Des soignants racontent à franceinfo leurs souffrances après avoir dû faire face à l'épidémie de coronavirus. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)
Fabrice Viel a attendu que le petit groupe soit installé pour rappeler une règle d'or des groupes de parole qu'il anime. "Tout ce qui va se dire ici reste entre nous, insiste le psychologue. Aucun de vos propos ne finira dans un dossier ou dans un logiciel." Ce vendredi 29 mai, ce sont les brancardiers de l'hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis) que le psy s'apprête à écouter pendant une bonne heure. Ils sont sept, même tenue blanche sur le dos, à prendre place autour de la table. Pour pouvoir exprimer leur ressenti sur la crise du coronavirus qu'ils viennent de traverser, certains ont écourté leur pause déjeuner, d'autres se sont débrouillés pour s'absenter du service quelques instants.
Car cette épidémie, hors norme, a laissé des traces chez le personnel soignant. "Certains sont épuisés, ça se voit et ça s'entend, observe Fabrice Viel. C'est une expérience à laquelle ils n'étaient pas préparés." Ce jour-là, dans la bouche des brancardiers, ce n'est pas le fait de côtoyer la mort qui a marqué mais "la massivité". Quelque chose qui "n'arrêtait pas", des corps qu'il était "impossible" de déplacer "de manière discrète" comme cela se fait normalement. On évoque ce "planning qui change la veille pour le lendemain", cette chambre mortuaire "trop petite" et ces "espaces réfrigérés" qu'il a fallu réquisitionner. On rit aussi, parfois – les nerfs qui lâchent.
Le référent psy plan blanc GHU Paris-Seine-Saint-Denis distribue la parole, rebondit, mais ne prend pas de notes. Jamais. "Le but est que chacun puisse parler de la période Covid, comment il l'a vécue. Très bien, très mal, tout peut être dit, il n'y a pas de barrière, détaille-t-il à franceinfo. S'il y a de la colère contre l'administration, OK. Si c'est contre le manque de matériel, OK. S'il y a des mots un peu limites, pas grave. On accueille tout ce qui vient, il n'y a pas de tri."
Les gens que j'ai en face de moi ont mangé Covid, bu Covid pendant des semaines. Ils étaient dans un tunnel, en mode robot, ils faisaient les choses presque de manière systématique.
Fabrice Viel, psychologue
à franceinfo