Qu’est-ce qu’un procès si ce n’est un moment où l’on voit à quel point nos vies sont aux mains de l’Etat ? s’interroge l’auteur de «Juger, l’Etat pénal face à la sociologie». Le philosophe prône un droit plus démocratique qui donnerait aux acteurs la possibilité de définir eux-mêmes la façon de rendre justice.
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Cette individualisation des causes passe notamment par l’enquête de personnalité et l’expertise psychiatrique…
Dans un tribunal, comme dans le monde en général, la réalité des déterminations sociales est flagrante. Cela se voit. Mais pour juger, il faut faire comme si le monde n’existait pas : il faut reléguer au second plan les éléments contextuels qui nous poussent à faire ce que nous faisons et qui sont à l’œuvre dans ce qui arrive. D’où l’importance des enquêteurs de personnalité, puis des psychiatres : ils isolent les individus et parlent non-sociologiquement de la vie. L’enquête de personnalité retrace le curriculum vitae de l’accusé, ses choix amoureux, son rapport au travail… Mais la détermination du milieu n’est jamais abordée. On explique le geste de l’accusé par sa «personnalité» alors que, précisément, la personnalité est ce qu’il faudrait expliquer… L’expertise psychiatrique situe l’origine des actions des individus dans leur «structure interne». Par exemple, un expert déclare à propos d’un braqueur qu’il l’est devenu à cause d’une structure psychique du manque : ce n’est pas parce qu’il n’a pas d’argent qu’il vole mais parce qu’il vit sa réalité sur le mode du manque. Le crime est compris comme l’extériorisation d’un rapport de soi à soi et non comme expression d’un rapport du monde à soi. J’y vois une stratégie pour dépolitiser le monde.