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Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

dimanche 17 avril 2011


Lost in cognition : psychanalyse et sciences cognitives




Ce livre examine les prétentions du nouveau paradigme de la psychologie à se proposer comme modèle d'avenir pour les disciplines cliniques, et par là, venir à bout de la psychanalyse. Quel est ce changement de paradigme ? C'est le cognitivo-comportementalisme. D'où vient-il ? Des États-Unis. Jusqu'aux années soixante, la psychologie comportementale avait joui d'un certain prestige. Elle s'est trouvée disqualifiée par l'objection du linguiste Noam Chomsky : aucun apprentissage ne pourrait jamais rendre compte de la compétence linguistique. Celle-ci devait être innée. La psychologie comportementale mit trente ans à se revêtir d'habits neufs. Les avancées de la biologie, de la neurologie, et de la nébuleuse qui en a résulté sous le nom de neurosciences le lui ont permis.

Sous le nom de cognitivisme comportemental, une nouvelle réduction de l'expérience humaine à l'apprentissage a fait retour.

A partir de la psychanalyse d'orientation lacanienne, ce livre soutient une thèse opposée. L'inconscient ne relève d'aucun apprentissage. Il est ce qui manque ou excède tout apprentissage possible. L'inconscient est un mode de la pensée délivrée de l'apprentissage comme de la conscience. C'est son scandale et sa particularité.
- 4ème de couverture -

GB : Publicis cède sa participation dans l'agence Freud Communications

Le groupe publicitaire français Publicis a annoncé vendredi la cession de sa participation majoritaire dans l'agence britannique de relations publiques Freud Communications à son fondateur Matthew Freud, par ailleurs petit-fils du père de la psychanalyse.

Des neurones de lieu dans la tête15/04/2011

   Imprimer  Aurait-on un GPS dans le cerveau ? Selon un travail collaboratif entre des chercheurs français (Jérôme Epsztein, INSERM Marseille), allemands (Michael Brecht, Berlin) et américains (Albert Lee), certains neurones possèdent des propriétés particulières, permettant d’apprendre facilement et rapidement la cartographie des lieux. Placé dans un nouveau lieu, le cerveau active ces neurones pour nous orienter. C’est l’hippocampe qui joue un rôle essentiel dans la mémoire des lieux et qui contient les neurones dits « cellules de lieu ». Les chercheurs ont enregistré grâce à une technique raffinée l’activité intracellulaire des cellules de lieu chez le rat pendant l’exploration de son espace.

Connaître sa localisation dans son environnement est, en termes d’évolution, une fonction essentielle à la survie.
Dr B. V.

Jérôme Epsztein et coll. « Neuron », avril 2011.

Les dessins chantants d'Adolf Wölfli, un fou génial


Wölfli aurait dû disparaître dans l'anonymat, comme presque tous les internés. Deux raisons l'en préservent. L'une est simple : Wölfli bénéficie de l'attention de médecins aux méthodes remarquablement avancées pour leur époque. Au moment de son internement, ils lui demandent d'écrire le récit de sa vie et cet exercice autobiographique initie cet homme sans éducation à une forme de création, l'écriture et le dessin, dont il ne s'était jamais approché.

En 1907, un jeune psychiatre, Walter Morgenthaler, est affecté à la Waldau. Il devient l'interlocuteur de Wölfli et le premier commentateur de ses travaux, au point de lui consacrer une étude en 1921. Cet essai, Un malade mental en tant qu'artiste, attire l'attention de quelques esprits remarquables, Lou Andreas-Salomé ou Rainer Maria Rilke. En 1945, c'est encore grâce à Morgenthaler que Jean Dubuffet a connaissance de Wölfli et en fait l'une des figures centrales de son "art brut".

L'autre cause est beaucoup plus difficile à analyser. C'est pour elle que Morgenthaler s'est passionné pour Wölfli et qu'aujourd'hui l'exposition de plus de 150 de ses oeuvres à Villeneuve-d'Ascq se visite avec la certitude de se trouver en présence de quelque chose de profondément exceptionnel. Cette raison, c'est la capacité très peu explicable dont Wölfli, "fou" et autodidacte, fait preuve pour développer une oeuvre graphique d'une abondance, d'une singularité et d'une complexité prodigieuses.

