Camille Moreau, juriste en droit de la santé. Réforme de la psychiatrie : quelles nouvelles responsabilités pour le directeur d'établissement ?
29.03.11
Le projet de réforme de la loi de psychiatrie, récemment votée par l'Assemblée nationale et actuellement entre les mains du Sénat, devrait modifier les pratiques des établissements et donc de leurs directeurs sans pour autant transformer leur cœur de métier, ce qu'explique à Hospimedia Camille Moreau.
Hospimedia : "La réforme de la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation, récemment votée à l'Assemblée nationale, implique d'importants changements pour les directeurs d'établissement. Avant de revenir sur ces modifications, quelles sont les responsabilités actuelles des directeurs ?
Camille Moreau : Concernant les responsabilités actuelles, le directeur d’établissement est avant tout le garant du respect des procédures pour les hospitalisations psychiatriques sous contraintes. Comme ces hospitalisations sont des mesures privatives de liberté, elles ont un caractère grave pour le patient, donc la loi fixe des conditions strictes à respecter tout au long de cette hospitalisation pour éviter d'éventuels abus. Le directeur est donc en charge de vérifier que l'hospitalisation est décidée et se passe dans des conditions qui respectent pleinement la loi, ce que l'on appelle le "contrôle de légalité" (avant d'admettre administrativement le patient, il doit par exemple vérifier son identité et que les certificats médicaux sont bien établis conformément au Code de la santé publique).
Le directeur est aussi responsable de la transmission régulière des informations aux instances de contrôle (préfet et Commission départementale des hospitalisations psychiatriques). En matière d'hospitalisations d'office (sur décision du préfet), il a également, à l'inverse, le rôle de réception des décisions du préfet et de leur application.
Enfin, outre ces contrôles des mesures individuelles d'hospitalisation, le directeur d'établissement est de manière générale responsable de l'organisation des soins et notamment du respect des droits des patients.
H. : Quels sont les changements qu'implique la réforme de la loi de psychiatrie ? Quels seront les impacts pour le quotidien des directeurs d'établissement ?
C.M. : Dans la continuité de la situation actuelle, le directeur d'établissement est toujours envisagé comme le responsable de l'organisation générale des soins d'une part et comme le responsable de la légalité et des mesures individuelles d'autre part. Ces missions vont être impactées par l'évolution des procédures prévues par le projet de loi.
Par exemple, pour l'organisation générale des soins, le directeur d'établissement va devoir adapter l'organisation de son établissement aux nouvelles modalités de prise en charge des patients, telles que l'instauration d'une phase d'observation de 72 heures incluant un examen somatique complet du patient dans les 24 premières heures (nouveauté introduite par l'Assemblée nationale à l'article L 3211-2-2). De même, le renforcement des droits des patients et l'augmentation du nombre de certificats médicaux requis, notamment dans la première phase de l'hospitalisation (certificats initiaux, des 24 heures, des 72 heures, etc.) supposera des adaptations organisationnelles. Ces démarches, qui complexifient et multiplient les procédures, représentent une crainte réelle dans la mesure où l'entrée en vigueur de la nouvelle loi est annoncée pour le 1er août, ce qui ne laissera qu'un délai très court aux établissements pour intégrer la réforme. Il faut aussi savoir que si un délai n'est pas respecté et qu'un certificat n'est pas produit en temps et en heure, la sanction est en principe la levée automatiquement de la mesure ; d'où une responsabilité potentiellement importante du directeur d'établissement, puisqu'il est chargé d'organiser les soins pour faire en sorte que tout se déroule dans les délais impartis.
Par ailleurs, les "soins" psychiatriques sous contrainte ne se dérouleront plus obligatoirement sous la forme d'une "hospitalisation" à temps complet. Le projet de loi prévoit ainsi que le patient puisse être pris en charge sous des formes alternatives à l'hospitalisation physique telles que par des soins psychiatriques ambulatoires ou à domicile. À cet effet, le directeur d'établissement sera en charge de signer des conventions avec le préfet, les collectivités territoriales et le directeur général de l'ARS pour organiser ces modes de prise en charge et les collaborations de terrain, notamment lorsque le patient doit être réintégré en hospitalisation complète (nouvel article L 3222-1-2 adopté par l'Assemblée nationale).
En ce qui concerne la légalité des mesures individuelles, le principal impact résulte de l'introduction du Juge des libertés et de la détention (JLD) dans la procédure pour toutes les hospitalisations à temps complet de plus de quinze jours. Dans ce cadre, le directeur d'établissement est directement responsable de plusieurs éléments : saisir le JLD chaque fois que c'est nécessaire, réunir des avis médicaux avant l'audience du JLD ou, par exemple, vérifier que le patient ne s'oppose pas à une audience par télécommunication audiovisuelle (articles L 3211-12-1 et L 3211-12-2). Tous les établissements devront d'ailleurs avoir une salle spécifique équipée. Enfin, si le JLD prononce la levée d'une hospitalisation à temps complet et qu'un appel est formé contre cette décision, le directeur d'établissement peut, dans le cadre de soins à la demande d'un tiers, demander l'effet suspensif de l'appel.
H. : Dès la publication du projet de réforme de la loi de psychiatrie, un point a particulièrement suscité la polémique car il permettait au directeur d'établissement d'aller à l'encontre d'une décision médicale...
C.M. : Sur les soins à la demande d'un tiers ou pour péril imminent, les termes employés dans le projet de loi pouvaient être interprétés comme donnant au directeur d'établissement une certaine liberté d'appréciation par rapport aux avis médicaux : il était indiqué que le directeur d'établissement "peut" maintenir les soins ou modifier la forme de la prise en charge. Il y avait donc un risque au départ qu'il puisse être reproché au directeur, en cas d'incident, de ne pas avoir tenu compte d'éléments autres que le certificat médical. De plus, cette nouvelle responsabilité du directeur étant implicite dans le texte, il aurait fallu attendre une décision de justice pour clarifier la situation et les champs de responsabilités.
Heureusement, un amendement voté par l'Assemblée nationale est venu régler en grande partie la question en indiquant que le directeur d'établissement était "tenu" de suivre l'avis du médecin (nouvelle version de l'article L 3212-4). Cette disposition concerne le choix de la forme de la prise en charge du patient. Dans le cas de soins à la demande d'un tiers ou pour péril imminent, à l'issue de la période de 72 heures d'observation, le psychiatre doit décider quelle est la forme la plus adaptée pour le patient et établir un protocole de soins pour définir ces soins. Des choix que le directeur devra suivre. En conséquence, l'esprit du projet de loi n'est plus de mettre le directeur dans une position de décision de soins face aux avis médicaux, ce qui constitue une évolution favorable du projet de loi pour les établissements de santé, dans la mesure où les champs de compétences de chacun sont respectés : administratives et d'organisation pour les directeurs d’établissement – médicales pour les médecins. Il ne devrait donc plus s'agir d'un point d'achoppement et une nouvelle modification par le Sénat est peu probable."
- Camille moreau est consultante senior pour Expert juridique santé (EJS). De formation, elle est juriste en droit de la santé, spécialisée en droit hospitalier et en droit de la fonction publique hospitalière.G.T.
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