04/10/2010
L'architecture retrouve une place en psychiatrie
Malgré un contexte difficile, de réels efforts ont été faits ces dernières années pour améliorer le confort des malades mentaux. Avec, parfois, de vraies ambitions architecturales, mais encore des progrès à faire
Marie-Jo garde un mauvais souvenir des conditions d’accueil de son fils, hospitalisé à « Sainte-Anne», à Paris, il y a une dizaine d’années. Murs tristes, chambre exiguë, promiscuité… Cette mère de famille, membre de l’Unafam (Union nationale des amis et familles de malades psychiatriques), estime que si l’architecture ne fait pas tout, « elle compte ». « Souvent, il n’y a pas de vrai lieu de rencontre entre le patient et ses proches, regrette-t-elle, surtout depuis la fermeture des salles fumeurs. Quant aux chambres, il faut s’asseoir sur le lit pour discuter… »
Pourtant, de gros efforts ont été faits, ces dernières années, pour améliorer le confort des patients. Au centre hospitalier de Sainte-Anne, depuis la mauvaise expérience de Marie-Jo, le pavillon Ferrus-Joffroy (construit en 1867), a ainsi été entièrement repensé, avec des jeux de couleurs, de cloisons mobiles et une attention particulière à la circulation des malades et du personnel soignant.
On pourrait citer d’autres exemples, comme le service de psychiatrie de l’hôpital d’Arras ou encore le pôle psychiatrique d’Heinlex, à Saint-Nazaire. Des projets indissociables de la « sectorisation », qui a conduit à l’abandon des grands complexes asilaires au profit d’une prise en charge en ville, à l’hôpital mais aussi dans des structures alternatives de proximité : consultations, centres de jour, appartements thérapeutiques…
Un vrai mouvement d’humanisation
« Il y a eu, récemment, un vrai mouvement d’humanisation, souligne le psychiatre Jean-Charles Pascal, co-auteur d’un ouvrage sur les rapports entre architecture et psychiatrie. Pendant longtemps, les malades mentaux, qui ne faisaient pas de lobbying, n’ont eu droit qu’au minimum : des douches communes, des dortoirs, des bâtiments décrépis… Dans certains endroits, il y a quinze ans, la situation était dramatique. Heureusement, les choses vont dans le bon sens aujourd’hui. »
Comme beaucoup, il estime que, au-delà des grandes réflexions architecturales, « la meilleure chambre pour un malade mental, c’est celle d’un hôtel trois étoiles : un lieu bien tenu, clair, avec une salle de bains individuelle, le téléphone et la télévision », ce que confirme le président de l’Unafam, Jean Canneva, pour qui des patients anxieux ont avant tout « besoin d’un endroit calme, propre, avec de l’intimité ».
Architecte et historien, Donato Severo s’insurge contre une spécialisation à outrance. « Ce qui compte, c’est de construire un lieu de vie agréable, lumineux, favorisant la rencontre, le bien-être… Ce qui vaut pour le bien-portant vaut pour la personne fragilisée », explique-t-il.
Sans renier ce postulat, plusieurs architectes notent tout de même que, dans le domaine psychiatrique, il faut parvenir à de délicats équilibres : ménager des espaces intimes tout en encourageant la rencontre ; donner une impression de liberté dans des endroits souvent fermés ; favoriser le sentiment de prise en charge tout en travaillant le retour à l’autonomie… Sans parler des contraintes de sécurité, en particulier à l’hôpital, désormais réservés aux phases de crise aiguë.
Des projets « complexes » et «passionnants»
C’est la raison pour laquelle l’architecte Thierry Roze parle de projets « complexes » et «passionnants». Ce dernier est à l’origine d’une belle réalisation, parfaitement représentative du mouvement d’intégration des malades mentaux au cœur de la ville : l’établissement de soins psychiatriques Maison-Blanche, rue d’Hauteville à Paris, une structure de cent lits installée dans un hôtel particulier du 10e arrondissement.
Bien loin des conceptions du siècle dernier, où « Maison-Blanche », conçue comme « une machine à guérir », pouvait accueillir jusqu’à 2 800 patients à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), la nouvelle unité permetaux patients de continuer à vivre dans leur cadre ordinaire, dans un lieu favorisant la lumière, la fluidité et la lisibilité des espaces. C’est d’ailleurs à partir de ces mêmes postulats qu’ont été créés le foyer de postcure de l’Élan retrouvé (Paris 13e), le service psychiatrique de l’hôpital Bichat (Paris 18e) ou encore l’Adamant, un hôpital de jour sur une péniche.
