Accueillir la Folie ?
Par Paul Machto21 Janvier 2011
Accueillir la folie ! que voilà un beau slogan en cette époque de rejet, de haines, de mises à l'écart, d'enfermement.
L'enfer me ment !
(..) Don Quichotte mourut et descendit aux enfers, il y entra la lance en arrêt, et délivra tous les condamnés, comme il avait fait autrefois pour les galériens, et, en fermant les portes, il en arracha l’inscription, celle que Dante y avait lue, et il en mit une autre qui disait « Vive l’Espérance ! »
(Miguel de Unamuno « Du sentiment tragique de la vie chez les hommes et chez les peuples. » 1913) cité par Lucien Bonnafé in « Le Personnage du psychiatre ».
Mais qu’est ce donc qu’accueillir ?
Qu’est ce que l’accueil ?
La question va être débattue lundi 24 janvier 2011, de 19 à 21 heures, à la Maison des Métallos à Paris. Cette soirée, animée par Sophie Dufau, journaliste à Médiapart, s’inscrit dans les « Lundis de Médiapart », rencontre mensuelle proposée au public.
L’accueil, pourrez-vous dire, y a des endroits pour ça. Un comptoir, parfois avec un vitre blindée.
J’ai pour ma part envie de vous livrer mes cheminements autour d’accueillir, de l’accueil ?
Je distinguerai pour la question qui nous occupe, la folie, les souffrances et les désordres psychiques, les maladies mentales, trois façons d’accueillir en psychiatrie.
- une façon « médicale »
- une façon bureaucratique,
- une façon « thérapeutique ».
Voilà, ça y est nous y sommes : dans la caricature, dans l’outrance.
Je précise tout de suite que la « médicale » peut rejoindre la « thérapeutique ».Car pourquoi distinguer la médicale de la thérapeutique ?
Quelle est cette distinction que je propose :
- la médicale peut s’appuyer sur une posture dominante, le pouvoir du médecin vis à vis du malade, posture dominante pas forcément délibérément, elle peut être involontaire, voire inconsciente, ou encore s’appuyer sur une posture paternaliste. Il ne suffit pas d’être médecin pour se trouver dans ce cas de figure. Il y a des psychologues, des infirmiers, des psychanalystes même, si, si j’en connais ! C’est une posture qu’il faut sans cesse débusquer, repérer en soi. Elle peut aller se nicher dans ce puissant « désir de guérir » à l’œuvre en chacun de nous, qui va s’appuyer sur LE savoir.
- La thérapeutique : elle s’appuie sur « la fonction d’accueil ». C’est ce que je vais m’attacher à développer.
- La bureaucratique, que je vais rapidement décrire , pour nous en débarrasser, bien qu’elle ait tendance à envahir les pratiques, dans l’ère gestionnaire et managériale actuelle. Elle consiste essentiellement à se limiter à des questions d’horaires, de présence ! Mais une présence qui n’est pas ou peu incarnée, vivante. Une « présence hygiaphonique » ! Avec des tickets, des numéros ! Une présence où il s’agit de « faire ses heures ». L’accueil, c’est 9 heures – 17 heures par exemple.
La « fonction d’accueil » ? C’est d’abord une disposition, une disponibilité, une attention à l’autre, une possibilité d’être à l’écoute, une capacité à être en lien avec l’autre. Cet autre qui d’ailleurs n’est pas uniquement le patient. C’est aussi le collègue, l’autre soignant, ce qui va permettre de rendre vivante une équipe, de constituer un « collectif ».
Mais cela peut être soi-même ! c’est à dire cet autre en soi, cet « étranger » de l’intérieur, qui va parfois nous jouer des tours, nous surprendre, nous pousser à faire des choses bizarres, qui vont nous faire dire « mais qu’est ce qui m’a pris ? »…. d’acheter ceci ou cela, un objet dont on a nul besoin. Ou encore d’avoir dit une parole qui « ne me ressemble pas ». Ou encore, « mais pourquoi me suis-je mis en colère comme ça ? ». Alors oui, être en capacité d’accueillir ce qui nous surprend.