Il se met à dessiner vers 1899. En prison, donc. Les plus anciennes feuilles conservées datent de 1904. En noir et blanc, la composition est commandée par des figures régulières, avec répétitions et symétries de cercles, rosaces, spirales et frises. Dans les interstices, de petites scènes sont glissées, comme sur un portail roman. Des zones sont traversées par des portées musicales, mais sans notes. Dans cette période, Wölfli se qualifie néanmoins de " compositeur".

A partir de 1907, des changements s'opèrent. Les crayons de couleur deviennent la règle. Les éléments figuratifs se multiplient et Wölfli, pour les ordonner, prend pour schémas la carte géographique et le diagramme géométrique. Les portées se chargent de notes, selon un système d'écriture musicale - il a été récemment décrypté. Phrases, mots et chiffres se rangent en lignes et colonnes. Leurs fonctions sont tantôt narratives, tantôt symboliques - d'un symbolisme personnel et hermétique.

La cohérence est à la fois évidente et peu pénétrable. Elle se mesure à la volonté de Wölfli de créer par cycles : les 3 000 pages de son autobiographie fictive Du berceau au tombeau de 1908 à 1912, les Cahiers géographiques et algébriques de 1912 à 1918, les Cahiers avec chants et danses - 7 000 pages environ achevées vers 1922, les Albums-cahiers de danses et de marches de 1924 à 1928 et enfin la Marche funèbre, plus de 8 000 feuilles exécutées jusqu'à sa mort.

Ces oeuvres sont à regarder et à déchiffrer longuement. Elles sont aussi à scander et à chanter : à cause des notes, mais aussi à cause des mots inventés et des onomatopées qui les parsèment. Quand on s'y essaie, l'effet obtenu rappelle les poèmes qui s'entendaient au cabaret Voltaire, à Zurich, au temps de dada, et la Ursonate phonétique de Kurt Schwitters, écrite entre 1921 et 1932. Schwitters ne connaît pas Wölfli - et réciproquement évidemment. Mais ils traitent le langage de façon aussi libre et étrangement lyrique l'un que l'autre.

Ce n'est qu'un des points sur lesquels Wölfli se trouve proche des avant-gardes. L'exposition consacre une large place à ce qui est méconnu : les collages. A partir de 1917, en puisant dans de vieilles revues et dans les journaux du temps, suisses le plus souvent, Wölfli perfectionne un art précis du montage et des collisions d'images qui ne peut être comparé qu'à celui de dada. Hannah Höch, Raoul Hausmann et Max Ernst apparaissent comme ses vrais contemporains.

Le "fou" Wölfli succombe comme eux à la fascination pour les illustrations et les réclames - une fascination qui, comme la leur, s'inverse vite en dérision. Dans la plupart de ses collages, le détournement glisse au comique ou à la satire. On ne peut croire un instant que l'auteur de telles constructions visuelles agisse dans un état d'inconscience ou de démence.

L'oeuvre en apporte une autre preuve, indirecte. Dans les années 1920, la notoriété de Wölfli commence à se répandre et les commandes à affluer. Il divise alors délibérément sa production en deux parties : le Brotkunst - art alimentaire - d'une part, dans le style de ses créations antérieures, et ses Cahiers intimes de l'autre. Un artiste n'aurait pas agi autrement.

"Adolf Wölfli Univers", LAM, 59 650, Villeneuve-d'Ascq. Tél. : 03-20-19-68-88. Du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures. Entrée 10 €. Jusqu'au 3 juillet.
Philippe Dagen

"La raison des femmes est l'enjeu de la modernité"
15.04.11

Philosophe, directrice de recherches au CNRS, essayiste, Geneviève Fraisse revient sur l'importance et l'empreinte de l'oeuvre de Simone de Beauvoir, à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa mort.

