C’est dans le secret de ses bureaux, au cœur du ministère de la santé, avenue de Ségur, qu’est fixé le prix de tous les médicaments commercialisés en France. Peu connu du grand public, le Comité économique des produits de santé (CEPS) négocie depuis vingt ans avec les laboratoires pharmaceutiques pour décrocher le meilleur « deal » possible pour l’Etat et les patients. Un savant dosage pour garantir aux Français l’accès aux meilleurs traitements sans ruiner davantage la Sécurité sociale ni se fâcher avec une industrie qui reste un important employeur dans le pays.
Son rapport annuel, publié mercredi 22 octobre, apporte un éclairage précieux, alors que la bataille autour du budget de la Sécurité sociale se poursuit cette semaine. Le gouvernement souhaite économiser 1 milliard d’euros sur sa facture de médicaments, en expliquant que la France dépense trop et depuis trop longtemps. En face, les laboratoires s’inquiètent du financement de leur recherche et menacent de couper leurs investissements industriels. Tandis que les deux camps affûtent leurs chiffres, voici ce que révèlent les statistiques compilées par le CEPS.
Les Français ont acheté en 2013 un peu plus de 2,5 milliards de boîtes de médicaments, soit un peu moins qu’il y a dix ans
Les médicaments sont-ils vraiment trop chers ? « Les comparaisons internationales de prix de médicaments restent relativement rares et d’interprétation délicate », souligne le CEPS, mais quelle que soit la méthodologie appliquée, la France n’apparaît pas au premier abord comme un pays de cocagne pour les laboratoires.
Une étude du très sérieux National Health Service (NHS) britannique, qui comparait en 2010 les prix des 250 médicaments les plus consommés au Royaume-Uni à ceux pratiqués dans dix autres pays européens et aux Etats-Unis, montre que les vignettes françaises sont plutôt raisonnables. L’équivalent d’un « panier » vendu 100 euros au Royaume-Uni coûte ainsi 103 euros en Italie, 142 euros en Allemagne, 254 euros aux Etats-Unis… mais 95 euros en France.
Une autre étude, réalisée à la demande du LEEM (le lobby des laboratoires) par Pierre-Yves Geoffard, chercheur à l’Ecole d’économie de Paris, s’intéresse au prix des médicaments en fonction de leur valeur thérapeutique. Elle compare les prix des produits lancés entre 2008 et 2012 en France avec ceux pratiqués en Allemagne, en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni. Il en ressort que pour les molécules les plus innovantes (celles à qui la Haute Autorité de santé – la HAS – a attribué une « très bonne note », c’est-à-dire 1, 2 ou 3), la France est plus « généreuse » que le Royaume-Uni, mais beaucoup moins que ses autres voisins.
MACHINE À CASH
Pour les médicaments qui n’apportent aucun progrès thérapeutique par rapport aux traitements existants (ceux à qui la HAS – attribue un 5, la note la plus faible et la plus courante, puisque les trois quarts des molécules étudiées sont dans ce cas), la France se montre aussi plus économe.
Mais il ne s’agit pas pour autant d’un « cadeau » des laboratoires. Les rabais sont la contrepartie des volumes importants que leur achète le pays. Les Français ont acheté en 2013 un peu plus de 2,5 milliards de boîtes de médicaments. C’est un peu moins qu’il y a dix ans mais cela reste un record. Autre exception française :« Une prescription davantage orientée vers des médicaments nouveaux, au détriment de médicaments plus anciens et moins coûteux, mais pas forcément moins efficaces », note Dominique Giorgi, président du CEPS, dans l’introduction du rapport.
Une aubaine pour les laboratoires ! Ainsi, au palmarès des 10 molécules remboursables les plus vendues dans les officines françaises, chacun trouve sa machine à cash : Novartis a son Lucentis (dégénérescence maculaire) et son Glivec (leucémie), Abbvie son Humira (polyarthrite rhumatoïde), AstraZeneca son Crestor (anticholestérol) et son Symbicort (asthme), GSK son Seretide (asthme), Pfizer son Enbrel (polyarthrite rhumatoïde), Sanofi son Lantus (antidiabétique), MSD son Inegy (anticholestérol) et Gilead son Truvada (VIH). Au total, ces dix « blockbusters » totalisent plus de 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires, bien qu’ils n’aient pas tous été « bien notés » par la HAS.
À L’HÔPITAL, C’EST ROCHE QUI SE TAILLE LA PART DU LION
À l’hôpital, c’est le laboratoire Roche qui se taille la part du lion avec ses anticancéreux, Avastin en tête. L’américain Johnson & Johnson (dont le Remicade est très prescrit pour soigner des maladies inflammatoires) et son compatriote Bristol-Myers Squibb (dont le Yervoy est indiqué dans le traitement des mélanomes) font également de bonnes affaires en France. Ces molécules rapportent déjà plusieurs milliards et leurs ventes progressent très rapidement, constate le CEPS.
Au final, les grands noms de la pharmacie empochent ainsi une bonne partie des 24,7 milliards d’euros que la France dépense chaque année pour acheter ses médicaments (elle est le deuxième marché européen derrière l’Allemagne). Mais la « belle époque » est peut-être en train de s’achever : ce chiffre est en baisse pour la seconde année consécutive.
Depuis deux ans au CEPS, on renégocie à la baisse le prix des boîtes déjà commercialisées, et les nouveaux médicaments n’accèdent au marché qu’à « prix cassés ». Le message du gouvernement aux laboratoires est clair : « Nous consommons trop de médicaments de marque et trop de médicaments chers », martelait au printemps Marisol Touraine, la ministre de la santé.
Le remède ? Des ordonnances plus « lights » qui accordent davantage de place aux génériques, même s’ils restent bien plus chers qu’ailleurs, compte tenu de la marge élevée (plus de 60 %) appliquée par les pharmaciens sur ces médicaments. Ces économies sont le prix à payer pour que le patient « France » puisse à l’avenir s’offrir des médicaments « chers » mais au bénéfice indiscutable, ce qui n’est pas toujours le cas des molécules pour lesquelles l’Assurance-maladie débourse aujourd’hui des milliards.