Ces réussites ne doivent pas faire oublier qu’il reste encore beaucoup à faire. Dans certains services psychiatriques, même récemment rénovés, le manque de lits a de lourdes conséquences. « On a fermé les asiles, c’est une bonne chose, mais sans compenser par un nombre de places équivalent en ville… Il aurait fallu en créer cinq fois plus ! », calcule le psychiatre Jean-Charles Pascal.
Résultat : une forte promiscuité, avec des malades aux pathologies mentales très diverses se retrouvant ensemble. « Il faut différencier la personne déprimée de la jeune fille anorexique ou du malade délirant qui rechute deux fois par an », poursuit le médecin. Or, ce n’est pas toujours possible. Comment, dès lors, porter un projet architectural ayant du sens ? D’autant que le manque de financements publics pèse aussi directement sur le bâti.
Des freins financiers mais aussi culturels
L’autre grand frein n’est pas financier mais culturel. « Il y a, c’est vrai, de plus en plus d’exemples de collaborations réussies entre les directeurs d’hôpitaux, le personnel soignant et les architectes, note Donato Severo. Pour autant, il reste beaucoup d’endroits où il n’y a aucune recherche sur la conception du lieu, avec des gestionnaires indifférents au rôle de l’architecture dans la prise en charge des patients.
Du moment qu’il y a des portes, des fenêtres, une couleur, c’est bon ! », regrette l’architecte. Viviane Kovess-Masféty, présidente de l’Apaqesm (Association pour l’assurance qualité en santé mentale), qui a largement participé au mouvement d’humanisation des unités psychiatriques, pense surtout au rôle du « programmateur ». « Il intervient avant l’architecte pour établir le cahier des charges du futur bâtiment, en fonction des besoins exprimés par l’équipe médicale, fait observer cette psychiatre. Le problème, c’est que celle-ci est rarement formée et sensibilisée au rôle de l’architecture.
Or, une fois le cahier des charges établi, la créativité de l’architecte est forcément bridée. » Directrice du département d’épidémiologie à l’École des hautes études en santé publique, auteur d’un ouvrage de référence (lire les Repères), Viviane Kovess-Masféty milite donc aujourd’hui pour former les directeurs d’hôpitaux et les équipes à l’architecture en psychiatrie.
Marine LAMOUREUX
L'architecture retrouve une place en psychiatrie
Malgré un contexte difficile, de réels efforts ont été faits ces dernières années pour améliorer le confort des malades mentaux. Avec, parfois, de vraies ambitions architecturales, mais encore des progrès à faire
Marie-Jo garde un mauvais souvenir des conditions d’accueil de son fils, hospitalisé à « Sainte-Anne», à Paris, il y a une dizaine d’années. Murs tristes, chambre exiguë, promiscuité… Cette mère de famille, membre de l’Unafam (Union nationale des amis et familles de malades psychiatriques), estime que si l’architecture ne fait pas tout, « elle compte ». « Souvent, il n’y a pas de vrai lieu de rencontre entre le patient et ses proches, regrette-t-elle, surtout depuis la fermeture des salles fumeurs. Quant aux chambres, il faut s’asseoir sur le lit pour discuter… »
Pourtant, de gros efforts ont été faits, ces dernières années, pour améliorer le confort des patients. Au centre hospitalier de Sainte-Anne, depuis la mauvaise expérience de Marie-Jo, le pavillon Ferrus-Joffroy (construit en 1867), a ainsi été entièrement repensé, avec des jeux de couleurs, de cloisons mobiles et une attention particulière à la circulation des malades et du personnel soignant.
On pourrait citer d’autres exemples, comme le service de psychiatrie de l’hôpital d’Arras ou encore le pôle psychiatrique d’Heinlex, à Saint-Nazaire. Des projets indissociables de la « sectorisation », qui a conduit à l’abandon des grands complexes asilaires au profit d’une prise en charge en ville, à l’hôpital mais aussi dans des structures alternatives de proximité : consultations, centres de jour, appartements thérapeutiques…
Un vrai mouvement d’humanisation
« Il y a eu, récemment, un vrai mouvement d’humanisation, souligne le psychiatre Jean-Charles Pascal, co-auteur d’un ouvrage sur les rapports entre architecture et psychiatrie. Pendant longtemps, les malades mentaux, qui ne faisaient pas de lobbying, n’ont eu droit qu’au minimum : des douches communes, des dortoirs, des bâtiments décrépis… Dans certains endroits, il y a quinze ans, la situation était dramatique. Heureusement, les choses vont dans le bon sens aujourd’hui. »
Comme beaucoup, il estime que, au-delà des grandes réflexions architecturales, « la meilleure chambre pour un malade mental, c’est celle d’un hôtel trois étoiles : un lieu bien tenu, clair, avec une salle de bains individuelle, le téléphone et la télévision », ce que confirme le président de l’Unafam, Jean Canneva, pour qui des patients anxieux ont avant tout « besoin d’un endroit calme, propre, avec de l’intimité ».
