Par Emmanuel Fansten — 23 août 2016 à 20:01
Après avoir relié plusieurs cas d’abus de faiblesse, la police a découvert en 2010 l’existence d’un système d’escroquerie orchestré par une thérapeute experte dans l’art d’influencer ses patientes.
Les premiers soupçons remontent à l’automne 2009. Dans ces territoires déshérités du nord de la France, les gendarmes de la Section de recherches de Lille ont la triste habitude d’enquêter sur des affaires de mœurs sordides. Ce jour-là, c’est Emeline A. (1), 35 ans à l’époque, qui vient les voir et leur explique calmement : «Je suis ici pour vous dire tout ce que je sais sur les agissements d’un réseau de pédophilie qui tue des enfants.»
Ancienne cadre chez BNP Paribas, cette femme au discours clair et aux mots choisis affirme avoir été elle-même victime de ce réseau dans son enfance, et va jusqu’à mettre en cause ses parents dans l’organisation de faits atroces : orgies avec mineurs, sacrifices d’enfants, avortements forcés, expériences sur le cerveau, et même magie noire.
Aucune de ces accusations n’étant étayée par un début de preuve, les gendarmes pensent aussitôt au phénomène des «faux souvenirs induits». Cette technique, bien connue de la mouvance sectaire, consiste à faire croire à une personne que sa souffrance psychologique provient d’un traumatisme dont elle ne se souvient plus. Une thérapie déviante qui vise à faire rompre le patient avec sa famille pour mieux le mettre sous emprise.
Psychothérapies sauvages
Rapidement, les enquêteurs font le rapprochement avec d’autres dossiers étrangement similaires. Au cours des mois précédents, plusieurs plaintes pour «abus de faiblesse»enregistrées à Paris présentent en effet de nombreux points communs avec le récit livré devant les gendarmes lillois. Les victimes, des femmes pour la plupart, décrivent toutes le même scénario : des séances de kiné ou d’ostéopathie prodiguées par une certaine Marie-Christine P., qui glissent peu à peu vers des psychothérapies sauvages. Au fil de ces rendez-vous hebdomadaires, réglés 100 euros en espèces, la thérapeute conduit invariablement ses patientes à raconter des souvenirs qu’elles n’ont jamais vécus, toujours en lien avec des abus sexuels prétendument subis durant l’enfance. «Elle m’a fait comprendre que ma mère avait cherché à me tuer quand j’étais dans son ventre», relate l’une des victimes dans sa plainte.«J’en suis arrivée à accuser mon père de viol sur ma personne», confesse une autre. A chaque fois, la «rupture» avec l’environnement familial et amical est présentée par Marie-Christine P. comme la seule voie possible vers la «guérison». Les patientes sont alors incitées à faire un «procès» à leurs parents, voire à les «briser» par tous les moyens.
Saisis de l’enquête en janvier 2010, les policiers de l’Office central de la répression de la violence aux personnes (OCRVP) ne tardent pas à relier directement les plaintes parisiennes à l’affaire lilloise. Car la femme qui s’est présentée spontanément aux gendarmes du Nord, Emeline A., connaît elle aussi très bien Marie-Christine P., la thérapeute adepte des faux souvenirs. Elle l’a consultée la première fois au début des années 2000 à la suite d’une chute de cheval, en qualité de kinésithérapeute. Mais les massages aux cervicales ont rapidement dérivé vers des séances de confession de plus en plus intrusives. Puis, comme les autres patientes de Marie-Christine P., Emeline A. en est arrivée à détester viscéralement ses parents. Face aux policiers de l’OCRVP qui l’auditionnent à nouveau, l’ancienne directrice financière décrit une mère «perverse» véhiculant des rumeurs à son encontre pour l’empêcher de dévoiler les activités de son réseau pédophile. Une génitrice prête à tout pour «éliminer les témoins gênants de ses crimes» et qui bénéficierait, selon elle, d’un «réseau infiltré dans les RG, la police, la justice et chez les experts psychiatriques». Un cas d’école de faux souvenirs induits.
Mais plus encore que la paranoïa aigue d’Emeline A., ce sont les sommes colossales versées à sa guérisseuse qui intriguent les enquêteurs. En à peine un an, la patiente de Marie-Christine P. a retiré près de 800 000 euros en liquide. Une somme repérée grâce à un signalement de Tracfin, le service antiblanchiment de Bercy. Lors des perquisitions menées au domicile parisien et dans la résidence secondaire de la thérapeute, les gendarmes mettront la main sur de grosses sommes en espèces. Dans un procès verbal de synthèse, ils mentionnent également «de fortes incohérences entre les activités de consultante alléguées par Marie-Christine P. et son train de vie élevé» . Un train de vie qui doit beaucoup à la fascination exercée sur ses patientes, toutes de plus en plus généreuses.