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Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

mercredi 4 juillet 2012



Conscience es-tu là ?

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 


Mardi 5 juin. CHU de Liège, site du Sart Tilman, service de neurologie. Les baies vitrées de la chambre 14 offrent une vue plongeante sur une vaste forêt. Il y a même un balcon, mais la jeune femme allongée sur le lit médicalisé ultramoderne n'en profitera pas. Mutique, les yeux dans le vague, elle n'a aucune réaction apparente au salut de l'équipe médicale. "Nous sommes venus de France pour savoir dans quel état de conscience est Claire, précise sa mère à Marie-Aurélie Bruno, la neuropsychologue qui a organisé ce séjour d'une semaine. Est-elle loin, est-elle près ? Parfois, il n'y a plus de son, plus d'image pendant plusieurs jours. Parfois, elle peut se manifester davantage, bouger les membres spontanément et sur commande, cligner des yeux quand on lui pose une question."
La vie de Claire, tout juste 30 ans, s'est suspendue un jour de décembre 2004, à la suite d'un grave accident de voiture avec traumatisme crânien. Après deux mois en réanimation et deux ans dans un service spécialisé sans amélioration majeure, ses parents ont aménagé leur domicile pour l'accueillir en 2007. Cette famille du Nord-Pas-de-Calais a récemment déboursé 8 000 euros et 1 400 euros de taxi, des sommes que refuse de prendre en charge l'assurance-maladie, pour avoir l'avis du Coma Science Group de Liège. Cette équipe, dirigée par le charismatique neurologue Steven Laureys, 43 ans, l'un des chercheurs les plus en pointe dans ce domaine, a développé un protocole unique pour évaluer l'état de conscience d'individus dont le cerveau a été gravement endommagé.
Victimes de traumatisme crânien, d'anoxie (après un arrêt cardiaque par exemple) ou d'accident vasculaire cérébral des mois ou des années auparavant, la plupart ne sont plus comateux au sens strict. Le coma, qui dure rarement plus de quelques semaines, se définit par une absence de conscience, mais aussi d'éveil. Or, ces patients ouvrent spontanément les yeux et ont des cycles veille-sommeil. Mais, faute de communication, leur degré de conscience du monde extérieur et d'eux-mêmes reste un mystère pour leurs proches.
Pendant une semaine, avec une palette d'examens allant du plus simple au plus sophistiqué, volontairement redondants, les neuropsychologues, médecins, ingénieurs et kinés du Coma Science Group (une trentaine de personnes en tout) multiplient les stimulations et traquent le moindre indice de conscience. C'est ainsi que, dans bien des cas, dont quelques-uns ont fait la "une" des médias, l'équipe a pu établir que des personnes étiquetées en état végétatif (EV) présentaient en fait des signes de conscience. Un tel diagnostic peut changer beaucoup de choses. Les chances d'émerger et de retrouver une communication sont plus grandes en état de conscience minimale (ECM) qu'en cas d'état végétatif. Les patients en ECM peuvent ressentir des émotions, des douleurs dont il faut tenir compte au quotidien. Enfin, la présence ou non de conscience peut être déterminante dans la réflexion sur la fin de vie et la poursuite des soins.
Avant de commencer la première évaluation de sa nouvelle patiente, la neuropsychologue Marie-Aurélie Bruno prend le temps d'expliquer à la mère de celle-ci le planning chargé de la semaine. "Nous sommes une équipe clinique et de recherche, je vais vous dire quels tests relèvent de l'un ou de l'autre", dit-elle, en détaillant chacun et ce qu'il peut apporter.
MERCREDI 6 JUIN
Dina Habbal franchit le seuil de la chambre 14 avec une grosse valise. La jeune neuropsychologue d'origine syrienne en sort un casque futuriste recouvert de pastilles d'où émerge une forêt de fins câbles. Un boîtier, des écouteurs et deux ordinateurs portables complètent le dispositif. C'est un électroencéphalogramme (EEG) dit de haute densité, avec 256 électrodes. "L'EEG standard, avec 16 à 20 électrodes, enregistre l'activité électrique du cortex avec de bonnes performances temporelles, mais les résultats ne sont pas fiables pour la dimension spatiale, précise Marie-Aurélie Bruno. Avec l'EEG de haute densité, encore au stade de la recherche, l'objectif est d'améliorer la résolution spatiale."


Test de communication par interface cerveau-machine.