La fonction d’accueil est aux antipodes de l’assistance. La fonction d’accueil est à la relation humaine, ce que l’assistance est aux assurances privées ! L’assistance, c’est ce plus qui vous est « offert » si vous pouvez vous payer une bonne assurance.
La fonction d’accueil, elle, est gratuite. C’est un état d’esprit à l’égard de l’autre, cet inconnu, cet étranger, mon frère en humanité. En cela elle rejoint l’hospitalité.
L’assistance, dans le domaine du soin, consiste à dire au malade ce qu’il doit faire. L’éduquer, le rééduquer. Cette tendance est lourde. Elle est ancienne. Elle puise ses sources dans « la logique asilaire ». Ce que l’on appelle l’asile dans sa connotation péjorative. L’asile, dans sa dimension de refuge, d’abri, de protection, d’hospitalité, c’est tout autre chose. Donner asile, est alors du côté du Don. Sans attendre de réciprocité. Même si l’on sait que le don peut engendrer de la dette. Alors, la réciprocité va aller de soi. Mais elle n’est pas demandée.
La fonction d’accueil se soutient de la reconnaissance de l’autre en tant que tel, qu’il soit souffrant, malade, fou. C’est la reconnaissance de l’autre comme mon semblable, c’est à dire un autre humain, différent mais proche. C’est alors le reconnaître comme une personne responsable, en capacité d’autonomie. C’est reconnaître qu’il a « prise sur sa vie », qu’il est acteur, qu’il est pour quelque chose dans ce qu’il lui arrive, ce qu’il vit, traverse et donc qu’il pourra être pour quelque chose pour se sortir des épreuves auxquelles il est confronté, qui lui sont « tombés » dessus. Il pourra être l’acteur du traitement de ses difficultés psychiques, affectives, sociales, acteur de sa reconstruction.
C’est ici qu’entre en jeu ce que l’on appelle la « thérapeutique ».
Car bien évidemment lorsqu’il arrive à l’hôpital, ou dans le bureau du psychiatre, du médecin, il est envahi par quelque chose qui s’est imposé à lui. Il va d’ailleurs demander : « Mais qu’est ce qui m’arrive ? dites-moi ce que j’ai ! » D’être possédé par son délire par exemple, il se sent dépossédé de lui-même. Il subit. Ce qu’il vit, il le perçoit comme étranger à lui-même, extérieur. Il ne se sent pas du tout « acteur ». Il se sent agi. Il se sent comme un objet, un fragile esquif sur un océan déchaîné.
C’est en cela que la thérapeutique est un art, qui prend en compte la complexité de ce que vit le patient, la complexité de la relation dans laquelle le thérapeute doit se sentir engagé. C’est là où la formation à la relation, la prise en compte de l’Inconscient est indispensable. Et cette formation ne concerne pas que le médecin, le psychiatre, le psychologue. Elle concerne tous les soignants, infirmiers, assistants sociaux, ergothérapeute, tous les acteurs d’une équipe soignante. Car certaines problématiques, certaines situations, ne peuvent s’appréhender qu’à plusieurs, par une équipe, un collectif. Cela demande de la diversité, de l’hétérogénéité.
C’est dans la mesure où le soignant, le thérapeute aborde l’autre dans cet état d’esprit, qu’il pourra l’amener à prendre conscience de sa capacité à prendre en main ses affaires, sa vie, à traiter ses désordres qui l’ont conduit à se retrouver dans cet état, dans la souffrance, dans la pathologie qui l’ont mené à l’hôpital, en consultation, en psychiatrie, ces désordres psychiques qui l’ont poussé à des actes incompréhensibles pour les autres mais aussi d’abord pour lui-même.
C’est dans ce cadre, que le soignant peut « l’assister », dans le sens de le soutenir, être à ses côtés. Lorsque l’on parle d’un assistant dans un film, un assistant à la réalisation, on désigne là une fonction, c’est celui qui aide le réalisateur, le metteur en scène. Ce n’est pas l’assistant qui fait le film. Dans l’objet qui nous occupe, l’assistant c’est le soignant, le réalisateur, c’est le patient ! Le soignant, c’est celui qui aide, pas celui qui fait à la place de, ou qui décide pour l’autre.
