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[TRIBUNE] Seule l'ignorance ou la mauvaise foi se moque du phénomène d'identification et du réveil de la mémoire traumatique: le racisme rend malade.
Lorsqu'elle est verbalisée, la douleur reste sourde et dure depuis des années. | Nicola Barts via Pexels
Il y a quelques jours, j'étais invitée par une association à parler des conséquences du racisme sur la santé mentale. Alors que la réunion s'était organisée dans un délai de temps très court, la salle est pourtant comble et l'assistance à la fois transgénérationnelle et multiethnique. La tension est palpable. Ce furent deux heures d'échanges intenses où l'on sentait à la fois un besoin impérieux de s'exprimer, mais également une colère qui paraissait s'être sédimentée depuis des générations.
Lorsqu'au milieu de mon intervention, je déplore ouvertement qu'en France, aujourd'hui, certains me consultent en tant que psychiatre «racisée», je m'aperçois d'un mouvement dans la salle, de murmures, puis on me répond en chœur: «Mais c'est normal, les autres ne comprennent rien à ce que l'on vit», «j'en ai vu une qui a aggravé mon état». Forts applaudissements. Je suis ébranlée par tant de sincérité et de douleur exprimée face à des inconnus. Qui a dit que les questions psy étaient taboues pour les gens originaires du Sud ? Je ne veux pas abandonner mon idéal, alors je prêche l'universalisme de la médecine, notre fragilité à tous face à la maladie. Même réaction: «que du blabla», me fait-on comprendre.
La rhétorique républicaine n'est plus qu'un mirage quand un courant rétrograde et xénophobe monopolise la parole publique.
Pendant que l'État s'acharne sur les nouveaux venus et fait mine de croire que cette loi n'aura pas de répercussion sur les anciens, nous, soignants, pansons des plaies vives. Seule l'ignorance ou la mauvaise foi se moque du phénomène d'identification et du réveil de la mémoire traumatique: le racisme rend malade.
Lorsqu'elle est verbalisée, la douleur reste sourde et dure depuis des années. Mal de tête, insomnie, perte de confiance en soi, culpabilité, détestation de soi, désamour des siens, rituels handicapants, honte, surmenage, ébullition émotionnelle et intellectuelle, dépression, consommation de produits toxiques, décrochage scolaire ou universitaire, envies suicidaires, passages à l'acte, besoin de quitter le pays, de fuir pour trouver la paix, crainte pour ses enfants traités de «terroristes» dans les établissements scolaires ou contrôlés de façon récurrente... Les mères ne dorment jamais, leur enfant pourrait être violenté ou tué. «Regardez Nahel...»