Ce matin, l'appareil va permettre d'étudier les réponses du cerveau de Claire à des stimuli auditifs, des séries de bips avec des changements de tonalité. Chez les patients en état végétatif, l'examen peut mettre en évidence une altération des connexions entre les lobes temporal et frontal du cortex.
Tout en lui expliquant le déroulement du test, Dina installe le casque d'EEG sur la tête de Claire, lui met les écouteurs. Deux de ses soeurs, en visite ce jour-là, discutent des moyens d'expression de la jeune femme. "Quand elle tousse bien, elle sait qu'on va venir", assure Agnès, sa jumelle. "Oui, et elle soupire quand elle est agacée", ajoute Léa. Une demi-heure plus tard, le super EEG est terminé, l'enregistrement sera analysé dans les jours à venir.
Marie Thonnard, une autre neuropsychologue - elles sont au total sept dans l'équipe, toutes des femmes -, arrive pour l'un des autres examens cruciaux de ce bilan, le Coma Recovery Scale-Revised (CRS-R). Pendant le séjour, ce test comportemental sera pratiqué quotidiennement, à des horaires différents, par des opérateurs différents ; une stratégie qui augmente les chances d'objectiver de façon fiable les signes de conscience, souvent fluctuants chez ces patients.
Composé de plus de vingt items, le CRS-R mesure l'éveil, la perception auditive et visuelle, les capacités motrices et orales et la communication. Avec un matériel très réduit (quelques objets, dont un miroir et une cloche), il permet ainsi de distinguer les états végétatifs des états de conscience minimale. Steven Laureys et son équipe, qui ont fait la traduction française de cette grille américaine, militent depuis des années pour que son usage soit généralisé.
Pour stimuler Claire, Marie Thonnard lui masse d'abord l'épaule en l'appelant par son prénom, puis elle enchaîne les exercices. Le protocole est rigoureux : chaque demande est répétée quatre fois, le résultat est noté positif s'il y a eu au moins trois réponses. "Bouge les jambes, Claire, de toutes tes forces", ou encore "Fais entendre ta voix". L'ordre est toujours donné d'une voix chaleureuse, encourageante. S'il n'y a pas de réponse, la neuropsychologue tente les consignes par écrit. Puis elle lui demande de suivre du regard un miroir qu'elle passe devant ses yeux. L'équipe de Liège a montré que cet accessoire est plus efficace qu'un objet neutre pour détecter une poursuite visuelle, l'un des premiers signes de conscience. Mais les yeux de Claire ne suivent pas, peinent à rester ouverts.
Deux heures plus tard, la neuropsychologue recommence l'évaluation, mais cette fois c'est la maman qui donnera les ordres. "Parfois, les patients réagissent à la voix de leur entourage, pas à la nôtre", justifie Marie-Aurélie Bruno. Fixer un objet, serrer la main, cligner des yeux, réagir à la douleur... les exercices se succèdent. Membres de l'équipe, famille ou amis de passage assistent à la séance, aussi attentifs que l'examinatrice. Parfois, à force de fixer, de guetter le moindre geste, une expression sur le visage, on ne sait plus trop ce qu'on a vu. Et l'on mesure toute l'ambiguïté que peuvent ressentir les proches, persuadés, par moments, d'observer "quelque chose" ; sans avoir la certitude que ce n'est pas seulement un mouvement réflexe.
JEUDI 7 JUIN
"Aider ces patients, ce n'est pas uniquement se demander s'ils ont une perception du monde extérieur, c'est aussi leur apporter du confort : traiter les douleurs et la spasticité, améliorer leur état nutritionnel, souvent déficient ; prévenir les déformations des membres...", insiste le docteur Anne Mergam, l'interniste de l'équipe. Sa visite, systématique, permet de donner des conseils concrets pour la vie quotidienne. Mais, comme pour tous ses collègues, la recherche clinique n'est jamais bien loin.
Pendant ce temps, une partie de l'équipe présente le "modèle belge" à une délégation polonaise qui souhaite s'en inspirer. Steven Laureys n'a pas simplement monté un groupe de recherche et d'expertise clinique. Depuis 2004, il a créé toute une filière de soins pour les patients en état de conscience altérée. A l'échelle fédérale, 16 centres d'expertise (sorte de sas après la réanimation) et 30 structures de long séjour spécialisées fonctionnent en réseau, ce qui permet de gérer le flux de malades, d'optimiser leur prise en charge, de mener des enquêtes épidémiologiques, médico-économiques...
La dernière en date, en cours de publication, s'est intéressée à la qualité de vie du personnel travaillant auprès de ces patients non communicants. Près d'un soignant sur cinq (18 %) se déclare en état d'épuisement professionnel, dont 3 % sévèrement. Les infirmières et les aides-soignantes sont plus souvent touchées (24 %) que les médecins et les autres paramédicaux (8 % à 10 %).
A 13 h 30, la jeune femme de la chambre 14 est amenée au service de médecine nucléaire pour un PET-scan, ou tomographie par émission de positons. Principalement utilisé en cancérologie, cet examen d'imagerie qui visualise le métabolisme des cellules permet de distinguer les zones cérébrales relativement fonctionnelles de celles qui ne le sont plus. Aurore Thibaut, la kinésithérapeute qui accompagne Claire, commence par la mettre au calme et dans le noir pendant une heure, un temps mis à profit pour réaliser un électroencéphalogramme de repos. Une ampoule de glucose radioactif est injectée dans ses veines."La concentration de ce traceur devient maximale dans le cerveau au bout de trente minutes, c'est à ce moment qu'il faut réaliser le PET-scan", indique Aurore Thibaut.



PET-scan.

Deux heures plus tard, dans son bureau du Centre de recherches du cyclotron, à quelques centaines de mètres du CHU, Steven Laureys examine les clichés avec satisfaction : les taches de couleur sont en faveur d'un état de conscience minimale, pas d'un état végétatif. "C'est le type d'examen qui aide bien les familles à comprendre l'état du cerveau de leur proche, explique le neurologue. Parfois, c'est en voyant un PET-scan sans signes d'activité qu'ils peuvent commencer à faire leur deuil."
VENDREDI 8 JUIN
Aujourd'hui encore, les examens sont très techno. La neuropsychologue Dina Habbal et Damien Lesenfants, un jeune ingénieur, vont tester sur Claire un prototype d'interface cerveau-machine (ICM) conçu par ce dernier dans le cadre d'un projet européen, Decoder. "Ce qu'on propose, c'est d'essayer de communiquer par ordinateur, car ce n'est pas parce qu'on ne peut pas parler qu'on ne sait pas parler", dit Damien à Catherine, la mère de Claire. Il déballe son matériel : un casque recouvert d'électrodes, un ordinateur portable et une étrange boîte noire avec des petits carrés jaunes et rouges. Cette stimulation est de nature visuelle, mais les ingénieurs travaillent aussi à la conception de systèmes basés sur l'audition ou le mouvement (réel ou imaginaire). Sur commande, le sujet doit se concentrer alternativement soit sur les carrés rouges, soit sur les jaunes, réalisés à partir de LED et flashant chacun à une fréquence différente. Normalement, à chaque changement, les neurones de la région occipitale (cortex visuel) se synchronisent par rapport à la fréquence de stimulation cible, ce qui peut par la suite être détecté par l'ordinateur.


Electroencéphalogramme de haute densité.

