[Exclusif] Les lettres d'Althusser à sa femme
17/05/11
Voici, inédites, les lettres de Louis Althusser à sa femme Hélène, qu'il étrangla en 1980, devenant ainsi le premier criminel de l'histoire de la philosophie. Chronique d'un meurtre annoncé.
en 1980. Inédites, les lettres qu'il lui a écrites sont aujourd'hui publiées. SIPA
L'histoire qu'on va lire n'en a toujours pas fini, trente ans plus tard, de propager ne sorte de terreur sacrée assortie de ricanements mauvais. Qui d'autre qu'un romancier pervers, un pasticheur de Dostoïevski mandaté par la CIA, aurait d'ailleurs pu en mettre au point l'atroce et implacable trame?
Le 16 novembre 1980 au petit matin, Louis Althusser, véritable mythe des années 1960-1970, initiateur philosophique de toute l'intelligentsia française contemporaine, étrangle sa femme Hélène rue d'Ulm, dans son appartement de l'Ecole. Déclaré irresponsable au moment des faits, il ne sera jamais jugé et survivra dix ans à son geste.
Sur les ruines encore fumantes du gauchisme, neuf ans avant la chute du mur de Berlin, la déréliction criminelle du plus fascinant métaphysicien du communisme français est pour toutes sortes de revanchards une divine surprise. L'acte d'accusation définitif du marxisme normalien, le suicide enfin accompli du « moment antihumaniste » français, également incarné par Foucault, Barthes ou Lacan.
Sur cette obscure affaire, les 700 pages de lettres à sa femme apportent un éclairage inédit, complémentaire de l'autobiographie écrite par Louis Althusser après le meurtre, «l'Avenir dure longtemps», parue en 1992. A maints égards, elles constituent une réhabilitation de la figure d'Hélène Rytmann. Ainsi que le souligne Yann Moulier-Boutang, biographe d'Althusser, celle-ci fut longtemps dépeinte par les proches du philosophe, notamment par ses maîtresses, en trognon revêche, en insoutenable chienne de garde pour lequel celui-ci n'aurait eu trente-cinq ans durant qu'un attachement filial dépravé.
Très frappantes, de ce point vue, les innombrables lettres empreintes d'amour vrai et d'admiration sans mélange pour Hélène, militante communiste juive de huit ans son aînée et héroïne véritable de la Résistance dont il fit la connaissance déjà douloureuse en janvier 1946. Mais le premier rôle de cette Correspondance, c'est le chaos mental d'Althusser qui le tient, ce syndrome bipolaire lui faisant alterner phases de dépression profonde, entre électrochocs et abrutissement au Valium, avec phases d'hyperactivité le poussant à multiplier les conquêtes, intellectuelles et sexuelles.
«Nous avions un Maître. J'ai vécu ma jeunesse dans l'illusion d'être un soldat dans la grande armée magnifique dont il était le Général, écrit Bernard-Henri Lévy dans la préface qui ouvre cette publication chez Grasset. Eh bien le Général prenait ses ordres chez son psychiatre. » C'est hélas bien cela le choc renouvelé de ces lettres à Hélène, leur révélation à la fois grotesque et terrible: la précocité de la démence d'Althusser, son intensité, sa présence sourde, continue, faisant des opérations conceptuelles extrêmement complexes de ce «sourcier» de la pensée marxiste, ainsi qu'il se décrit en 1962, quelques rares trouées au milieu d'un désastre sans borne.
Ainsi donc Louis Althusser, seule figure intellectuelle capable d'unir aujourd'hui dans un même éloge l'antitotalitaire auteur de «la Barbarie à visage humain» et Alain Badiou, qui lui rendait encore un hommage appuyé en 2008 dans «Petit Panthéon portatif» (la Fabrique), Althusser, seul point d'accord sentimental possible entre des personnages désormais aussi divergents que Régis Debray, Alexandre Adler et Etienne Balibar, Althusser, donc, était aussi ce vieil adolescent hagard, lâche, émouvant, ressassant ad nauseam un passé familial maudit et plus ou moins fictif. Celui-là même qui écrivait en 1967 à une Hélène condamnée: «Je commence à rêver que je pourrai bientôt reprendre contact avec la vie réelle.»
