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mercredi 12 mai 2010






UNE SOCIÉTÉ A SOIGNER «Hygiène et salubrité publique en France au XIXe siècle»

Gérard Jorland










Gérard Jorland
Gallimard, «Bibliothèque des histoires»
360 p.
27 €

L'avis de La Croix

Tout va mal, mais on se soigne

Qu'est-ce donc que la santé publique à l'âge des masses et de la vitesse ?

La médecine du XIXe siècle, nous dit Gérard Jorland, a voulu prévenir la maladie et surtout l’épidémie (celle du choléra en 1832 est restée très présente), en développant l’hygiène publique par l’application des découvertes scientifiques accumulées depuis Lavoisier. L’obsession, en cet âge industriel d’échanges humains et de vitesse accrus, fut de supprimer les foyers d’infection et d’enrayer la propagation des maladies infectieuses, causes principales des hausses de la mortalité, si inquiétantes dans une France où le taux de natalité périclitait.

D’où l’action inlassable de médecins, de savants et de «travailleurs sociaux» devenus passionnément «hygiénistes», pour plaider la bonne cause auprès des pouvoirs publics, des institutions privées ou religieuses d’aide et de charité, des propriétaires et des industriels.

Il s’agit d’aérer, de désinfecter, de vacciner, d’améliorer la voirie et les égouts, d’assainir les lieux et espaces publics, d’imposer une médecine du travail, d’étendre à toute la société les bienfaits de l’hygiène sociale. Dans les «villes tentaculaires» menacées de dégénérescences de tous ordres, il s’agit aussi, disent-ils, de promouvoir une hygiène morale qui devra irradier l’école, l’éducation populaire et l’aide sociale, et qui aidera à contenir les miasmes que sont la prostitution, l’alcoolisme, le crime et le suicide.

Gérard Jorland compare la France avec le reste de l’Europe et révèle ainsi que la question de la salubrité publique a été posée chez nous avec moins d’urgence, puisque nos campagnes et nos bourgades surabondantes nous tenaient à l’écart des ravages sanitaires entraînés par la concentration urbaine.

Il ajoute que l’État libéral en France est resté trop dédaigneux du social pour vouloir participer pleinement à la bataille (contre la tuberculose, par exemple: la France a inventé le sanatorium bien après ses voisins): il s’est contenté de saluer d’assez loin les initiatives religieuses et celles des collectivités locales. Si bien que la République n’a installé un ministère de l’hygiène et de la prévoyance, puis un de la santé, qu’en 1920 et 1930.

C’est dire qu’il a fallu attendre l’envol de l’État providence à partir des années 1940 pour que la santé publique prenne l’ampleur sociale, politique et budgétaire que l’on sait aujourd’hui, mais sans que l’hygiène publique progresse au même rythme. Christian Chevandier le montre en explorant à fond, pour la première fois, le meilleur espace public mis désormais au service de la santé de tous : l’hôpital, lieu jadis d’accueil en urgence et de relégation sociale devenu à la fois une énorme machine à soins, une caisse de résonance de la société et un lieu d’exercice–souvent difficile, mais en progrès–de la citoyenneté et, sans doute, le dernier havre pour naître et mourir ensemble dans une société d’individus.

Évolutions de la médecine, de l’économie et du droit hospitalier, sociologie des professions hospitalières et des malades devenus des patients: Christian Chevandier synthétise à merveille, ouvre toutes les fenêtres. Il distingue les grandes étapes qui ont fait l’hôpital d’aujourd’hui: l’héritage de l’hôtel-Dieu, la sécularisation jusqu’aux années 1920, le dévouement des soignants jusqu’en 1945, la spécialisation des soins jusqu’en 1975 et, depuis, l’irruption dans ses services de la société tout entière, en urgence ou non.

Tandis que l’hygiène publique, l’équipement de proximité et les soins à domicile, la médecine sociale et la médecine généraliste n’ont pas assez progressé pour éviter que les hôpitaux ne soient désormais dramatiquement surchargés. Surtout, il nous fait comprendre l’immense mutation sociale qui a fait de l’ancien refuge pour démunis le point de passage obligé de tout un chacun, à la vie à la mort.

JEAN-PIERRE RIOUX

A voir aussi : L’hôpital dans la France du XXe siècle de Christian Chevandier, Perrin, 490 p., 25 € http://www.bibliosurf.com/Une-societe-a-soigner-Hygiene-ethttp://www.bibliosurf.com/Une-societe-a-soigner-Hygiene-et

Présentation de l'éditeur

Faute de pouvoir soigner les maladies, la médecine du XIXe siècle s’est employée à les prévenir. D’où le rôle central qu’y joue l’hygiène publique. Se donnant pour mission de supprimer les foyers d’infection qui minent la société, elle s’étend à tous les domaines : égouts et voiries, orientation et hauteur des bâtiments, alimentation et travail, pollution industrielle et urbaine, prisons, casernes, hôpitaux, mais aussi prostitution, alcoolisme, crimes, suicides, etc.

Les préconisations des hygiénistes sont toujours les mêmes : faire circuler l’air et l’eau, désinfecter, vacciner. Mais ces avis ne sont pas toujours suivis d’effets. Dans nombre de pays européens, la vaccination et la revaccination sont obligatoires. En France, non. D’où ces deux paradoxes : qu’un pays qui a créé le mouvement d’hygiène publique moderne soit si lent à en appliquer les mesures ; que dans ce même pays, synonyme de centralisation et d’État fort, le gouvernement joue un rôle si limité dans la santé publique.

À la fin du siècle, les médecins finissent par se faire élire eux-mêmes au Parlement afin de faire voter une législation sanitaire. Mais pour imposer les contraintes de santé publique, il leur faut abandonner l’idéologie libérale et en construire une autre, le solidarisme. La législation perdurera, pas l’idéologie. Aujourd’hui, les politiques de santé publique appliquées en France et en Angleterre sont diamétralement opposées : libérale chez nous, étatique là-bas, contrairement à toute attente.

Philosophe et historien des sciences, Gérard Jorland est directeur d’études à l’EHESS et directeur de recherche au CNRS. Il a déjà publié aux Éditions Gallimard La Science dans la philosophie. Les recherches épistémologiques d’Alexandre Koyré (Bibliothèque des Idées, 1981).

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