En quelques minutes, Claire est équipée du casque EEG et d'écouteurs par lesquels sont délivrés les ordres préenregistrés. Comme pour tous les tests, plusieurs sessions sont réalisées. Pour l'instant, l'interface n'a été expérimentée que chez quelques patients, à titre de diagnostic, mais Damien rêve déjà d'en faire un outil de communication, simple et abordable financièrement pour les familles.
Il a en tête un système électronique implanté directement dans un bonnet et nécessitant un nombre minime d'électrodes, ainsi qu'un petit écran rétractable. "Une fois la question posée, la réponse cérébrale sera analysée en temps réel et traduite en mots afin que la famille puisse la comprendre directement", s'enthousiasme l'ingénieur.
LUNDI 11 JUIN
"Hier soir, Claire a répondu à la commande, je l'ai fait constater par des infirmiers", annonce sa mère, tout sourire, à Marie-Aurélie Bruno qui vient pour le test comportemental quotidien. Mais ce matin, de nouveau, la patiente est peu réactive. "Comment aller plus loin ? Est-elle capable de penser ?", poursuit Catherine. De plus en plus, on perçoit son soulagement de pouvoir échanger avec ces soignants à l'écoute et motivés. Les rapports avec le monde médical n'ont pas toujours été sereins. Des années après, cette femme énergique a encore du mal à digérer que le service de rééducation où était sa fille ait stoppé toute stimulation après quelques mois parce que Claire ne répondait pas assez. Si la famille n'était pas venue la reprendre, elle aurait été mise dans le "service des oubliés", où il n'y a même plus de kinésithérapie. Impensable pour ses proches.
"Il est possible que son état fluctue beaucoup. On va continuer à guetter, chercher cette petite voix intérieure", assure Marie-Aurélie Bruno. Malgré leur passion pour la recherche, leur empathie, des membres de l'équipe avouent qu'ils passent eux aussi par des moments difficiles. Pas évident de s'adresser normalement, pendant de longs tests, à des personnes qui ne répondent quasiment jamais.
Claire est encore à jeun en prévision de l'IRM cérébrale, programmée à 15 heures. Si elle ne parvient pas à rester immobile dans l'appareil, une anesthésie générale sera nécessaire. Au CHU de Liège, pour ces patients, l'examen dure plusieurs heures car il est particulièrement complet. Outre les coupes anatomiques classiques, les neuroradiologues étudient les connexions neuronales par une technique dite de tenseur de diffusion. Ils pratiquent aussi une spectroscopie, qui analyse des métabolites des neurones. Enfin, une IRM fonctionnelle (IRMf) leur permet de visualiser le cerveau en action.


Electromyogramme.

En 2006, le Britannique Adrian Owen et l'équipe de Liège avaient fait sensation en publiant une observation étonnante dans la revueScience. Grâce à une IRMf, ils avaient pu objectiver des signes de conscience chez une patiente initialement considérée en état végétatif, en lui demandant d'effectuer deux tâches mentales : jouer au tennis, et visiter sa maison. Comme chez les volontaires sains, ces instructions ont activé chez la jeune femme deux zones cérébrales distinctes, démontrant qu'elle comprenait les ordres et était capable d'obéir aux instructions. Le test, validé depuis chez d'autres patients, fait désormais partie du bilan.
MARDI 12 JUIN
Le planning de cette dernière journée est toujours aussi chargé. Elle commence par un examen de recherche dont l'objectif est cette fois thérapeutique. Il s'agit d'une technique de stimulation transcrânienne par un courant continu de faible intensité. Cette stratégie a déjà été validée dans des troubles du langage et de la mémoire. Comme souvent, la conversation roule sur les espoirs de traitement. La mère de Claire a en main un article racontant des cas spectaculaires de réveil grâce à un somnifère, le zolpidem (Stilnox), mais ce médicament n'a rien changé chez sa fille. Marie-Aurélie Bruno confirme l'existence de cet effet paradoxal, qui fait l'objet d'une étude clinique. "Après la prise, on voit des patients se mettre à parler, à manger, à lire. C'est impressionnant, mais assez rare."
EPILOGUE
Depuis sa sortie de Liège, Claire a débuté un traitement par amantadine, un antiviral prescrit dans la grippe et la maladie de Parkinson. Ses bénéfices sur l'éveil sont moins intenses que ceux du zolpidem, mais observés plus fréquemment. Il y a quelques jours, ses parents ont été reçus par Steven Laureys pour les résultats. Sur un questionnaire sur les attentes des familles, Catherine avait fait sienne cette citation : "Le patient en état végétatif est un être humain à part entière, il n'est ni mort ni mourant". Les limbes où Claire se trouve sont plus proches des vivants : le bilan conclut qu'elle est en état de conscience minimale +. Un résultat positif mais qui, à lui seul, ne promet pas une récupération de la communication. La prochaine étape.

Lexique
Coma Absence de cycle veille-sommeil, pas de conscience de soi ni de l'environnement. Les yeux restent fermés même lors de stimulations. Les seuls mouvements sont réflexes.
Etat végétatif Cycles veille-sommeil avec ouverture spontanée des yeux, absence de conscience. Mouvements réflexes, pas de réponse aux stimulations ni de communication.
Etat de conscience minimale (ECM) Présence, parfois fugace mais reproductible, de signes de conscience tels que poursuite visuelle, sourires ou pleurs appropriés, localisation et manipulation d'objets, verbalisation, réponses à la commande. L'émergence de l'ECM se définit par la récupération d'une communication fonctionnelle.
Locked-in syndrome Pseud-coma, avec conscience préservée, dû à une atteinte du tronc cérébral. Dans la forme classique, l'immobilité est complète à l'exception des mouvements verticaux du regard et des paupières.
Source : Coma et états de conscience altérée, de Caroline Schnakers et Steven Laureys (Springer, 170 p., 55 €).

En France, 1500 personnes concernées
Tous les patients en état chronique non communicant devraient pouvoir bénéficier d'une évaluation précise de leur état de conscience, estime le professeur Lionel Naccache, neurologue et chercheur à l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris). Sans disposer de moyens humains et matériels aussi conséquents que ceux du Coma Science Group de Liège, son équipe mène aussi des activités de recherche et d'expertise clinique, effectuant régulièrement des évaluations de conscience chez des patients, à la demande de collègues hospitaliers ou de familles. Les examens peuvent s'étaler sur quatre jours.

En France, en l'absence de registre national, le nombre de ces personnes en état végétatif chronique ou de conscience minimale n'est pas bien connu. Elles seraient environ 1 500, selon une circulaire de 2002, qui a défini leurs conditions de prise en charge dans des unités de soins spécialisées. "Sur l'ensemble du pays, il existe une centaine de ces unités, soit au total 700 lits dont 130 en Ile-de-France", précise le docteur Jean-Jacques Weiss, directeur du Centre de ressources francilien du traumatisme crânien. De nombreux patients sont en attente de placement ou hébergés à domicile.

