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mercredi 19 janvier 2011

Comment résister au diktat de l'urgence
Par
Pascale Senk17/01/2011

Le mal qui nous menace aujourd'hui est un rapport dysfonctionnel à la temporalité. À trop vivre dans l'immédiat, nous perdons peu à peu les bénéfices de la durée.

C'est le dernier sujet qui passionne, inquiète, fait débat: des livres, des conférences et pas moins de deux colloques importants explorent la relation de l'homme contemporain au temps et s'inquiètent de la tyrannie de l'immédiateté dans nos vies. Le premier, celui de l'association GyPsy (gynécologie psychanalyse), s'est tenu au début du mois de décembre à Paris et réunissait pendant trois jours des psychanalystes, mais aussi des philo sophes, des historiens ou des écrivains. Le second, qui se prépare actuellement, réunira, à Grenoble, en octobre prochain, sociologues, scientifiques et psychologues.

Que se passe-t-il donc? Y a-t-il péril en la demeure? On pourrait dire que justement «rien ne demeure: tout passe trop vite et nous ne nous y retrouvons pas. Les nouvelles technologies nous ayant désormais plongés dans le règne de l'instantanéité, nous avons perdu un certain sens de la temporalité et sommes souvent déchirés entre deux instances: le temps social, extérieur, celui de nos contraintes organisationnelles pour nous adapter au monde pressé dans lequel nous vivons, et le temps intérieur, appelé aussi temps psychologique, qui nous invite à goûter ce qui se passe dans nos vies à notre propre rythme, cette fois-ci subjectif. Il semble qu'actuellement beaucoup d'entre nous soient comme déphasés dans leur perception de ces différents temps (lire ci-dessous). Jacques André, psychanalyste et auteur notamment des Désordres du temps (Éd. PUF), observe certaines contradictions contemporaines: «Nous avons gagné en allongement de vie, et pourtant, la préoccupation du vieillissement semble arriver chez certains dès l'âge de 30 ans. Très tôt, ils souffrent de leur première ride alors qu'ils ont beaucoup d'années devant eux.»

Autre contrainte déstabilisante : le diktat de l'urgence s'est imposé dans le temps social. «Avant, celui-ci était rythmé par les saisons, rappelle le psychanalyste. Aujourd'hui, beaucoup semblent poussés par l'envie de brûler les étapes: ils vivent dans la précipitation, la suroccupation, se retrouvent à sortir tous les soirs, à multiplier les relations éphémères.» Ainsi le règne du non-durable en vient-il à colorer nos existences.

Or cette «sommation cumulative d'instants» que les médias notamment diffusent à profusion (cf. la culture du «scoop») ne s'accorde pas avec nos besoins profonds d'élaboration psychique. Car on peut remarquer que toutes les grandes initiations dans nos vies: grandir, apprendre, aimer, éduquer, traverser un deuil par exemple demandent du temps. «Aujourd'hui, nous n'avons plus le temps d'incuber les événements et de les élever au statut d'événements psychiques , regrette le psychanalyste Roland Gori. Alors, bien sûr, nous pouvons nous adapter en développant un “faux-self”, un moi d'emprunt, mais que deviennent nos rêves, nos mémoires, les mythes dans cette société qui matérialise le temps à ce point?» Et de citer Winnicott : «Pour pouvoir être et avoir le sentiment que l'on est, il faut que le faire-par-impulsion l'emporte sur le faire-par-réaction.» Réflexion, anticipation et intégration nous sont donc aussi nécessaires que l'air et l'eau.

Jardin secret

Mais alors, comment s'en sortir ? Pour le philosophe Marcel Gauchet, tel est le nouveau défi qui nous incombe: réconcilier ces deux temps qui rythment nos vies, le temps de la construction sociale, qui est artificiel mais auquel nous obéissons, et notre temps intérieur, qui nous fait traverser les événements d'une manière irrémédiablement solitaire. «Nous ne pouvons nous passer d'aucun de ces temps, précise le philosophe, et nous ne cessons d'osciller de l'un à l'autre. Mais il est possible de vivre au mieux cette dualité: en prenant conscience notamment que le temps “objectif” ne se réduit pas à la contrainte sociale et au conformisme.» On peut ainsi l'envisager comme «le temps de l'action en commun, du travail réfléchi de construction partageable avec les autres et en mesure de produire des effets durables au-delà des limites de nos vies».

De manière plus pragmatique, le psychiatre Laurent Schmitt recommande dans son livre Du temps pour soi (Éd. Odile Jacob) de multiplier les occasions de se mettre en contact avec sa propre temporalité: micropauses d'environ une minute nous permettant d'interrompre nos activités trois ou quatre fois par jour, aménagement de nos activités et de nos loisirs en fonction de notre rythme individuel, culture d'un jardin secret… Des propositions qui deviendront peu à peu incontournables pour tous ceux qui ne veulent plus perdre leur temps.

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