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samedi 10 décembre 2011


mediumArt brut : L'instinct créateurde Laurent Danchin 
L'art brut préféré aux arts culturels

Dès le XIXème siècle, "l'Art des fous" a été étudié par la psychiatrie naissante: les aliénistes s'intéressent aux activités plastiques des enfermés; enfermés dans les asiles d'aliénés et enfermés dans leur monde intérieur. Paul-Max Simon, ami de Flaubert et psychiatre étudie "d'un point de vue descriptif et scientifique les productions des malades" et distingue le cas de la création spontanée qui diffère de celle de malades qui ont manifesté des aptitudes artistiques antérieures à leur internement. En 1907 paraît " L'Art chez les fous" du critique Marcel Réja qui reprend la distinction entre artistes devenus fous et fous devenus artistes. C'est dans cette catégorie qu'il observe trois niveaux: "les oeuvres à caractère enfantin, celles purement ornementales et enfin celles qui recourent aux symboles et expriment quelque chose".

Ainsi se dessinent "les conditions de la genèse de l'activité artistique", ce pur instinct créateur qui exprime un univers en dehors de toute tradition -là où le peintre "normal" reprend la tradition pour la dépasser- , geste primal, primitif, qui jaillit d'un corps que la maladie mentale a coupé de tout repère civilisationnel, un corps délivré des apprentissages, des dressages, bref de toute "culture". Le geste de l'aliéné créateur est un signe naturel qui se prolonge dans l'objet créé, peinture, sculpture, écrit et confère à celui-ci son sens propre, et partant suscite l'émotion, fondement et condition de toute intersubjectivité.
Pas étonnant dès lors que tous les expressionnistes "à un moment ou à un autre, se passionneront pour l'Art des fous", que cet "art total" ai été le rêve de toute l'avant-garde.

Hans Prinzhorn, historien de l'art, psychiatre à Berlin en 1922 essaie de "comprendre à la source les mécanismes universels de la création". Il distingue "six pulsions fondamentales à la base de ces mécanismes: un besoin d'expression relevant de l'élan vital, puis diversement combinés, une pulsion d'ordre, une tendance à reproduire, une pulsion de parure, une pulsion de jeu et enfin un besoin de s'exprimer par des symboles".

Mais le promoteur de cet art brut est Jean Dubuffet pour qui "il n'y a pas plus d'art des fous que d'art des dyspeptiques ou des malades du genou". C'est lui qui utilisera pour la première fois le terme d'art brut pour désigner "cette forme d'art obscure, inconsciente d'elle-même". Dubuffet qui oppose à l'intellectuel "en perte de voyance" l' "imbécillité extralucide" de l'idiot inspiré.

Il ne s'agit pas ici de résumer le livre qui est lui même une simple approche de l'art brut et de son prolongement l'art singulier (il ne se compose que de 159 pages abondamment illustrées -ce qui permet, malgré son format "poche" de voyager parmi ces créations singulières, hors normes- ).
L'art brut a donc trouvé son prolongement dans l'art singulier, sa variante vulgarisée. Nous quittons l'univers des fous pour celui de la marginalité, celui de l'expression en marge de l'art officiel, de l'art des galeries, des collectionneurs et des investisseurs. L' art singulier, bien qu'il témoigne de ce que le déconditionnement n'est jamais total -réflexion que Dubuffet avait déjà faite au sujet de l'art brut- est lui une forme de protestation assumée contre la "déconstruction générale des cultures et traditions". Il prend en charge l'exigence qu'a l'être humain, -pris dans le mouvement général de prolétarisation, de perte des savoirs-faire liée à la mécanisation des activités humaines, de détournement des pulsions vers la consommation-, de manifester son existence.

De la perception singulière de l'artiste à la réception de ses oeuvres, l'Art demeure un accès direct, partageable, à l'être du monde, si éloigné de nos constructions mentales qui nous asservissent à un réel créé chaque jour sous nos yeux. Heureusement disait Nietzsche que nous avons l'Art pour ne pas mourir de la vérité.

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