par Laure Andrillon, Illustration Benjamin Tejero publié le 22 mars 2021
Pour le philosophe à succès, l’idéal méritocratique suggère que chacun jouant d’égal à égal, nous méritons notre réussite comme notre échec. En légitimant les inégalités, il alimente le ressentiment contre les élites et le populisme. L’Américain propose au contraire d’aligner les salaires à ce que les travailleurs apportent vraiment à la société et de remplacer la sélection à l’université par un tirage au sort.
Michael J. Sandel en 2018 à Oviedo, en Espagne. (Carlos R. Alvarez/Getty Images)
A l’université Harvard où il enseigne depuis 1981, Michael J. Sandel est surnommé «le Philosophe rockstar». Ses cours sur la justice ont fait déborder même les plus grands amphithéâtres du campus bostonien, et leur retransmission a été visionnée plusieurs dizaines de millions de fois sur YouTube. Son dernier ouvrage, la Tyrannie du mérite (Albin Michel, mars 2021), est venu toucher l’audience étudiante en plein cœur : le professeur de philosophie politique y affirme que la méritocratie est un mauvais idéal pour nos démocraties, car elle justifie les inégalités au lieu de les gommer. Selon Michael J. Sandel, l’aspiration méritocratique génère de la démesure chez les gagnants en même temps qu’elle attise la rancœur des perdants, ne faisant que creuser le sillon qui les sépare. Ce livre, qui se veut une invitation à l’humilité pour les élites des méritocraties du monde entier, est paru aux Etats-Unis moins de deux mois avant l’élection présidentielle américaine. La pensée de Michael J. Sandel a pris un sens tout particulier lorsque les résultats du scrutin ont été contestés par Donald Trump et ses partisans en novembre 2020, puis quand, le 6 janvier 2021, a éclaté l’émeute du Capitole. Depuis sa bibliothèque du Massachusetts, le philosophe américain se réjouit que son texte soit aujourd’hui disponible en France : car le Brexit, le mouvement des gilets jaunes, la montée du populisme en Europe indiquent que le Vieux Continent n’est pas épargné par cette montée du ressentiment chez les perdants de la méritocratie. En révélant la «face cachée» de cette notion tant aimée qu’est le mérite, Michael J. Sandel espère nous guérir de l’obsession de la réussite et donner un nouvel élan dans une quête qu’il juge délaissée : celle du «bien commun».