Philippe Leduc, directeur du Think tank Économie Santé"Sur la T2A et la convergence tarifaire, nous sommes davantage dans l'anathème que la réflexion"
Interview 09.03.12 - 18:10 - HOSPIMEDIA
Élections obligent, la guéguerre public-privé bât son plein. Fédérations et politiques s'écharpent sur la T2A et la convergence sans que se profilent de réelles alternatives de financement. Un débat par trop caricatural pour Philippe Leduc, du Think tank Économie Santé, qui entrave toute réforme de l'hôpital.
Hospimedia : "Tarification à l'activité (T2A), convergence tarifaire, la guéguerre public-privé a le vent en poupe dans cette campagne électorale. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Philippe Leduc : Entre la Fédération hospitalière de France (FHF) et celle de l'hospitalisation privée (FHP), les positions sont aujourd'hui très incantatoires pour ne pas dire irréconciliables. Elles sont d'ailleurs portées par les deux principaux candidats à la présidentielle : François Hollande et Nicolas Sarkozy. Nous sommes davantage dans l'anathème que la réflexion. Pourtant, la plupart des gens reconnaissait au départ que la T2A allait s'avérer un bon système car elle allait permettre de comprendre ce qui se passait et ce qui coûtait dans l'hôpital. D'ailleurs, à écouter chaque camp séparément, tous semblent convaincants. Pourquoi l'un serait-il plus cher que l'autre ? Oui, mais les métiers diffèrent. Et c'est vrai. Et puis, le tarif ne prend pas exactement la même chose en compte en public qu'en privé. Nous arrivons donc à des positions caricaturales qui viennent de slogans politiques. Ce n'est sûrement pas la meilleure façon d'engager des réformes. C'est un mauvais débat.
H. : Partagez-vous les critiques sur ces deux dispositifs ?
P.L. : Avec la T2A comme la convergence, on essaie par une contrainte budgétaire de pousser les gens à se réformer. La T2A est inflationniste : elle pousse à la consommation, à la conquête de part de marchés puis, après, les tarifs sont baissés. Elle risque de faire en sorte qu'on se spécialise dans un secteur en abandonnant d'autres pratiques dans un souci de rentabilité à court terme. D'un autre côté, difficile d'être contre car elle apporte une certaine transparence. Mais la transparence c'est bien, encore faut-il l'analyser car ce n'est pas la vérité. Quant à la convergence, c'est inévitablement mettre les hôpitaux publics en déficit. Et après on devrait espérer qu'ils se réforment ? Prenez les crédits liés aux Missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC) : ils ont bondi en six ans de 72%, passant de 4,7 à 8,3 milliards sur 2005-2011. Ce qu'on économise d'un côté, on est obligé de le reverser de l'autre ! Il y a forcément des adaptations à envisager. Et puis, regardez la médecine libérale. Les tarifs opposables y sont bloqués depuis les années 80, d'où l'inflation sur les dépassements d'honoraires qui pose aujourd'hui réellement problème. En bloquant les tarifs, nous avons mis sur pied un système complètement aberrant dont on ne sait, aujourd'hui, comment en sortir.
H. : S'il s'agit d'un mauvais débat, faut-il dès lors arrêter T2A et convergence ?
P.L. : En disant cela, on prend une position politique. Mais compte tenu de la caricature du débat, il faut certainement calmer le jeu et faire en sorte que cette réforme de l'hôpital se fasse plus sereinement et que le personnel y adhère. Sinon, on n'arrivera à rien. Quant à la convergence, il faut sûrement l'arrêter car le sujet est trop exacerbé et poussé à l'excès par la campagne électorale. Il cache les vrais problèmes : l'ambulatoire, la concentration des plateaux techniques, le travail en réseau ville-médico-social, la chasse aux actes inutiles... La tendance actuelle, à long terme, c'est moins d'hôpital, moins d'emploi à l'hôpital mais mieux d'hôpital. Il deviendra l'exception, les patients étant suivis sur des pathologies chroniques en ville avec des séjours courts en établissement.
H. : Face à cela, quel regard portez-vous sur les projets électoraux ?
P.L. : Nicolas Sarkozy n'a pas dit grand chose sur l'hôpital pour l'instant. Il est vrai qu'à droite, ils sont gênés : ce qui a été fait jusqu'à présent a été beaucoup critiqué, ils préfèrent donc calmer le jeu avec les professionnels de santé. Mais en face, je n'ai pas l'impression que les propositions soient très convaincantes. C'est "On arrête la convergence !" mais après on fait quoi ? Sur l'aval et l'amont de l'hôpital, cela fait vingt ans qu'on nous promet d'agir, il est donc plus que temps de prendre le taureau par les cornes !"
Propos recueillis par Thomas Quéguiner
* Le Think tank Économie Santé du groupe les Échos a publié cinq recommandations dans le cadre de cette campagne électorale : n°1) Faire de la santé et de son financement un grand débat public; n°2) Impliquer et responsabiliser les professionnels;n°3) Anticiper la mutation stratégique des établissements hospitaliers; n°4) Mieux gérer les maladies chroniques; n°5) Organiser et financer la prévention.