Au cours de ces bilans, "la difficulté est à la fois de ne pas passer à côté d'un état de conscience et de ne pas donner de fausse bonne nouvelle. En l'absence d'une méthode apportant un résultat certain, il faut associer plusieurs techniques", insiste Lionel Naccache. Selon lui, les informations les plus solides viennent de l'observation clinique, fondée sur un examen neurologique rigoureux et des évaluations comportementales répétées. Comme ses collègues belges, le chercheur français utilise l'échelle CRS-R (Coma Recovery Scale-Revised) et plaide pour une diffusion plus large de cet outil "qui a le mérite d'être sensible et rapide". L'équipe mise aussi beaucoup sur l'approche électrophysiologique, qui présente de multiples avantages (atraumatique, peu onéreuse, réalisable au lit du malade...).

Ces dernières années, ces chercheurs ont ainsi mis en évidence une signature neuronale de la conscience par l'enregistrement de l'activité électrique cérébrale en réponse à des stimuli sonores complexes (par exemple des séries de sons entrecoupées de sons discordants). Des résultats qui valident le modèle de Lionel Naccache et Stanislas Dehaene, selon lequel la conscience est "un espace de travail global", sorte de "conversation cohérente à l'échelle du cerveau". Lionel Naccache note toutefois que les tests fonctionnels, pratiqués lors d'un électroencéphalogramme (EEG) ou d'une IRM cérébrale, n'ont de valeur que positifs. Troubles de mémoire, aphasie ou encore altération de la vigilance peuvent induire un résultat négatif en dehors de toute atteinte de la conscience.

Neurologue au CHU de Lyon et chercheuse (Inserm), Catherine Fischer accueille une cinquantaine de patients non communicants par an, pour expertise. Ses travaux ont contribué à démontrer le rôle essentiel des examens EEG, couplés à des potentiels évoqués (stimulations auditives, cognitives, sensorielles...) pour préciser le diagnostic et le pronostic des états de conscience altérée. En 2006, les chercheurs lyonnais ont ainsi publié une étude montrant que des EEG aident à prédire la probabilité d'éveil lors d'un coma anoxique. Ils ont aussi établi qu'après traumatisme crânien, la récupération et l'éveil, prévisibles tôt grâce à leurs examens, peuvent se faire lentement, plus d'un an, voire vingt-huit mois après l'accident. Un résultat qui, une fois de plus, incite à la prudence, notamment dans la communication avec les familles.

Catherine Clément



De la psychanalyse en Palestine

Publication: 01/07/2012


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L'un des livres les plus surprenants de l'année s'appelle La psychanalyse en Palestine 1918-1948, publié par les éditions Campagne Première et superbement préfacé par Elisabeth Roudinesco, directrice de thèse de l'auteur, Guido Liebermann.
Fils d'un émigré allemand et d'une émigrée d'Ukraine installés en Argentine où la psychanalyse était florissante, Guido Liebermann partit en Israël au début de la dictature militaire du général Videla, puis, cherchant les liens entre le sionisme et la psychanalyse, il vint se former à Paris avant de retourner dans son pays. Par chance, Liebermann déborde de beaucoup les dates indiquées dans le titre, ce qui nous vaut une savoureuse balade sur les rapports houleux entre les différentes couches des aliya, les premières grandes vagues d'immigration en Palestine, qui commencent en 1881 : ce sont des juifs russes chassés par l'antisémitisme de Nicolaï II. A l'époque, survit en Palestine le Yishouv, une très vieille et très pieuse communauté juive, qui bénéficie de la protection ottomane. Deuxième vague, 1905-1914 : les arrivants sont des russes socialistes, et c'est avec eux que s'engage le conflit entre ces militants volontiers athées, fiers d'appartenir au courant de la Haskala, les "Lumières juives", et surtout, profondément laïques. Et ça coince.
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"La logique, un aiguillon pour la pensée"

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 
Une fois encore, le mathématicien Jean-Paul Delahaye nous fait partager son plaisir pour sa discipline avec pédagogie, enthousiasme et intelligence. Toutes ces histoires de découvertes, de paradoxes, de concepts ou d'hommes sont rassemblées sous l'étiquette de la logique, mais en réalité elles sortent souvent de ce cadre strict. Il y est question d'infinis, de nombres, de géométrie, de probabilités, d'économie, de physique... Les sujets foisonnent et effectivement aiguillonnent notre pensée. Car, au-delà de la joie de les comprendre, ces exemples nous propulsent aux frontières de questions très fondamentales, comme : l'univers est-il un ordinateur ? Stimulant !











Votre grand-mère avait tort : les jeux vidéo aident à lutter contre la dépression

source MAXI SCIENCES
 - Par Feena Mayizika

Malgré tous les à priori existants sur les effets des jeux vidéo, ils ont des effets bénéfiques pour nous et c'est prouvé ! Et oui, jouer à des jeux vidéo peut vous sortir d’une dépression, les geeks et les gamers vont être contents !


Après avoir montré que jouer à Tetris pouvait soigner les troubles post-traumatiques et que jouer à WoW rendait plus intelligent, voici une nouvelle étude qui prouve que jouer aux jeux vidéo peut nous sortir d’une dépression ! Encore une nouvelle bonne excuse pour être un geek :-D.
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La maladie mentale rend-elle plus créatif ?

