Garçons et filles ont des têtes aussi bien faites
03.09.11
Démontant les clichés et les stéréotypes, la neuroscientifique Lise Eliot, maître de conférences en neurosciences à l'université Rosalind-Franklin de Chicago (Illinois), publie, le 5 septembre, un livre captivant qui fait le point sur les travaux les plus récents sur la différence des sexes, Cerveau rose, cerveau bleu : les neurones ont-ils un sexe ? (Robert Laffont, 507 p., 22 €). On ne trouve pas de révélations tonitruantes dans cette enquête, mais un constat tout en nuances.
Le débat, virulent aux Etats-Unis, a des répercussions importantes sur l'éducation. Pour certains spécialistes américains, comme le psychothérapeute Michael Gurian, auteur de Nos garçons : mieux les comprendre, mieux les élever (Albin Michel, 298 p., 18 €), la théorie de la primauté de l'acquis sur l'inné a fait long feu. "Si vous avez un garçon "normal" - c'est-à-dire pourvu des chromosomes XY et d'un corps et d'un cerveau masculins ayant reçu la testostérone nécessaire -, il est dominé par l'hormone qui l'a fait ce qu'il est", écrit-il.
Aux Etats-Unis, le retour en grâce des écoles non mixtes tient au fait que des scientifiques comme Leonard Sax, psychologue et médecin, considèrent qu'il faut tirer au maximum parti des différences d'apprentissage entre filles et garçons plutôt que de les ignorer.
En réalité, considère Lise Eliot, les différences à la naissance ne sont pas quantitativement très importantes, et, dans de nombreux cas, plus modestes que celles qui existent entre hommes et femmes adultes. "Certes, il existe des études qui révèlent de subtiles différences entre les sexes, chez les enfants, dans le traitement des informations sensorielles, dans les circuits du langage et de la mémoire, dans le développement des lobes frontaux et dans la vitesse et la réactivité générale des neurones, écrit-elle. Dans l'ensemble, quoi qu'il en soit, les cerveaux des garçons et des filles sont remarquablement similaires."
L'apprentissage et la pratique modèlent en fait l'architecture neuronale, de telle sorte qu'arrivés à l'âge adulte, les cerveaux des deux sexes finissent par fonctionner différemment. Notre cerveau se transforme du fait des apprentissages, des émotions : c'est ce qu'on appelle la plasticité cérébrale. "Son câblage à l'âge adulte est fonction, dans une large mesure, des expériences qu'il connaît de la période prénatale jusqu'à l'adolescence", poursuit la scientifique.
Mais quelles sont ces petites différences entre filles et garçons que nous amplifions par l'éducation sexuée et que nous transmettons plus ou moins consciemment à nos enfants ? "Les différences véritablement innées - celles des capacités verbales, des niveaux d'activité, de l'inhibition, de l'agressivité et, peut-être, de la sociabilité - sont petites, toutes petites : de simples tendances qui influencent un peu le comportement des enfants, mais ne déterminent rien du tout par elles-mêmes, explique la neuroscientifique. Ce qui compte surtout, c'est la façon dont les enfants passent leur temps, c'est le regard que l'on porte sur eux, et les conséquences de toutes leurs interactions avec leur entourage sur les circuits neuronaux."
Prenons l'exemple du langage. Les filles parlent un peu plus tôt que les garçons. La petite fille de 9 mois comprend environ cinquante mots, alors que le petit garçon possède le même volume de vocabulaire à 10 mois. La plupart des bébés prononcent leurs premiers mots autour de leur premier anniversaire, mais la petite fille a tendance à les prononcer un mois plus tôt. A 2 ans et demi, les filles conservent cette avance. Cette différence se maintient durant toute la période préscolaire.
Mais, si ces variations sont réelles, elles sont pour le moins ténues. "La supériorité des aptitudes verbales chez les jeunes enfants, même si elle est bien réelle, n'a aucune base neurologique claire, explique Lise Eliot. Il est très probable que les garçons démarrent avec des circuits cérébraux légèrement moins mûrs que ceux des filles au moment où ils apprennent à parler, puis que l'écart se creuse petit à petit parce que les deux sexes ne vivent pas les mêmes expériences."
Pour éviter ce fossé, la neuroscientifique conseille aux parents de garçons en âge préscolaire de renforcer leur maîtrise du langage en leur lisant des albums à haute voix, des comptines, en les faisant parler, en identifiant les sons. Ces conseils valent aussi pour les filles.
