Pour l’archéologue Jean-Paul Demoule, l’invention de l’agriculture et de l’élevage est une révolution sans égale pour l’humanité. Une période pourtant reléguée au second plan
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Propos recueillis par Pierre Barthélémy
Spécialiste du néolithique et de l’âge du fer, Jean-Paul Demoule est archéologue et professeur émérite à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Il a présidé l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) de sa création en 2002 jusqu’en 2008.
Dans votre dernier ouvrage, « Les dix millénaires oubliés qui ont fait l’histoire » (Fayard, 320 p.), vous expliquez le rôle fondamental, pour l’histoire de l’humanité, de la révolution néolithique. Qu’est-ce au juste ?
C’est le fait que l’homme, au lieu de ramasser des fraises des bois et de chasser des lapins, a décidé de prendre le contrôle d’un certain nombre d’animaux et de plantes. Donc d’inventer l’agriculture et l’élevage. Ce qui a permis la sédentarité et provoqué un boom démographique parce que, en moyenne, les chasseuses-cueilleuses ont un bébé tous les trois ou quatre ans tandis que c’est tous les ans pour les agricultrices – même si une partie des enfants meurent en bas âge.
Cela explique qu’en dix mille ans on est passé de quelques centaines de milliers d’humains, qui, sur la planète, vivaient dans des petits groupes de 20 ou 30 personnes, aux masses humaines de bientôt 9 ou 10 milliards d’individus. Tout le reste découle de cet événement : la révolution industrielle, la révolution numérique n’en sont que les conséquences à moyen terme. C’est ce qui fait que cette révolution néolithique n’a pas de comparaison dans l’Histoire.
L’invention de l’agriculture et de l’élevage, c’est aussi le passage à un rapport différent avec la nature…
Les chasseurs-cueilleurs se sentent immergés dans la nature. Quand on va tuer un animal, on demande l’autorisation à l’animal ou aux esprits des animaux, et quand on veut exprimer sa vision du monde, on le fait aussi au travers des animaux, comme on le voit dans les grottes ornées. Devenir éleveur, cela suppose un renversement radical de cette vision du monde, comme s’extraire de la nature : les chasseurs-cueilleurs avaient bien domestiqué le chien à partir du loup, mais c’était plutôt pour une sorte d’association gagnant-gagnant, ce qui n’est pas le cas dans une domestication pour la viande.