Florange a deux croque-morts. Leurs magasins de pompes funèbres se situent à quelques dizaines de mètres l’un de l’autre, au centre ville, juste à côté de l’église Sainte Agathe. Ils ne sont pas concurrents, plutôt amis. Ici, on les aime bien. L’un est du genre fluet, c’est Gaston Parachini. L’autre grand et imposant, c’est Thierry Fischer. Il porte une épingle à cravate ornée de deux petites urnes funéraires. Ce sont deux personnalités différentes, avec une vraie sensibilité, un même respect de leur métier et surtout un sacré sens de l’humour. "Dans ce boulot, on rit beaucoup. On n’a pas le choix. Si on est triste, on se flingue. Parce que notre métier, on vit avec", assure Thierry Fischer.
Thierry Fischer, croque-mort à Florange. © Florence Beaugé/LeMonde
L’un et l’autre sont de la région. Ils y sont profondément attachés. Thierry Fischer se dit même "Lorrain avant d’être Français". La fermeture des aciéries, ça le met en boule. Il a un "sentiment d’injustice" par rapport à l’histoire. "De Gaulle avait choisi la Croix de Lorraine, non ? On a été annexé, on a souffert, on s’est battu, et maintenant on nous dit au revoir !" Pour lui, la région devrait "avoir son indépendance". ArcelorMittal ? "C’est de la politique médiatique. Fallait agir il y a quatorze mois, quand on a arrêté les hauts-fourneaux. Faire tout péter. Boycotter les élections. Car à présent, venir serrer des pognes, ça sert à rien."
La crise, voilà des années que les deux croque-morts de Florange la sentent passer. Mais ces derniers temps, elle est "plus flagrante encore", disent-ils. La préoccupation numéro un des familles quand elles entrent dans leurs magasins, c’est le coût des obsèques, beaucoup plus que leur deuil.
Est-ce pour cela que la crémation est en augmentation constante ? Gaston Parachini le croit. "Avec l’incinération, les gens font l’économie de la pierre tombale. Ils prétextent que les enfants ne vont plus au cimetière. Moi je crois que c’est plutôt le manque d’argent. En tout cas, c’est lié."
Thierry Fischer n’est pas d’accord. "Tout le monde s’imagine qu’une crémation est moins chère qu’une inhumation, mais c’est faux ! Ca revient à peu près au même[dans les 3000 à 4000 euros], et parfois c’est même encore plus cher", remarque-t-il. En revanche, "les gens font de plus en plus le tour des pompes funèbres pour comparer les devis".