LE MONDE |
Comme il est loin déjà le temps où certains célébraient les noces de la démocratie représentative et du marché comme « la fin de l’histoire ». Mais c’est bien à la fin de quelque chose que nous avons affaire. Les murs et les barbelés qui traversent l’Europe donnent un avant-goût de ce qui vient, comme aussi la sévère, quasi vindicative, discrimination entre réfugiés « de guerre » et réfugiés « économiques », c’est-à-dire, apprenons-nous, « climatiques » déjà, voués à survivre dans des camps. Ce qui s’annonce est une forme d’état d’urgence permanent, l’institution d’une gestion planétaire autoritaire des populations, avec l’impératif sans appel du « nous n’avons pas le choix », et ce, sur fond de business-as-usual.
Il n’est plus temps de penser que la crise sera temporaire, comme le font ceux qui présentent ce qu’on appelle l’anthropocène comme l’époque où l’homme, prenant conscience de ce qu’il est devenu une force géologique, trouvera les moyens de « réparer » la Terre. Le désordre climatique qui s’installe ne témoigne pas de la puissance humaine. Il a été déclenché par ceux qui ne savaient pas qu’ils jouaient avec le feu, et qui entendent bien continuer à le faire.
J’appartiens à la génération qui échappera peut-être, dans nos pays du moins, à ce qu’auront à vivre non pas « les générations futures », mais les enfants d’aujourd’hui. Mais c’est à elle aussi que des comptes seront demandés : « Vous saviez, qu’avez-vous fait ? » Et cette question est posée aujourd’hui car, nous le savons, quoi que la COP21 puisse décider, ces enfants et leurs enfants auront à vivre dans les ruines de ce que nous avons appelé progrès. La réponse que nous pourrons leur donner, la manière dont nous nous serons rendus capables de donner réponse à cette question, feront partie de ce que nous leur laisserons. Poison du désespoir et de l’irresponsabilité, ou alors courage d’inventer la différence entre survivre, chacun pour soi, et, vaille que vaille, vivre ?