Plus ennuyeux, les garçons tiennent moins facilement en place. Ils seraient plus lents à acquérir la maîtrise de soi. "Une importante étude a montré que l'avantage des filles dans le domaine du contrôle inhibiteur constitue la plus importante de toutes les différences comportementales entre les sexes chez les enfants de 3 à 13 ans, note la scientifique. Et c'est ce retard, bien plus que les autres différences cognitives existant entre les sexes, qui fait qu'ils ont plus de difficultés que les filles à s'adapter à l'école."
Les neuroscientifiques supposent en général que l'agitation plus grande des garçons est due à une maturation plus lente des lobes frontaux qui assurent le contrôle inhibiteur, "mais curieusement, les recherches ne confirment pas du tout cette hypothèse", poursuit Lise Eliot. La testostérone prénatale pourrait jouer un rôle dans le fait que les garçons soient plus actifs, voire plus agressifs.
Opposée aux écoles non mixtes, Lise Eliot préconise d'adapter davantage les classes aux garçons. Ils ont besoin d'avoir la possibilité de se mouvoir à travers la classe et de fréquentes coupures pour se dépenser. Par ailleurs, la maîtrise de soi peut être stimulée par des jeux comme "Jacques a dit" ou "1, 2, 3, soleil". Il faut davantage d'expérimentations et de manipulations en plus des enseignements théoriques, s'exercer à l'écriture sans risquer un blâme. Par ailleurs, estime-t-elle, il faut davantage de maîtres.
Quant aux filles, elles ont besoin d'activités pour exercer leurs aptitudes spatiales : jouer à des jeux "de garçons" (construction, logiciels de jeu, ballon, etc.) et, entre autres, qu'on leur montre l'importance des sciences et des maths dans les carrières les plus rémunératrices.
Martine Laronche
Pourquoi les filles seraient-elles plus douées pour apprendre à lire et à écrire, tandis que les garçons auraient la bosse des maths et s'orienteraient plus facilement ? Y a-t-il une fatalité à ce que les femmes expriment davantage leurs émotions, soient plus empathiques et prennent moins de risques, alors que les hommes seraient plus ambitieux, plus agressifs, et plus doués pour lire une carte routière ? Hommes et femmes se comportent donc différemment. Mais quelle est la part de l'inné et de l'acquis ?
Démontant les clichés et les stéréotypes, la neuroscientifique Lise Eliot, maître de conférences en neurosciences à l'université Rosalind-Franklin de Chicago (Illinois), publie, le 5 septembre, un livre captivant qui fait le point sur les travaux les plus récents sur la différence des sexes, Cerveau rose, cerveau bleu : les neurones ont-ils un sexe ? (Robert Laffont, 507 p., 22 €). On ne trouve pas de révélations tonitruantes dans cette enquête, mais un constat tout en nuances.
Le débat, virulent aux Etats-Unis, a des répercussions importantes sur l'éducation. Pour certains spécialistes américains, comme le psychothérapeute Michael Gurian, auteur de Nos garçons : mieux les comprendre, mieux les élever (Albin Michel, 298 p., 18 €), la théorie de la primauté de l'acquis sur l'inné a fait long feu. "Si vous avez un garçon "normal" - c'est-à-dire pourvu des chromosomes XY et d'un corps et d'un cerveau masculins ayant reçu la testostérone nécessaire -, il est dominé par l'hormone qui l'a fait ce qu'il est", écrit-il.
Aux Etats-Unis, le retour en grâce des écoles non mixtes tient au fait que des scientifiques comme Leonard Sax, psychologue et médecin, considèrent qu'il faut tirer au maximum parti des différences d'apprentissage entre filles et garçons plutôt que de les ignorer.
En réalité, considère Lise Eliot, les différences à la naissance ne sont pas quantitativement très importantes, et, dans de nombreux cas, plus modestes que celles qui existent entre hommes et femmes adultes. "Certes, il existe des études qui révèlent de subtiles différences entre les sexes, chez les enfants, dans le traitement des informations sensorielles, dans les circuits du langage et de la mémoire, dans le développement des lobes frontaux et dans la vitesse et la réactivité générale des neurones, écrit-elle. Dans l'ensemble, quoi qu'il en soit, les cerveaux des garçons et des filles sont remarquablement similaires."
L'apprentissage et la pratique modèlent en fait l'architecture neuronale, de telle sorte qu'arrivés à l'âge adulte, les cerveaux des deux sexes finissent par fonctionner différemment. Notre cerveau se transforme du fait des apprentissages, des émotions : c'est ce qu'on appelle la plasticité cérébrale. "Son câblage à l'âge adulte est fonction, dans une large mesure, des expériences qu'il connaît de la période prénatale jusqu'à l'adolescence", poursuit la scientifique.
