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jeudi 8 mars 2012

GRAZIA
Direction de la rédaction
8, rue François Ory
92543 Montrouge Cedex

Madame, Monsieur,

J’ai été choquée à la lecture de votre dossier intitulé « Autisme, une honte à la française » dans le numéro 129 de la revue Grazia (semaine du 2 au 8 mars), rédigé par Madame Lumet, ainsi que par son édito intitulé « Merci Freud ! », attaquant l’approche psychanalytique et institutionnelle dans la prise en charge des autistes en France.

En tant que psychologue travaillant dans un service de psychiatrie, je tiens à vous dire qu’au sein d’une équipe nombreuse et pluridisciplinaire, nous exerçons notre métier avec passion, empathie et engagement pour nos patients. Nous travaillons quotidiennement à l’écoute, l’aide et l’accompagnement des personnes que nous accueillions, ainsi que de leurs proches, et cela dans tous les aspects de leur vie quotidienne, qu’ils soient familiaux, affectifs, sociaux, médicaux ou professionnels.

Après que 40 000 malades mentaux soient morts de faim dans les institutions pendant la guerre, que les premiers asiles aient tristement évolués vers un fonctionnement quasi carcéral où les handicapés mentaux étaient traités comme des délinquants, c’est avec l’arrivée de la psychanalyse freudienne et de la psychothérapie institutionnelle que les personnes atteintes de troubles et handicaps mentaux ont enfin été reconnus comme pouvant être écoutés, soignés, intégrés dans la ville et dans la vie professionnelle comme tout autre être humain.

À la suite de la seconde guerre mondiale, pendant plus de trente ans, l’hôpital public s’est battu pour développer ces approches et mettre en place la sectorisation des soins psychiatriques, cela dans le but de rendre les soins accessibles à tous, sans conditions. Pour permettre que la recherche autour de la maladie mentale se poursuive et participe à faire évoluer en permanence la qualité de ces soins. Des structures se sont développées en ville, afin que l’hôpital ne soit plus un lieu de vie et d’enfermement, et que les patients puissent être soignés à l’extérieur, pour certains même à leur domicile.

Tout cela a été l’œuvre certes de personnes formées à la psychanalyse, mais ayant surtout inventé ce que nous appelons aujourd’hui la « clinique du sujet », c’est-à-dire une approche qui considère que chaque personne est unique, et que chaque prise en charge doit être adaptée à ses besoins, à ses désirs, à ses capacités. Que chacun doit se sentir acteur de son projet de vie, quelles que soient ses difficultés.

Dans le service au sein duquel je travaille, sur une équipe d’une centaine de personnes, seulement quelques-unes sont des psychanalystes. Pourtant, nous sommes quasiment tous formés et sensibles à une approche analytique dans l’institution, approche dont nous savons que nous ne pouvons faire l’impasse, car nous permettant le recul nécessaire pour comprendre et appréhender les situations complexes et difficultés que le travail quotidien auprès de nos patients nous impose. Ce travail n’a rien à voir avec les « cabinets » auxquels vous faites référence dans cet article, et dont nous savons qu’on y a trouvé depuis toujours les pires dérives – comme dans toutes les disciplines libérales.

Vous considérez l’approche française « vieillotte ». Sachez que nous recevons régulièrement dans notre service des stagiaires du monde entier, venus observer et découvrir ce qui fait la spécificité de la psychiatrie française, à savoir la sectorisation et la pratique institutionnelle pluridisciplinaire. Cette organisation des soins n’existe - effectivement - nulle part ailleurs et a permis, contrairement à d’autres pays où les malades mentaux se sont retrouvés littéralement abandonnés à eux-mêmes, de maintenir depuis l’après-guerre la réelle qualité du travail d’assistance publique. Ce qui est « vieillot » aujourd’hui est de considérer qu’une approche est la seule valable, et qu’elle doit annuler toutes les autres, en les « condamnant », sans distinction ni nuances, sans que ces attaques soient étayées sur une réelle étude et observation des réalités du terrain. Aujourd’hui, la plupart des praticiens hospitaliers sont pour la combinaison des approches, et savent qu’il n’y a aucune raison d’interdire l’une pour le profit d’une autre, mais qu’elles peuvent au contraire se compléter, toujours pour proposer aux patients le meilleur panel d’étayages possible.

Alors oui, les « lobby » de « psykks » auxquels vous faites référence dans votre article sont fortement mobilisés face à ces attaques. Et ils le resteront certainement tant que leur travail auprès des personnes en difficulté sera considéré par ceux qui ne le connaissent pas comme une « honte ». Il me semble que les médias destinés au grand public comme le vôtre, ont un rôle à jouer dans ces questions, en effectuant de réelles enquêtes de terrain, sans imposer aux lecteurs une opinion toute faite, sur une maladie et une situation sociétale que même les spécialistes du sujet jugent extrêmement complexe.

Suite à votre article, je ne doute pas que vous jugerez pertinent de m’accorder ce droit de réponse.

Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes sentiments respectueux.

Clémence Renonciat




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