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dimanche 27 novembre 2011


Prévention de la récidive : la piste canadienne

ENQUETEFondée sur des statistiques, une méthode québécoise pour évaluer la dangerosité des criminels séduit le PS comme l’UMP. Un débat relancé par l’assassinat d’Agnès Marin, dont les obsèques ont lieu ce samedi.


Par SONYA FAURE

Après l’émotion suscitée par l’assassinat et le viol d’Agnès, 13 ans, par un lycéen de 17 ans la semaine dernière au Chambon-sur-Lignon, il a bien fallu afficher des solutions - si possible nouvelles - pour lutter contre la récidive. Du gouvernement à l’équipe de campagne de François Hollande, une méthode semble faire l’unanimité : l’évaluation de la dangerosité «à la canadienne». «Nous n’avons pas en France, contrairement au Canada, le dispositif qui permet d’éviter la récidive», regrettait dès lundi le socialiste Manuel Valls. Peut-être amicalement influencé par le criminologue Alain Bauer, un de ses intimes, qui est également conseiller de Nicolas Sarkozy. Au même moment, Jean-Paul Garraud, député de la Droite populaire (la droite de l’UMP), réclamait la création «d’une école nationale de psycho-criminologie», et le gouvernement annonçait la généralisation des diagnostics à visée criminologique (lire ci-dessous),inspirés de… l’expérience canadienne. Que se cache-t-il derrière cette poussée d’exotisme criminologique ?
École primaire. Ces programmes de lutte contre la récidive, développés au Québec avant d’être exportés en Belgique ou dans les pays de l’Est, s’appuient sur les échelles actuarielles, des QCM standardisés. L’outil «Statique 99», l’un des plus utilisés, note si la personne a des antécédents mais aussi si elle a vécu en couple plus de deux ans. Le questionnaire «Sorag» demande si le condamné a eu une «vie familiale intacte» jusqu’à ses 16 ans, s’il a eu des problèmes de conduite à l’école primaire ou des«intérêts sexuels déviants». Suivant le nombre de cases cochées, les criminologues établissent un «score» de récidive, en pourcentage. Dans plusieurs Etats d’Amérique du Nord, cette mathématique a pris une place décisive dans les procédures d’octroi de libération conditionnelle et attribue à chaque profil une thérapie, fondée sur une approche comportementale et cognitive.
Spécialiste des questions de sécurité au PS et porte-parole de Hollande, Delphine Batho est partie deux fois au Québec pour observation. «Je refuse le discours du renoncement : il faut tout mettre en œuvre contre la récidive, explique la députée des Deux-Sèvres. L’évaluation des délinquants ne doit pas relever de la seule psychiatrie.» Batho vante un projet mené à la prison de Fresnes (Val-de-Marne) : des groupes de parole intensifs pour agresseurs sexuels. «Nous tentons notamment de renforcer leur capacité à contrôler leurs pulsions, explique Florent Gathérias, psychologue clinicien. Si un pédophile a aussi de l’appétence sexuelle pour les femmes, nous essayons de développer celle-ci.» L’évaluation actuarielle y est utilisée pour «affiner les leviers sur lesquels travailler». Ainsi dans l’un des groupes de parole, la moyenne des scores des participants correspond à 27% de risque de récidive d’agression sexuelle dans les cinq ans - huit atteignent le risque de 39%.«Adaptés à notre pays, ces instruments pourraient être utilisés dans le cadre de la surveillance de sûreté» qui permet depuis 2008 de surveiller un détenu ayant purgé sa peine mais tenu comme dangereux, estime Florent Gathérias.
«retard français». «Ces outils systématiques paraissent rassurants : après un fait divers, on a besoin d’annoncer des pseudo-nouveautés, c’est compréhensible, décrypte Sophie Baron Laforet, psychiatre des hôpitaux et secrétaire générale de l’Association française de criminologie. Pourquoi pas introduire de l’actuariel dans nos méthodes ? Mais le problème n’est pas là… Ce qui manque en France, c’est la volonté et les fonds pour mener des recherches : depuis cinq ans, je tente de mettre sur pied l’étude d’une cohorte de jeunes mineurs délinquants…»
De son côté, la criminologue Martine Herzog-Evans, vive partisane des programmes canadiens, explique à ses étudiants du master pénal de la fac de Reims que le «retard français» est lié à la «domination de l’école freudienne» et à «l’importance du marxisme dans la psyché collective [qui] ont donné une lecture économique et sociale de la délinquance». Chez les partisans de ces méthodes anglo-saxonnes - jusqu’à présent plutôt entendus par la droite -, on se félicite de l’évolution des socialistes : «La gauche, avec des gens comme Dray, Batho, Vallini… a évolué. Elle a compris qu’il fallait ajouter l’efficacité à l’individualisation des suivis», dit un expert judiciaire.«Tant mieux si la gauche sort de sa culture de l’excuse», ajoute un autre, proche de la droite.
Mais l’introduction des programmes canadiens marquerait une rupture dont certains spécialistes s’inquiètent. «Avec ces tentatives de prédiction, on ne juge plus les faits d’un homme, mais sa personnalité, fait valoir Philippe Conte, professeur de droit et directeur de l’Institut criminologique de Paris.En substituant l’étude probabiliste à l’examen clinique d’une personne, ces discours rejoignent l’hostilité grandissante à l’encontre de la psychiatrie. Ils discréditent les sciences humaines, qui ne seraient pas de vraies sciences.»
Avec son apparence de mathématique bien huilée, la méthode canadienne est présentée comme pragmatique, fiable. «Ces tests permettent de faire ressortir de façon objective des traits de personnalité, hors des positionnements personnels ou idéologiques qui entrent en compte dans un entretien individuel», défend Jean-Pierre Bouchard, qui participait, la semaine dernière, à un atelier de la convention justice de l’UMP et enchaîne les télés depuis la mort d’Agnès.
Outil biaisé. Au Canada aussi, dans les années 70, l’actuariel devait permettre des décisions de libérations conditionnelles transparentes et équitables. Mais de récentes études, comme celles de Bernard Harcourt («Against prédiction», pas encore traduite) montrent que ces méthodes engendrent un cercle vicieux : une partie des questionnaires repose sur le dossier judiciaire du condamné (a-t-il déjà été arrêté par la police ? incarcéré ?). Or, les Noirs américains ont plus de risques de se faire contrôler, d’être arrêtés et mis en détention… Derrière l’objectivité apparente des chiffres, l’outil est biaisé, racialisé.
De plus, des chercheuses de l’université de Montréal ont montré que, parmi les détenus considérés comme porteurs de risques élevés de récidive - à qui on refusait donc leur conditionnelle -, beaucoup se réinséraient finalement parfaitement à la fin de leur peine. A mesure que l’actuariel montait en puissance au Canada, le nombre de libérations conditionnelles chutait. Un plus grand nombre de détenus reste donc plus longtemps enfermé. De quoi rendre réaliste la triste boutade de Philippe Conte : «Pour être sûr d’éviter toute récidive, il faudrait enfermer à vie les délinquants.» En Californie comme en Virginie, les méthodes actuarielles sont déjà remises en cause.

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