Les liens entre la créativité et la folie sont suspectés depuis longtemps : « Aucun grand génie n’a jamais existé sans un brin de folie » notait déjà Aristote. Mais certains auteurs –estime l’éditorialiste du British Journal of Psychiatry [1]– considèrent cette « prétendue association comme une vision romancée et naïve de la maladie mentale » ou une «incompréhension de la diversité des qualités d’imagination et d’humeur requises en matière d’originalité. »
Si ce débat ne sera sans doute jamais clos, une étude suédoise (réalisée sous l’égide du prestigieux Karolinska Institutet où sont décernés les Prix Nobel de médecine [2]) vient le relancer en montrant un « taux anormalement élevé » de maladies mentales, « en particulier de troubles bipolaires », chez des sujets créatifs (artistes, romanciers, chercheurs…). Portant sur plus de 300 000 patients avec « un trouble mental sévère » (schizophrénie, trouble bipolaire ou dépression unipolaire) hospitalisés en Suède entre 1973 et 2003, et comparés à leurs proches indemnes et à des sujets-contrôles, cette étude montre que les individus avec troubles bipolaires ainsi que les fratries non affectées des patients schizophrènes ou bipolaires se trouvent « sur-représentés dans les professions créatives. »
Les schizophrènes ne sont pas globalement plus nombreux à exercer des métiers créatifs, excepté dans les professions artistiques. En revanche, ni les individus souffrant de dépression unipolaire, ni leurs frères et sœurs ne sont sur-représentés dans les professions créatives, comparativement aux sujets-contrôles. Les odds ratios sont modérés, mais significatifs. Par exemple, après ajustement statistique pour le quotient intellectuel, les frères et sœurs de schizophrènes sont deux fois plus nombreux à exercer une profession artistique (odd-ratio : 1,93 ; intervalle de confiance à 95 % [1,47–2,54]). Et la probabilité d’exercer ce type de profession est environ une fois et demi plus grande chez les sujets bipolaires eux-mêmes (odd-ratio : 1,44 [0,76–2,72] IC 95 %) et pour leurs fratries (odd-ratio : 1,61 [1,11–2,34] IC 95 %).
Pour les auteurs, cette étude met en lumière une « association claire » entre certaines psychopathologies spécifiques et des professions créatives. Ce lien pourrait expliquer le « paradoxe de la persistance des troubles mentaux malgré l’évolution », dans la mesure où ces troubles seraient associés à une meilleure créativité chez les intéressés ou/et leur entourage, avantage venant peut-être compenser les inconvénients inhérents aux maladies mentales. Mais d’autres hypothèses sont envisageables et des travaux complémentaires sont nécessaires pour savoir si « la créativité se distingue d’autres traits humains, comme l’intelligence ou le langage », susceptibles d’interférer aussi avec un risque accru de pathologie psychiatrique.

Illustration : Antonin Arthaud, poète de génie accessoirement schizophrène

[1] Kay Redfield Jamison : « Great wits and madness: more near allied? » Br J Psychiatry 2011;199: 351-352.


Dr Alain Cohen

Kyaga S et coll. : Creativity and mental disorder: family study of 300 000 people with severe mental disorder. Br J Psychiatry 2011;199: 373-379.

samedi 30 juin 2012

La psychiatrie en crise dans le Nord !
A voir ici
Publiée le 29 juin 2012 par 
Les syndicats représentant les employés des 3 établissements de santé mentale du Nord ont appelé au rassemblement pour protester contre le gel du budget lié à la psychiatrie 
Trieste, la ville qui révolutionne la psychiatrie
Au centre Maddalena, les activités proposées aux patients bouleversent la hiérarchie entre malades et personnel soignant. Ici, Fabrizio chante le tube de Depeche Mode.
Au centre Maddalena, les activités proposées aux patients bouleversent la hiérarchie entre malades et personnel soignant. Ici, Fabrizio chante le tube de Depeche Mode.
RFI / Romain Heurtaut-Puppetto
Par François-Damien Bourgery
En Italie, il n’existe plus d’hôpital psychiatrique. Ils ont tous été fermés après le vote d’une loi en 1978 qui faisait suite à un vaste mouvement d’antipsychiatrie. Il affirmait que les malades mentaux étaient des personnes comme les autres et qu’ils devaient être en liberté pour être mieux soignés. C’est de Trieste, dans le nord-est de l’Italie, que ce mouvement est parti. L’immense asile qui s’y trouvait est aujourd’hui remplacé par quatre centres psychiatriques qui quadrillent la ville. L’année dernière, près de 5000 patients ont été pris en charge. Reportage au centre Maddalena, l’une de ces quatre structures.

A écouter ici

Marisol Touraine : «L’hôpital public est le seul à être présent sur tous les fronts»

27 juin 2012 à 21:16
Marisol Touraine, à l’Elysée, sortant du Conseil des ministres, le 13 juin.
Marisol Touraine, à l’Elysée, sortant du Conseil des ministres, le 13 juin. (PHOTO JULIEN DANIEL.MYOP pour Libération)

INTERVIEW La ministre des Affaires sociales et de la Santé compte mettre fin à la convergence tarifaire entre le secteur public et le secteur privé :

