Marion Police Publié samedi 11 janvier 2020
Un clitoris tagué au détour d’un mur, des podcasts, des films, des ateliers de découverte du corps, des artistes, photographes, chanteuses comme le trio L.E.J clamant tout haut «j’ai la dalle»: le plaisir féminin ne se cache plus. Voire il se revendique, après de longues années silencieuses
En 2020, sous nos latitudes hyperconnectées, on ne peut plus dire qu’on ne sait pas à quoi ressemble un clitoris. On ne peut plus dire que l’orgasme féminin est un mystère. On ne peut plus dire que le sexe n’intéresse pas vraiment les femmes. Depuis deux ans, les productions culturelles et éducatives se multiplient pour parler d’un thème resté longtemps muré dans le silence.
Les vingt-quatre derniers mois ont vu éclore des projets retentissants à l’instar du documentaire
Female Pleasure de la Suissesse Barbara Miller, ovationné au dernier Festival de Locarno, qui revient sur l’émancipation sexuelle de cinq femmes d’origines et de confessions différentes. Broyant les stéréotypes sur l’orgasme féminin, le compte Instagram «
TasJoui» lancé en 2018 est suivi par près d’un demi-million de personnes; des associations comme
Clitorismoi en Suisse, des livres ou des sites à l’instar de
Pussypedia.net se donnent pour mission de démystifier le plaisir féminin, comblant un manque laissé par une éducation sexuelle absente ou lacunaire.
La jouissance des femmes est désormais chose publique, si bien que tout un chacun s’en saisit autant que les acteurs et actrices culturels, médiatiques, voire politiques: en réponse à la conseillère d’Etat Marianne Maret qui avait déclaré en novembre: «Comme toute femme au foyer qui s’ennuie, j’ai rendu la maison impeccable!», la députée socialiste Sarah Constantin écrivait sur Facebook: «Comme toutes les femmes au foyer qui s’ennuient, je me masturbe.» La troisième décennie des années 2000 est-elle en train de s’inscrire comme celle d’une nouvelle révolution pour les femmes, celle du droit à prendre du plaisir, et à le clamer?
La «traversée du désert» depuis 1980
Si l’on convoque les années 1970, celles qui ont vu se déployer le mouvement féministe dit de la deuxième vague, on retrouve pourtant des initiatives qui ressemblent furieusement à certaines que l’on qualifie de «nouvelles» aujourd’hui. Le Collectif de Boston, un groupe de 12 femmes constitué lors d’une conférence du Mouvement américain pour la libération des femmes (Women’s Liberation Movement), édite en 1969 un ouvrage regroupant toutes ses connaissances acquises au fil de témoignages, groupes de parole, entretiens avec des spécialistes, au sujet des femmes et de leurs corps. Intitulé
Our Bodies, Ourselves, le «guide» fait un tabac aux Etats-Unis et sera traduit et/ou adapté dans une trentaine de langues, dont le français en 1977. Il est désormais épuisé, oublié, et n’a pas été révisé jusqu’à ce que l’année dernière, un collectif d’autrices françaises baptisé «
Notre corps, nous-mêmes» se constitue pour l’actualiser. Il sortira aux éditions indépendantes
Hors d’atteinte en février 2020.
Tout se passe comme si les discussions autour de la sexualité féminine s’étaient évaporées après le combat pour le droit à disposer de son corps, notamment pour l’avortement et la contraception, que Maïa Mazaurette, journaliste, chroniqueuse dans nos pages et autrice – entre autres* – de La Revanche du clitoris, ne s’explique pas. «J’aimerais bien qu’on fasse un jour l’archéologie de cette traversée du désert: comment se fait-il que pendant trente ans, ma génération (les enfants de soixante-huitards) ait lâché sur un point aussi fondamental? J’ai été soulagée de voir les millennials et la génération Z [les 30 à 40 ans et les 15 à 24 ans aujourd’hui, ndlr] s’emparer de ce sujet […] Cependant, cela nous rappelle qu’un combat tombe vite aux oubliettes et que chaque génération doit le poursuivre.»