Simone de Beauvoir est morte le 14 avril 1986. A-t-elle quelque chose à dire aux femmes qui ont aujourd'hui 25 ans ?


Simone de Beauvoir est une auteure importante du XXe siècle. En France, on veut bien la voir comme une figure politique, médiatique, historique. Or c'est une femme qui écrit et qui pense. C'est cela que trouvera une jeune femme, ou un jeune homme de 25 ans en ouvrant ses livres. En France, il est de bon ton de mépriser l'écrivaine. C'est une erreur.


Pour le centenaire de sa naissance, en 2008, vous avez écrit "Le Privilège de Simone de Beauvoir" (Actes Sud). Pourquoi le privilège ?


"Privilège" est un terme paradoxal, incroyablement présent dans le langage existentialiste et pourtant marqué d'un parfum d'Ancien Régime. Simone de Beauvoir, dont un livre s'appelle Privilèges, suit ce fil rouge de son privilège de jeune femme du XXe siècle à qui on offre l'école et le savoir, de son privilège de femme vivant dans la mixité et le partage de la pensée.


Aussi, il me paraît nécessaire de trouver les notions qui éclairent la question posée par le féminisme, je l'ai tenté avec celle de "service" - hiérarchie domestique et démocratie -, de "consentement" - entre choisir et accepter, comment se pense l'émancipation des femmes ? "Privilège" est un mot polysémique autant que synthétique : le privilège est-il pour moi seule, ou offert à autrui en partage ?


Vous parlez de son trajet risqué d'une femme qui pense. Cela a été aussi le vôtre ?


Vous savez bien que toute pensée est un risque ! Et travailler sur la question des sexes est, en France, peu légitime. Donc oui, il y a risque pour Simone de Beauvoir comme pour toutes celles qui envisagent un savoir sans limites. Or l'éducation des femmes fut toujours comprise comme circonscrite, dans le champ de l'apprentissage - couture plutôt que mathématiques -, comme par la reproduction de l'espèce - l'activité de l'utérus serait inversement proportionnelle à celle du cerveau.


La raison des femmes est le grand enjeu de la modernité, tous les droits en découlent, citoyenneté, autonomie économique, contraception - l'habeas corpus des femmes. Et puis le savoir est une jouissance tout en s'élaborant - ou non - avec de la souffrance.


Vous êtes philosophe. Considérez-vous Simone de Beauvoir comme une philosophe ?


Oui, il faut lire et relire l'introduction du Deuxième Sexe. C'est un discours de la méthode : affirmation d'un cogito situé, celui d'une femme, nécessité du détour par une pensée de toutes les femmes pour introduire un récit subjectif - les Mémoires à venir -, réflexion sur les catégories dominées, eux et nous, énigme de l'origine de l'oppression - sans événement -, statut de l'analyse de la domination - être juge et partie, pour les hommes comme pour les femmes. Mais Le Deuxième Sexe ne fait pas Les Méditations de Descartes. J'aime bien quand elle se décrit comme "correspondante de guerre"...


Que vous a apporté la lecture de Beauvoir ? Quels ont été les livres les plus importants pour vous ?


L'important, c'est son style : il n'est pas "beau", comme on dit, mais il est d'une densité époustouflante. Je l'ai compris avec la publication des Cahiers de jeunesse (Gallimard), en 2008. On la voit tout lire, à 20 ans, et tout restituer de ses lectures y compris son jugement, plutôt sûr, sur ce qui paraît en philosophie ou en littérature. Un exemple, que je ne prends pas au hasard : ma mère souligne dans son exemplaire du Deuxième Sexe, en 1949, l'expression "fécondité absurde" : a priori, fécondité renvoie aussi bien aux hommes qu'aux femmes ; jusqu'à ce qu'on y associe "fertilité" et "fécondation", qui féminisent le propos.