Par ERIC FAVEREAU
Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, est intervenue, hier, à un colloque sur «l’hôpital et sa mission», organisé par Didier Tabuteau, qui dirige la chaire santé à Sciences-Po. Pour Libération, elle dévoile sa politique hospitalière.
La loi Hôpital patient santé territoire (HPST), votée par la droite il y a trois ans, parlait de missions de service public, et non plus de service public pour l’hôpital. Une bonne idée ?
Non. L’hôpital public est un des piliers de notre système de santé, et remettre en cause l’idée même qu’il y ait un service public hospitalier, c’est remettre en cause la spécificité de l’hôpital public.
N’est-ce pas une position exagérée ?
L’hôpital public est unique. Il soigne, accueille tout le monde, et prend en charge toutes les pathologies, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il ne se contente pas de soigner, il forme, il fait de la recherche. Bref, il est normal qu’à ce grand service public corresponde un financement particulier, mais aussi une reconnaissance particulière. Il ne s’agit pas de nier l’importance des établissements privés, qui sont des acteurs à part entière du système de soins, mais ils n’ont pas les mêmes caractéristiques. Et la notion de service public est essentielle.
Mais dans certains territoires, il n’y a pas d’hôpital public. Etait-ce saugrenu de déléguer certaines missions à des établissements privés ?
Ce n’est pas contradictoire. Je pense que le service public de santé doit être accompli par des acteurs divers, mais ce qui fait la différence avec l’hôpital public, c’est que ce dernier est le seul à prendre en charge l’ensemble des missions. Il est sur tous les fronts, et cela pour tous les malades.
Qu’en est-il alors du financement des hôpitaux, par le biais de la T2A, la tarification à l’activité ?
Sur la question du financement, nous mettrons d’abord fin à la convergence tarifaire entre le public et le privé. Concernant la T2A, il s’agit de la faire évoluer, et de ce fait de revoir le financement du service public hospitalier. Nous le ferons, très vite, à l’occasion du débat sur le PLFSS [projet de loi de financement de la Sécurité sociale, ndlr] à l’automne. Il s’agit de compléter la T2A par une meilleure prise en compte des exigences du service public, avec ses missions, mais aussi ses particularités.
Plus précisément ?
L’objectif est simple : permettre à chacun de se soigner à un coût accessible. Le public reçu à l’hôpital et les pathologies qui y sont traitées ne sont pas les mêmes que dans le secteur privé. Ils nécessitent un encadrement, une orientation et un suivi spécifiques. Les modes de tarification doivent être adaptés.
Faut-il une nouvelle loi hospitalière ?
Nous verrons, mais en tout état de cause, les dispositions ne seront pas uniquement d’ordre législatif. Par exemple, pour les dépassements d’honoraires, nous avons appelé les partenaires conventionnels à se saisir de la question : si aucun accord n’est trouvé, nous prendrons nos responsabilités. De toute façon, nous réformerons le financement, avec le souci de l’égalité, de la proximité, en plaçant la notion de parcours de soins au cœur de nos politiques.
La loi HPST était centrée aussi sur une nouvelle gouvernance à l’hôpital. «Il faut un et un seul patron à l’hôpital», répétait Sarkozy…
La loi HPST a marqué le summum du mépris à l’égard des professionnels de santé. Si le malaise est si fort dans le monde hospitalier, c’est parce que le personnel soignant - médecins comme infirmières - a eu le sentiment d’être traité comme la cinquième roue du carrosse. L’hôpital a besoin d’apaisement. Nous devons travailler afin que la communauté soignante soit un partenaire mieux identifié et mieux reconnu. Quand les relations sont bonnes, les choses avancent. De fait, l’hôpital ne manque pas de patron, il lui faut surtout un cap et un projet. Un hôpital qui n’a pour horizon que la contrainte financière, est un hôpital qui a le blues et n’avance plus.
La moitié des hôpitaux sont pourtant en déficit…
Il y a des hôpitaux en déséquilibre financier, mais il faut noter que ces déficits sont concentrés sur certains hôpitaux. Quoi qu’il en soit, ce déficit n’est pas une bonne chose. Dans la refonte du financement, il faudra que les missions de service public soient mieux identifiées et mieux prises en charge.
Etes-vous pour la suppression du secteur privé à l’hôpital public, comme le demandent un certain nombre de médecins hospitaliers ?
Dans le cadre des discussions sur les dépassements d’honoraires qui vont s’ouvrir, cette question sera abordée. Il faut que tout cela soit régulé au sein de l’hôpital public, et je le redis, il y a des abus scandaleux qui ne doivent plus perdurer.
A l’hôpital, la démocratie sanitaire, - et avec son corollaire, la place du patient -, parait en panne… Est-ce votre sentiment ?
C’est un grand débat que nous devons avoir. La démocratie sanitaire doit progresser. Même s’il est inexact de dire que rien n’a été fait : il y a eu la loi de 2002. Les patients ont des droits : participation, information, transparence. Cette loi a marqué un tournant, mais des inégalités persistent et le droit à l’information reste embryonnaire. Une nouvelle étape doit être engagée, notamment sur la question des droits collectifs.

Secteur privé, T2A, gouvernance : Touraine précise ses plans pour l’hôpital


lequotidiendumedecin.fr 28/06/2012
Dans un entretien à Libération publié ce jeudi, la ministre des Affaires sociales et de la Santé expose les grandes lignes de sa politique hospitalière. Extraits. 

Missions de service public

Comme au salon Hôpital ExpoMarisol Touraine réaffirme les spécificités d’un hôpital public « seul à être présent sur tous les fronts ». « L’hôpital public est unique. Il soigne, accueille tout le monde, et prend en charge toutes les pathologies, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il ne se contente pas de soigner, il forme, il fait de la recherche. Bref, il est normal qu’à ce grand service public corresponde un financement particulier, mais aussi une reconnaissance particulière. Il ne s’agit pas de nier l’importance des établissements privés, qui sont des acteurs à part entière du système de soins, mais ils n’ont pas les mêmes caractéristiques. Et la notion de service public est essentielle ».

• T2A

La ministre confirme strictement les engagements de François Hollande mais précise l’agenda. « Sur la question du financement, nous mettrons d’abord fin à la convergence tarifaire entre le public et le privé. Concernant la T2A, il s’agit de la faire évoluer, et de ce fait de revoir le financement du service public hospitalier. Nous le ferons, très vite, à l’occasion du débat sur le PLFSS [projet de loi de financement de la Sécurité sociale, ndlr] à l’automne. Il s’agit de compléter la T2A par une meilleure prise en compte des exigences du service public, avec ses missions, mais aussi ses particularités ».

• Une nouvelle loi hospitalière ?

Interrogée sur l’opportunité d’une nouvelle loi hospitalière (évoquée parFrançois Hollande), Marisol Touraine reste prudente. « Les dispositions ne seront pas uniquement d’ordre législatif. Par exemple, pour les dépassements d’honoraires, nous avons appelé les partenaires conventionnels à se saisir de la question : si aucun accord n’est trouvé, nous prendrons nos responsabilités. De toute façon, nous réformerons le financement, avec le souci de l’égalité, de la proximité, en plaçant la notion de parcours de soins au cœur de nos politiques ».

• Encadrement du secteur privé à l’hôpital

Ce point sensible fera bien partie des négociations tripartites (CNAM, complémentaires santé, médecins) qui commenceront le 25 juillet.« Dans le cadre des discussions sur les dépassements d’honoraires qui vont s’ouvrir, cette question sera abordée. Il faut que tout cela soit réguléau sein de l’hôpital public, et je le redis, il y a des abus scandaleux qui ne doivent plus perdurer ».

• Un seul patron à l’hôpital ?

Marisol Touraine reprend à son compte les critiques récurrentes de la communauté médicale, qui demande d’être davantage associée à lagouvernance hospitalière. « La loi HPST a marqué le summum du mépris à l’égard des professionnels de santé. Si le malaise est si fort dans le monde hospitalier, c’est parce que le personnel soignant - médecins comme infirmières - a eu le sentiment d’être traité comme la cinquième roue du carrosse. L’hôpital a besoin d’apaisement. Nous devons travailler afin que la communauté soignante soit un partenaire mieux identifié et mieux reconnu ».
› C.D.



