïveté. Advient uneFille au béret, en 1951 : alors la peau se constelle d'ombres et de rosées. On devine la suite. Vers 1958, ça y est : les visages se tordent de douleur sous la cruauté du pinceau. Une farandole de faces hurlantes, qui parfois bouleversent par la justesse de leur cri, souvent hérissent le poil.
Dans la première catégorie, le portrait de l'artiste John Minton (1952) : son long visage se fond dans les teintes de gris alentour qui s'emparent peu à peu de sa peau, comme la promesse d'un linceul. L'intensité est ici partagée. Idem pour laFemme enceinte de 1960 : son corps endormi se fait canyons, gouffres, il prend les irisations sourdes de la terre, il s'impose, bien que le visage se détourne de nous, et le matelas noir semble incapable d'engloutir toute cette richesse.
Dans la deuxième catégorie, celle des insupportables, on pourrait mettre le bébé placé juste à côté de la dernière toile citée, un soleil couchant en guise de tronche ; mais aussi le Portrait de John Deakin, photographe, et alcoolique : la vaste ecchymose de son visage ne le dit que trop. Ou encore l'enfant du Grand Intérieur, Paddington : celui de l'artiste, Ib Boyt, petite fille dont il dessine ici un masque mortuaire. Seule la plante qui envahit le tableau respire et mérite la lumière. Elle seule semble promise à un avenir. La gamine, 5 ans peut-être, ne sera jamais qu'un foetus.
Le maniérisme gagne
Si cette très riche exposition dévoile des oeuvres détonantes et très peu montrées, elle prouve aussi avec éclat qu'à partir des années 1980, le maniérisme gagne peu à peu. Les corps s'affaissent, l'obésité obsède, les poses se font toujours plus instables, et ridicules : on nous le vend comme une obsession de la chair. Mais la plus triste, hélas.
Deux motifs sauvent de l'effondrement : celui de l'autoportrait et celui de la mère. Dès ses débuts, Freud s'est dépeint lui aussi comme un monstre, mais garde cette morgue, cette arrogance rare que permet notamment la contre-plongée. Dans une autre toile, il se dépeint comme un faune. C'est finalement sa mère qui s'en tire le mieux : prise dans des nimbes de tendresse, elle apparaît à peine flétrie malgré l'âge et la solitude. Enfin, il la respecte. Et si Lucian Freud, lui non plus, n'avait pas échappé au complexe d'Œdipe ?

"Lucian Freud, Portraits", National Portrait Gallery, St Martin's Place, Londres. Tél. : + 44 248 50 33. Tous les jours de 10 à 18 heures, jusqu'à 21 heures les jeudis et vendredis. De 14 € à 17 €. Jusqu'au 27 mai.
Sur le Web : www.npg.org.uk.
Emmanuelle Lequeux

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