Le titre de cet ouvrage en exprime exactement la thèse : il dit que la maladie mentale est, en tant que concept, un mythe et que, en tant qu’événement particulier et concret, le phénomène qualifié de maladie mentale est une maladie métaphorique. En d’autres termes, la maladie mentale est un langage et non pas une lésion ; la pratique psychiatrique fait quelque chose avec ce langage ou à ce langage, elle fait quelque chose avec les gens qui utilisent ce langage (en abusent) ou à ces gens – elle n’opère ni diagnostic ni traitement d’une maladie.
Nous pourrions donc dire très simplement, et à mon avis à juste titre, que le malade mental s’exprime dans l’énigme du « symptôme psychiatrique », et que le psychiatre répond dans la contre-énigme du « diagnostic psychiatrique » et du « traitement psychiatrique ». Tout ceci est parfait pour des gens qui ne désirent pas réellement se rencontrer face à face, qui ne désirent pas réellement se comprendre mutuellement. C’est-à-dire pour une large proportion de la race humaine. Mais c’est une chose parfaitement inacceptable pour ceux qui désirent rencontrer leurs camarades humains comme des personnages et non pas sur la table d’autopsie, ni derrière les portes closes de l’asile d’aliénés ou même allongés sur le divan analytique mais face à face ; pour ceux qui désirent comprendre leurs compagnons humains – non pas comme des patients malades, non pas comme des fous ni même des névrosés, mais comme des compagnons qui font preuve d’imagination.
S’il est vrai, comme je le prétends, que ce que nous appelons aujourd’hui « maladie mentale » est un faux concept de notre ère scientifique, d’une époque qui voit des problèmes compliqués là où elle est en face de solutions évidentes, nous devrions nous attendre à ce que les écrivains qui vivaient jadis n’aient éprouvé aucune difficulté à comprendre ce qui nous semble être de mystérieuses maladies mentales. C’est exactement ce qui se passe lorsque nous lisons Shakespeare ou Molière.