Le dialogue et la fermeté


Dans l’entretien qu’elle a accordé au « Généraliste », la ministre des Affaires sociales et de la Santé a annoncé « des révisions importantes » sur les deux grandes réformes sanitaires du précédent quinquennat. Sur le DPC, elle temporise pour trouver le consensus. Et, concernant l’accès aux soins, elle veut jouer la concertation. Mais, attention ! Si les négociations devaient s’enliser, la ministre pourrait bien s’impatienter.

Le Généraliste. Vous êtes depuis plusieurs années responsable des questions sociales et de la santé au parti socialiste. Pourquoi votre intérêt pour ces sujets ?
Marisol Touraine. Je suis engagée en politique depuis maintenant plus de vingt ans et je vois bien que les questions sociales préoccupent les Français au quotidien. Si les questions de santé ont parfois du mal à s’installer dans le débat politique, elles restent une priorité pour nos concitoyens. C’est pourquoi j’ai été amenée à m’intéresser à ces sujets qui font partie du combat pour l’égalité. Je suis une femme de gauche et, pour moi, l’enjeu essentiel, c’est celui de la justice, du recul des inégalités. La question sociale, de ce point de vue, est donc cruciale.

En matière de santé, deux réformes majeures ont marqué le précédent quinquennat : loi « HPST » et loi sur la sécurité sanitaire. Faut-il s’attendre à des retouches sur ces deux réformes ?
M.T. Plus que des retouches, il y aura des révisions importantes ! La loi « HPST » ne donne pas aujourd’hui satisfaction. Les inégalités en matière d’accès aux soins se sont creusées et les inégalités financières se sont accrues. Un Français sur trois déclare renoncer à des soins parce qu’il n’en a pas les moyens. De leur côté, les médecins sont inquiets ; ils ne sont plus qu’un sur dix à s’installer en libéral dès la première année à la fin de leurs études. La situation existante n’est satisfaisante ni du point de vue des patients, ni du point de vue des professionnels. Des évolutions seront donc nécessaires dès le PLFSS 2013 en matière d’accès aux soins et de reconnaissance de la médecine générale et, au-delà, de proximité. Sur la sécurité sanitaire, la loi a été votée et nous verrons comment aller plus loin, notamment sur les dispositifs médicaux. Cette loi a marqué un progrès. Pour autant, je ne la considère pas comme un aboutissement.

Dans votre grand ministère social, vous êtes épaulée de plusieurs ministres délégués, mais aucun en charge de la Santé. Est-ce le signe que vous faites des questions de la santé une priorité et une affaire personnelle ?
M.T. C’est d’abord le choix du président de la République et du Premier ministre de m’avoir confié un ministère qui regroupe à la fois les Affaires sociales et la Santé. Les questions liées au handicap, à l’exclusion, à la famille et aux politiques de l’âge sont essentielles pour les Français. Je suis heureuse et fière d’avoir à mes côtés pour m’accompagner dans cette mission trois ministres déléguées de talent. Concernant la santé, j’ai suivi ces questions à l’Assemblée nationale pendant de nombreuses années, durant lesquelles je me suis forgée une conviction : la santé n’est pas une affaire personnelle, mais bien celle de tous les Français.

Le Généraliste. Vous avez reçu les présidents des syndicats de médecins libéraux, puis rencontré samedi dernier les médecins généralistes à Nice. Dans quel état d’esprit sentez-vous les médecins libéraux et leurs représentants ?
M.T. Je les sens en attente, échaudés par une politique assez erratique au cours des dernières années. Une politique parfois brutale qui a été marquée, me semble-t-il, par la défiance à leur égard. Je les sais aussi disposés à travailler et à construire, tout en étant pleinement conscients des préoccupations des Français. L’accès aux soins, le coût des soins, les déserts médicaux : voilà les sujets quotidiens sur lesquels les Français nous ont interpellés pendant les campagnes présidentielle et législative. Sans doute le fait que je sois ministre en charge de la Santé a-t-il amené les habitants de mon département (l’Indre-et-Loire, ndlr) à me parler de ces questions. Mais il n’y a pas un déplacement lors de ma campagne législative où l’on ne m’ait parlé de déserts médicaux, de délais d’attente pour avoir des rendez-vous, de la place de l’hôpital par rapport aux médecins de proximité… C’est donc un sujet majeur et je sens les médecins prêts à relever les défis et à travailler avec moi dès lors que ce travail se fait dans l’écoute et le dialogue. Il est nécessaire d’être pragmatique ; je crois qu’il faut élaborer des solutions répondant aux attentes des Français et tenant compte aussi de la demande légitime des professionnels, que soit reconnu leur rôle et respecté leur travail. C’est dans cet esprit-là que je m’inscris. Je suis une femme de dialogue, mais ferme sur ses convictions et attentive aux enjeux de justice.

Quelle mission attribuez-vous à la médecine générale ? Peut-on s’attendre à ce que les règles du jeu qui régissent son exercice continuent à changer dans les cinq ans à venir ?
M.T. La médecine générale, c’est le socle de notre système de soins et, au-delà de la médecine générale, je parle volontiers de médecine de proximité. Il est absolument évident que nous devons conforter, renforcer, mieux reconnaître la place de cette médecine de proximité et de la médecine générale en particulier. Cela se fera par le dialogue. Mieux valoriser certaines fonctions et responsabilités, inciter à l’installation dans les territoires qui ne sont pas spontanément attractifs : tout cela doit se poursuivre parce que telles sont les attentes de nos concitoyens.

À votre avis, quelle incidence a la féminisation croissante de la profession ?
M.T. Il y a de plus en plus de femmes médecins comme il y a de plus en plus de femmes qui occupent des postes traditionnellement réservés aux hommes. L’image de la profession s’est transformée, mais je ne fais pas partie de ceux qui considèrent que la féminisation est, comme on le dit parfois, un problème. Les femmes anticipent souvent les évolutions de la société. Par exemple, mieux concilier vie professionnelle et vie familiale est une demande croissante chez les hommes aujourd’hui. De même, il n’y a pas que les femmes qui aspirent à des modes d’exercice différents, plus ouverts, en équipe. Je sais qu’il y a une nouvelle génération plus féminine et, au-delà de la place des femmes, c’est cette génération qui veut faire évoluer les relations avec l’hôpital et les patients. C’est une génération qui, au fond, est pleinement partie prenante de la société du XXIe siècle.

