Yann Thompson - Envoyé spécial à Ploubezre (Côtes-d'Armor)
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Il a fait une promesse à sa femme et à ses enfants : vivre jusqu'à Noël. S'accrocher encore quelques semaines, "et après, on verra". Philippe Bail, 72 ans, est atteint de la maladie de Charcot, une pathologie incurable qui affecte les muscles et qui mène vers une mort par asphyxie. Ses jambes ne répondent plus, ses bras à peine. Sa cage thoracique est presque figée. Ses yeux bleus, son sourire et ses paroles résistent encore. Sa vie ne tient plus qu'à un tuyau, celui de son appareil de ventilation, qui lui propulse de l'oxygène jusqu'aux poumons par un masque nasal.
Voilà bientôt cinq ans que le diagnostic est tombé. Avec une telle longévité face à Charcot, Philippe Bail fait déjà figure de patient émérite, un brin têtu. La mort n'est plus très loin, le Breton le sait. Il le souhaite, aussi. "Le désir de vivre s'épuise un peu chez moi", concède-t-il, blotti sous la couette de son lit médicalisé, dans une ancienne grange qu'il a retapée près de Lannion, dans les Côtes-d'Armor. Cet ancien médecin généraliste guette même "le bon moment" pour mettre fin à ses jours.
Alors que le projet de loi sur la fin de vie, un temps annoncé pour septembre, puis pour décembre, tarde à voir le jour, Philippe Bail plaide pour un droit à choisir le moment de sa mort. Il en témoigne dans un livre, Fidèle comme une ombre (éditions L'Harmattan), journal de bord de sa vie de malade. Dans ce récit des années "les plus tristes et les plus heureuses" de son existence, il invite aussi à changer de regard sur la maladie, la dépendance et la fin de vie, pour découvrir que "ce long travail du mourir peut être porteur de joie et de richesses".
"Si j'avais pu, j'aurais demandé l'euthanasie"
Du temps où il exerçait encore, le docteur Bail était un homme de principes. Du genre à vous réciter le serment d'Hippocrate, le code de déontologie médicale et le cinquième commandement. "Je ne provoquerai jamais la mort délibérément", lui soufflait une petite voix. "Tu ne tueras point", répétait une autre. Droit dans sa blouse, il contournait les rares appels de patients qui lui demandaient une euthanasie en douce. "Je m'engageais à rester leur médecin jusqu'à la fin et je parvenais à apaiser leurs souffrances par mes visites et par ma maîtrise des morphiniques et des antalgiques", assure-t-il.