Le 14 janvier, l’interview de Caroline Fourest sur Sky News au sujet des attaques contre Charlie Hebdo s’est brutalement interrompue au moment où, à l’insu de son hôte, l’invitée a brandi le dernier exemplaire du journal pour en montrer la couverture au public britannique. La journaliste Dharshini David s’est alors excusée auprès des téléspectateurs qui auraient pu être«offensés» en rappelant que la politique de sa chaîne était de ne pas montrer les caricatures du Prophète. Cette censure a immédiatement déclenché des réactions d’indignation de la part des médias français et l’intéressée a parlé «d’une violence inouïe et d’une hypocrisie absolue».
L’épisode s’inscrit dans un contexte plus large où deux pratiques éditoriales s’opposent. Les uns, notamment en France, considèrent qu’il est important de montrer pour défendre le droit d’expression. Les autres, particulièrement en Grande-Bretagne mais aussi aux Etats-Unis, estiment qu’il est préférable de ne pas montrer pour ne pas blesser les musulmans. Nombre de commentateurs revendiquent la première posture et stigmatisent la seconde, dans laquelle ils voient au mieux de la complaisance, au pire de la lâcheté. Je voudrais suggérer que, plutôt que de caricaturer, si j’ose dire, on peut essayer de comprendre, et plutôt que d’imaginer que s’affrontent une position morale et une autre immorale, penser que ce sont deux éthiques qui sont en jeu. On n’aurait donc pas un combat entre le bien et le mal, entre ceux qui ont raison et ceux qui ont tort, mais une confrontation de deux approches éthiques de la politique.
Le sociologue allemand Max Weber peut nous aider sur ce plan. Dans une conférence fameuse sur la politique, il écrit que «toute activité orientée selon l’éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées». D’un côté, «l’éthique de conviction» repose sur le principe kantien du devoir : il faut agir en fonction de principes supérieurs auxquels on croit. De l’autre, «l’éthique de responsabilité» relève de la philosophie conséquentialiste : il faut agir en fonction des effets concrets que l’on peut raisonnablement prévoir.