Aude Lancelin
[© Fonds Louis Althusser-Imec-Images]
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Le 16 novembre 1980 au petit matin, Louis Althusser, véritable mythe des années 1960-1970, initiateur philosophique de toute l'intelligentsia française contemporaine, étrangle sa femme Hélène rue d'Ulm, dans son appartement de l'Ecole. Déclaré irresponsable au moment des faits, il ne sera jamais jugé et survivra dix ans à son geste.
Sur les ruines encore fumantes du gauchisme, neuf ans avant la chute du mur de Berlin, la déréliction criminelle du plus fascinant métaphysicien du communisme français est pour toutes sortes de revanchards une divine surprise. L'acte d'accusation définitif du marxisme normalien, le suicide enfin accompli du « moment antihumaniste » français, également incarné par Foucault, Barthes ou Lacan.
Sur cette obscure affaire, les 700 pages de lettres à sa femme apportent un éclairage inédit, complémentaire de l'autobiographie écrite par Louis Althusser après le meurtre, «l'Avenir dure longtemps», parue en 1992. A maints égards, elles constituent une réhabilitation de la figure d'Hélène Rytmann. Ainsi que le souligne Yann Moulier-Boutang, biographe d'Althusser, celle-ci fut longtemps dépeinte par les proches du philosophe, notamment par ses maîtresses, en trognon revêche, en insoutenable chienne de garde pour lequel celui-ci n'aurait eu trente-cinq ans durant qu'un attachement filial dépravé.
Très frappantes, de ce point vue, les innombrables lettres empreintes d'amour vrai et d'admiration sans mélange pour Hélène, militante communiste juive de huit ans son aînée et héroïne véritable de la Résistance dont il fit la connaissance déjà douloureuse en janvier 1946. Mais le premier rôle de cette Correspondance, c'est le chaos mental d'Althusser qui le tient, ce syndrome bipolaire lui faisant alterner phases de dépression profonde, entre électrochocs et abrutissement au Valium, avec phases d'hyperactivité le poussant à multiplier les conquêtes, intellectuelles et sexuelles.
«Nous avions un Maître. J'ai vécu ma jeunesse dans l'illusion d'être un soldat dans la grande armée magnifique dont il était le Général, écrit Bernard-Henri Lévy dans la préface qui ouvre cette publication chez Grasset. Eh bien le Général prenait ses ordres chez son psychiatre. » C'est hélas bien cela le choc renouvelé de ces lettres à Hélène, leur révélation à la fois grotesque et terrible: la précocité de la démence d'Althusser, son intensité, sa présence sourde, continue, faisant des opérations conceptuelles extrêmement complexes de ce «sourcier» de la pensée marxiste, ainsi qu'il se décrit en 1962, quelques rares trouées au milieu d'un désastre sans borne.
Ainsi donc Louis Althusser, seule figure intellectuelle capable d'unir aujourd'hui dans un même éloge l'antitotalitaire auteur de «la Barbarie à visage humain» et Alain Badiou, qui lui rendait encore un hommage appuyé en 2008 dans «Petit Panthéon portatif» (la Fabrique), Althusser, seul point d'accord sentimental possible entre des personnages désormais aussi divergents que Régis Debray, Alexandre Adler et Etienne Balibar, Althusser, donc, était aussi ce vieil adolescent hagard, lâche, émouvant, ressassant ad nauseam un passé familial maudit et plus ou moins fictif. Celui-là même qui écrivait en 1967 à une Hélène condamnée: «Je commence à rêver que je pourrai bientôt reprendre contact avec la vie réelle.»
Aude Lancelin
[© Fonds Louis Althusser-Imec-Images]
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