Mais c'est "absurde" le plus intéressant : absurde, dit la philosophie, est le cri de l'être humain face au silence de Dieu ou du monde, absurde souligne l'incompréhension d'un seul sexe qui enfante, absurde paraît l'asymétrie des sexes au moment même où l'universel de l'égalité se proclame dans les grands textes d'après-guerre. On est loin des chicaneries concernant la non-représentativité d'une femme sans enfant... De cet absurde philosophique, nous devons partir pour poser la question de la maternité au XXIe siècle.


Selon vous "Le Deuxième Sexe" n'est pas à l'origine du féminisme contemporain, comme on peut le comprendre en lisant votre dernier livre "A côté du genre. Sexe et philosophie de l'égalité" (Ed. Le Bord de l'eau).


Je l'inscris dans une histoire longue, avec la reprise de l'idée d'égalité des sexes au XVIIe siècle - et la geste féministe depuis le XIVe siècle -, la mise en procès, juridique et politique avec et après la révolution française. Plus encore, la pensée féministe ne peut faire l'économie d'une question adressée à la tradition philosophique : où se trouve logé l'objet, le philosophème, sexe ou genre ? Dans les notes en bas de page, dans les digressions des philosophes masculins, ou dans le texte même comme monnaie d'échange de la pensée ? Précisons que le mot "sexe" ne disparaîtra pas dans le concept de genre.


Car l'essentiel réside dans la - future - réponse que nous apporterons à l'anhistoricité, à ce que j'appelle la ritournelle, à l'oeuvre dans les pensées de la domination comme dans celles de l'émancipation. La sexuation du monde fabrique de l'histoire, et cela n'est pas si facile à prouver.

En tout cas, la question de l'"origine" du féminisme contemporain est une très mauvaise question. On peut, au passage, s'interroger sur le choix académique de parler désormais de "vague" féministe... Je viendrais de la deuxième... L'image de la vague est intéressante car elle dit le déferlement et le ressac, l'offensive et l'apaisement ; mais numéroter les vagues est clairement problématique...

La première vague coïnciderait avec la IIIe République, en fait avec l'apparition du néologisme "féminisme". Mais que deviennent les saint-simoniennes, les femmes de la révolution de 1848 ? Il n'y a pas d'origine, seulement de la provenance, dit Michel Foucault.


Je m'intéresse à la provenance, reconstruction de la généalogie, reprise des morceaux du puzzle, de l'émancipation comme de la domination...


Pourquoi un homme est-il dispensé d'écrire sur son sexe ?


Simone de Beauvoir ne dispense pas les hommes, elle dit qu'ils n'auraient pas "l'idée" d'écrire... Par là s'ouvre la question du "qui" pense, ou agit. Il n'y a pas d'ange, dit-elle ; à quoi, en écho, on posera la question de l'intellectuel : "se mêler" ou ne pas se mêler de ce qui nous regarde, pour reprendre une formule sartrienne. Simone de Beauvoir se mêle de ce qui la regarde, les femmes, la vieillesse.


Michel Foucault proposait, et j'y souscris, d'être des intellectuels spécifiques, de se placer - penser ou agir - à partir d'un savoir précis, situé. Alors, quiconque peut écrire sur le sexe, son sexe.


Que voulez-vous dire quand vous écrivez : "Ni Germaine de Staël ni Virginia Woolf n'ont eu ce sens du partage avec d'autres femmes "éclairées"" ?
Chez ces deux écrivaines, je puise régulièrement de l'énergie. Simone de Beauvoir, je la situe ailleurs, dans cette lucidité étonnante du lien entre le "une femme" sûre de la conquête des privilèges et "toutes les femmes" à qui ce privilège doit être restitué. A partir de là commencent les difficultés, explorées dans A côté du genre, celle de la "contradiction démocratique d'une société sexuée", du "contretemps" de l'émancipation des femmes, d'un "devenir sujet" qui coexiste avec la "permanence de l'objet". Mon ambition est de contribuer au "dérèglement des représentations" que l'égalité des sexes introduit, dans l'art comme dans la vie.


Pensez-vous que nous soyons dans une période de régression, non seulement du féminisme, mais de la situation des femmes dans les pays occidentaux ?

Oui.
Propos recueillis par Josyane Savigneau