Mais quelles sont ces petites différences entre filles et garçons que nous amplifions par l'éducation sexuée et que nous transmettons plus ou moins consciemment à nos enfants ? "Les différences véritablement innées - celles des capacités verbales, des niveaux d'activité, de l'inhibition, de l'agressivité et, peut-être, de la sociabilité - sont petites, toutes petites : de simples tendances qui influencent un peu le comportement des enfants, mais ne déterminent rien du tout par elles-mêmes, explique la neuroscientifique. Ce qui compte surtout, c'est la façon dont les enfants passent leur temps, c'est le regard que l'on porte sur eux, et les conséquences de toutes leurs interactions avec leur entourage sur les circuits neuronaux."
Prenons l'exemple du langage. Les filles parlent un peu plus tôt que les garçons. La petite fille de 9 mois comprend environ cinquante mots, alors que le petit garçon possède le même volume de vocabulaire à 10 mois. La plupart des bébés prononcent leurs premiers mots autour de leur premier anniversaire, mais la petite fille a tendance à les prononcer un mois plus tôt. A 2 ans et demi, les filles conservent cette avance. Cette différence se maintient durant toute la période préscolaire.
Mais, si ces variations sont réelles, elles sont pour le moins ténues. "La supériorité des aptitudes verbales chez les jeunes enfants, même si elle est bien réelle, n'a aucune base neurologique claire, explique Lise Eliot. Il est très probable que les garçons démarrent avec des circuits cérébraux légèrement moins mûrs que ceux des filles au moment où ils apprennent à parler, puis que l'écart se creuse petit à petit parce que les deux sexes ne vivent pas les mêmes expériences."
Pour éviter ce fossé, la neuroscientifique conseille aux parents de garçons en âge préscolaire de renforcer leur maîtrise du langage en leur lisant des albums à haute voix, des comptines, en les faisant parler, en identifiant les sons. Ces conseils valent aussi pour les filles.
Plus ennuyeux, les garçons tiennent moins facilement en place. Ils seraient plus lents à acquérir la maîtrise de soi. "Une importante étude a montré que l'avantage des filles dans le domaine du contrôle inhibiteur constitue la plus importante de toutes les différences comportementales entre les sexes chez les enfants de 3 à 13 ans, note la scientifique. Et c'est ce retard, bien plus que les autres différences cognitives existant entre les sexes, qui fait qu'ils ont plus de difficultés que les filles à s'adapter à l'école."
Les neuroscientifiques supposent en général que l'agitation plus grande des garçons est due à une maturation plus lente des lobes frontaux qui assurent le contrôle inhibiteur, "mais curieusement, les recherches ne confirment pas du tout cette hypothèse", poursuit Lise Eliot. La testostérone prénatale pourrait jouer un rôle dans le fait que les garçons soient plus actifs, voire plus agressifs.
Opposée aux écoles non mixtes, Lise Eliot préconise d'adapter davantage les classes aux garçons. Ils ont besoin d'avoir la possibilité de se mouvoir à travers la classe et de fréquentes coupures pour se dépenser. Par ailleurs, la maîtrise de soi peut être stimulée par des jeux comme "Jacques a dit" ou "1, 2, 3, soleil". Il faut davantage d'expérimentations et de manipulations en plus des enseignements théoriques, s'exercer à l'écriture sans risquer un blâme. Par ailleurs, estime-t-elle, il faut davantage de maîtres.
Quant aux filles, elles ont besoin d'activités pour exercer leurs aptitudes spatiales : jouer à des jeux "de garçons" (construction, logiciels de jeu, ballon, etc.) et, entre autres, qu'on leur montre l'importance des sciences et des maths dans les carrières les plus rémunératrices.
Le raisonnement spatial : inné ou acquis ?
En général, les femmes n'obtiennent pas d'aussi bons résultats que les hommes à de nombreux tests de raisonnement spatial, notamment pour ce qui concerne la rotation dans l'espace. Cette différence n'avait été mise en évidence qu'à partir de l'âge de 4 ans et demi. En 2008, deux équipes distinctes ont découvert que les garçons de 3 et 5 mois effectuaient mieux que les filles une tâche particulière de rotation mentale. Toutefois, un groupe d'anthropologues qui étudiaient les Esquimaux de l'île de Baffin, dans l'est du Canada, n'a pas trouvé de différence entre les aptitudes spatiales des femmes et celles des hommes. Or, les femmes esquimaudes participent autant à la chasse que les hommes. Si les hommes ont un petit avantage à la naissance, l'importance de l'entraînement dans l'espace semble donc primordiale.
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