Pendant la campagne, François Hollande avait promis « un plan d’urgence pour l’installation des jeunes médecins ». Avez-vous déjà une idée de la façon dont il pourrait se construire et prendre forme ?
M.T. Je veux faciliter l’installation des jeunes médecins. Ils sont évidemment au c?ur du système de santé que nous voulons construire. Ce n’est pas contre eux qu’il faut envisager l’avenir, mais avec eux. Pour cela, nous allons leur simplifier les démarches administratives. Nous allons aussi renforcer l’attractivité de la médecine libérale, sans exclure la médecine salariée, et surtout, ne pas opposer l’une à l’autre. Il nous faut évidemment soutenir, plus que cela n’a été fait par le passé, les pratiques innovantes, l’exercice en groupe, pluridisciplinaire et travailler à la coopération entre les différents professionnels. La médecine n’est pas une île isolée au milieu de l’océan. Il doit y avoir davantage de coopération, de coordination, y compris avec l’hôpital. Je ne veux pas opposer l’hôpital et la médecine libérale. Chacun a sa place et son rôle. Chacun doit s’ouvrir sur l’autre. L’hôpital ne peut pas se substituer à la médecine de proximité et ne doit pas nécessairement suivre les patients une fois qu’ils sont sortis de ses murs. C’est pourquoi la confiance entre l’hôpital et le médecin de proximité est indispensable. Et à l’autre bout de la chaîne, il faut une meilleure coordination, ainsi qu’une meilleure permanence des soins, qui permette de ne pas faire de l’hôpital le point d’entrée. C’est encore trop souvent le cas dans notre système de santé.

Ces derniers temps, certains, à l’Ordre ou du côté des doyens de faculté, ont réclamé plus de régulation des installations. Pensez-vous que l’on puisse échapper à un minimum de coercition au cours des cinq prochaines années ?
M.T. Je suis confiante. Les professionnels de santé comprennent que des évolutions sont nécessaires. L’objectif que j’ai fixé est l’accès aux soins pour tous, à un coût raisonnable, financièrement supportable, partout sur le territoire. Cela n’est pas négociable. Je me félicite que des voix jusque-là plus réservées s’élevent désormais pour dénoncer des dépassements d’honoraires inacceptables et des déserts médicaux préoccupants. Ces instances ont d’ailleurs un rôle à jouer. Elles peuvent prendre des sanctions sur les dépassements abusifs, par exemple. Mais je récuse ce qui vient opposer, au sein même de la profession, les jeunes aux moins jeunes. Nous devons travailler en bonne intelligence et je veux croire que ces voix qui se font entendre montrent que l’ensemble de la profession est maintenant prêt à s’engager de façon constructive. Je crois au dialogue et à la concertation, mais le dialogue ne doit pas être synonyme d’enlisement. La négociation ne peut pas être le prétexte à l’immobilisme. Je ferai tout pour que le compromis et le consensus l’emportent, mais, encore une fois, je ne reculerai pas devant l’attente des Français.

Les négociations sur les dépassements d’honoraires vont démarrer bientôt. Qu’en attendez-vous ?
M.T. Je souhaite qu’elles s’engagent dans un cadre conventionnel. J’ai évoqué la question avec les syndicats de médecins. Je vais donc saisir officiellement l’Assurance-maladie prochainement et des discussions pourront s’engager. Le processus se mettra en place dans le courant du mois de juillet. Le secteur optionnel, qui a été rejeté par une majorité des acteurs, ne me paraît pas être une solution. Nous devons travailler de façon globale, ne pas isoler certaines professions. L’objectif, c’est à la fois de mettre fin à des tarifs scandaleux, aussi bien à l’hôpital qu’en médecine de ville, et de garantir que personne ne renoncera à des soins pour des raisons financières.

Le congrès de la médecine générale de Nice était, cette année, centré sur la performance et la qualité. Pour vous, comment ces deux concepts peuvent-ils se décliner en terme de formation et/ou de mode de rémunération ?
M.T. Je n’aime pas beaucoup le mot de « performance », la qualité suffit. C’est un objectif partagé par tous que de faire en sorte que la qualité des prises en charge et la qualité des soins soient garanties. La qualité est liée à la formation. Aujourd’hui, plus personne ne récuse cela. La qualité, c’est également l’échange et la coopération. C’est encore une meilleure prise en charge de la prévention qui est un enjeu majeur. La prise en charge des malades chroniques, l’accompagnement du vieillissement de la population, l’intégration de l’éducation thérapeutique, tout cela fait partie de la qualité et doit être évidemment intégré dans la démarche des médecins et dans l’organisation du système de soins. Le mode de rémunération doit s’adapter à l’évolution de la prise en charge et du métier de médecin. Soigner, c’est aussi prévenir et accompagner. Tout cela doit se traduire dans la rémunération, le paiement à l’acte en restant le socle, mais la part de la rémunération forfaitaire qui a été introduite doit – et devra – s’élargir.

Dans le domaine de la formation continue, le précédent gouvernement a réformé le système. Le DPC semble long à mettre en place et il suscite des interrogations concernant l’association des médecins libéraux à son pilotage et concernant son financement. Comptez-vous revenir sur ce dispositif, voire le supprimer ?
M.T. Personne, aujourd’hui, ne remet en cause la nécessité d’un système de formation continue. Et, ce qui est certain, c’est qu’on a besoin d’un dispositif opérationnel et efficace. Je veux être certaine que le DPC constitue un réel levier pour la mise en ?uvre de mes priorités en matière de soins de proximité. Aujourd’hui, manifestement, il ne répond pas aux attentes et suscite des préoccupations. Je veux m’assurer que le système proposé soit la fois efficace et indépendant. J’ai donc demandé à l’administration de décaler la première réunion de la Commission scientifique indépendante, (CSI) qui doit lancer le processus pour que nous puissions trouver une solution consensuelle sur la composition de la commission et sur sa façon de travailler.
Propos recueillis par Jean Paillard et Caroline Laires-Tavares