Laurence Devillairs publié le 17 novembre 2020
« Résilience et volonté. Cet esprit fut incarné par Charles de Gaulle [...]. Cet esprit est un héritage, celui de la France. » Ainsi twitta Emmanuel Macron, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort de Charles de Gaulle. La résilience, un terme de physique, désigne la capacité d’un métal à résister aux chocs. Le psychiatre Boris Cyrulnik en a fait une qualité de l’esprit : celle de surmonter les traumatismes. Ce fut ensuite au tour des ONG de vouloir « renforcer la résilience » des plus vulnérables. Et d’après un sondage des Échos, 76% des chefs d’entreprise considèrent la résilience comme une obligation. Avec De Gaulle, le mot termine sa révolution : c’est non seulement une vertu politique, mais encore la vertu du Général et même... l’héritage de la France. C'en est trop pour la philosophe Laurence Devillairs, qui entend donner un coup d’arrêt philosophique à ce concept envahissant ! D’abord parce que son omniprésence hors contexte (pour nommer tout et n’importe quoi, de l’opération militaire à la capsule spatiale privée) et surtout son usage abusif appauvriraient le réel et les facettes multiples de la souffrance ou de l’échec. Enfin parce que la résilience est selon elle une « vertu sans vertu » : pure capacité, il lui manque ce rien de transcendance – celui qui donne à la résistance une valeur morale.
« On imagine sans peine le rire du Général : résilient, de Gaulle ? Rebelle, anticonformiste, indépendant – mais résilient, non. L’esprit de résistance ne saurait pas davantage être ramené à une question de résilience. Le mot est pourtant devenu le tout de notre vie psychique, de notre vie morale – de notre vie tout court. La période semble le commander : face à un ennemi, qui est un virus sans but ni volonté, dans une situation qui ne peut donc être comparable à un état de guerre, il faudrait non pas résister mais “résilier”. Si, par là, on entend l’effort de patience, on veut bien être résilient. C’est même la seule chose un peu sensée à faire.
D’abord un terme de physique et non de psychologie, la résilience concerne la propriété des matériaux à résister aux chocs. De la métallurgie, elle en est venue à désigner l’aptitude à surmonter les traumatismes. Sorte de potentiel caché révélant l’individu à lui-même, de réservoir de santé et de créativité, elle donnerait un sens à la souffrance – mais la souffrance a-t-elle un sens ? Tout peut-il être converti en positif, constituer l’étape vers un mieux-être ? La résilience semble ainsi avoir remplacé les anciennes théodicées qui cherchaient à voir dans le mal un bien futur, encore inexploité, inaperçu. Avec, pour la résilience, cette idée de “réussite”, de “développement”, d’“habileté” dans les relations (Boris Cyrulnik, Parler d’amour au bord du gouffre, Odile Jacob, 2004), d’adaptabilité, propres à bannir la plainte, la tristesse, le chagrin, la colère, le malheur – qu’il vienne d’un deuil, d’une rupture ou d’une injustice.
Employé pour tout, en politique comme en psychologie, le mot conduit à un appauvrissement du vocabulaire. Et la pauvreté dans les mots peut aisément déboucher sur une uniformisation dans les choses et dans les êtres. Tout ce qui fait la richesse, la difficulté aussi, de nos préoccupations morales, tout ce qui nourrit nos inquiétudes existentielles, disparaît : tout est tendu vers la résilience, cette vertu sans vertu. Le mot a en effet le pouvoir de gommer toute référence éthique, ce quelque chose en plus que l’on désire défendre, et qui fait s’engager ou s’indigner : la résilience est en effet plus aptitude psychique que courage. Elle est plus endurance qu’espérance.
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