Architecte et historien, Donato Severo s’insurge contre une spécialisation à outrance. « Ce qui compte, c’est de construire un lieu de vie agréable, lumineux, favorisant la rencontre, le bien-être… Ce qui vaut pour le bien-portant vaut pour la personne fragilisée », explique-t-il.
Sans renier ce postulat, plusieurs architectes notent tout de même que, dans le domaine psychiatrique, il faut parvenir à de délicats équilibres : ménager des espaces intimes tout en encourageant la rencontre ; donner une impression de liberté dans des endroits souvent fermés ; favoriser le sentiment de prise en charge tout en travaillant le retour à l’autonomie… Sans parler des contraintes de sécurité, en particulier à l’hôpital, désormais réservés aux phases de crise aiguë.
Des projets « complexes » et «passionnants»
C’est la raison pour laquelle l’architecte Thierry Roze parle de projets « complexes » et «passionnants». Ce dernier est à l’origine d’une belle réalisation, parfaitement représentative du mouvement d’intégration des malades mentaux au cœur de la ville : l’établissement de soins psychiatriques Maison-Blanche, rue d’Hauteville à Paris, une structure de cent lits installée dans un hôtel particulier du 10e arrondissement.
Bien loin des conceptions du siècle dernier, où « Maison-Blanche », conçue comme « une machine à guérir », pouvait accueillir jusqu’à 2 800 patients à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), la nouvelle unité permetaux patients de continuer à vivre dans leur cadre ordinaire, dans un lieu favorisant la lumière, la fluidité et la lisibilité des espaces. C’est d’ailleurs à partir de ces mêmes postulats qu’ont été créés le foyer de postcure de l’Élan retrouvé (Paris 13e), le service psychiatrique de l’hôpital Bichat (Paris 18e) ou encore l’Adamant, un hôpital de jour sur une péniche.
Ces réussites ne doivent pas faire oublier qu’il reste encore beaucoup à faire. Dans certains services psychiatriques, même récemment rénovés, le manque de lits a de lourdes conséquences. « On a fermé les asiles, c’est une bonne chose, mais sans compenser par un nombre de places équivalent en ville… Il aurait fallu en créer cinq fois plus ! », calcule le psychiatre Jean-Charles Pascal.
Résultat : une forte promiscuité, avec des malades aux pathologies mentales très diverses se retrouvant ensemble. « Il faut différencier la personne déprimée de la jeune fille anorexique ou du malade délirant qui rechute deux fois par an », poursuit le médecin. Or, ce n’est pas toujours possible. Comment, dès lors, porter un projet architectural ayant du sens ? D’autant que le manque de financements publics pèse aussi directement sur le bâti.
Des freins financiers mais aussi culturels
L’autre grand frein n’est pas financier mais culturel. « Il y a, c’est vrai, de plus en plus d’exemples de collaborations réussies entre les directeurs d’hôpitaux, le personnel soignant et les architectes, note Donato Severo. Pour autant, il reste beaucoup d’endroits où il n’y a aucune recherche sur la conception du lieu, avec des gestionnaires indifférents au rôle de l’architecture dans la prise en charge des patients.
Du moment qu’il y a des portes, des fenêtres, une couleur, c’est bon ! », regrette l’architecte. Viviane Kovess-Masféty, présidente de l’Apaqesm (Association pour l’assurance qualité en santé mentale), qui a largement participé au mouvement d’humanisation des unités psychiatriques, pense surtout au rôle du « programmateur ». « Il intervient avant l’architecte pour établir le cahier des charges du futur bâtiment, en fonction des besoins exprimés par l’équipe médicale, fait observer cette psychiatre. Le problème, c’est que celle-ci est rarement formée et sensibilisée au rôle de l’architecture.
Or, une fois le cahier des charges établi, la créativité de l’architecte est forcément bridée. » Directrice du département d’épidémiologie à l’École des hautes études en santé publique, auteur d’un ouvrage de référence (lire les Repères), Viviane Kovess-Masféty milite donc aujourd’hui pour former les directeurs d’hôpitaux et les équipes à l’architecture en psychiatrie.
Marine LAMOUREUX
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