Paul Machto
Par Paul Machto21 Janvier 2011
Accueillir la folie ! que voilà un beau slogan en cette époque de rejet, de haines, de mises à l'écart, d'enfermement.
L'enfer me ment !
(..) Don Quichotte mourut et descendit aux enfers, il y entra la lance en arrêt, et délivra tous les condamnés, comme il avait fait autrefois pour les galériens, et, en fermant les portes, il en arracha l’inscription, celle que Dante y avait lue, et il en mit une autre qui disait « Vive l’Espérance ! »
(Miguel de Unamuno « Du sentiment tragique de la vie chez les hommes et chez les peuples. » 1913) cité par Lucien Bonnafé in « Le Personnage du psychiatre ».
Mais qu’est ce donc qu’accueillir ?
Qu’est ce que l’accueil ?
La question va être débattue lundi 24 janvier 2011, de 19 à 21 heures, à la Maison des Métallos à Paris. Cette soirée, animée par Sophie Dufau, journaliste à Médiapart, s’inscrit dans les « Lundis de Médiapart », rencontre mensuelle proposée au public.
L’accueil, pourrez-vous dire, y a des endroits pour ça. Un comptoir, parfois avec un vitre blindée.
J’ai pour ma part envie de vous livrer mes cheminements autour d’accueillir, de l’accueil ?
Je distinguerai pour la question qui nous occupe, la folie, les souffrances et les désordres psychiques, les maladies mentales, trois façons d’accueillir en psychiatrie.
- une façon « médicale »
- une façon bureaucratique,
- une façon « thérapeutique ».
Voilà, ça y est nous y sommes : dans la caricature, dans l’outrance.
Je précise tout de suite que la « médicale » peut rejoindre la « thérapeutique ».Car pourquoi distinguer la médicale de la thérapeutique ?
Quelle est cette distinction que je propose :
- la médicale peut s’appuyer sur une posture dominante, le pouvoir du médecin vis à vis du malade, posture dominante pas forcément délibérément, elle peut être involontaire, voire inconsciente, ou encore s’appuyer sur une posture paternaliste. Il ne suffit pas d’être médecin pour se trouver dans ce cas de figure. Il y a des psychologues, des infirmiers, des psychanalystes même, si, si j’en connais ! C’est une posture qu’il faut sans cesse débusquer, repérer en soi. Elle peut aller se nicher dans ce puissant « désir de guérir » à l’œuvre en chacun de nous, qui va s’appuyer sur LE savoir.
- La thérapeutique : elle s’appuie sur « la fonction d’accueil ». C’est ce que je vais m’attacher à développer.
- La bureaucratique, que je vais rapidement décrire , pour nous en débarrasser, bien qu’elle ait tendance à envahir les pratiques, dans l’ère gestionnaire et managériale actuelle. Elle consiste essentiellement à se limiter à des questions d’horaires, de présence ! Mais une présence qui n’est pas ou peu incarnée, vivante. Une « présence hygiaphonique » ! Avec des tickets, des numéros ! Une présence où il s’agit de « faire ses heures ». L’accueil, c’est 9 heures – 17 heures par exemple.
La « fonction d’accueil » ? C’est d’abord une disposition, une disponibilité, une attention à l’autre, une possibilité d’être à l’écoute, une capacité à être en lien avec l’autre. Cet autre qui d’ailleurs n’est pas uniquement le patient. C’est aussi le collègue, l’autre soignant, ce qui va permettre de rendre vivante une équipe, de constituer un « collectif ».
Mais cela peut être soi-même ! c’est à dire cet autre en soi, cet « étranger » de l’intérieur, qui va parfois nous jouer des tours, nous surprendre, nous pousser à faire des choses bizarres, qui vont nous faire dire « mais qu’est ce qui m’a pris ? »…. d’acheter ceci ou cela, un objet dont on a nul besoin. Ou encore d’avoir dit une parole qui « ne me ressemble pas ». Ou encore, « mais pourquoi me suis-je mis en colère comme ça ? ». Alors oui, être en capacité d’accueillir ce qui nous surprend.
La fonction d’accueil est aux antipodes de l’assistance. La fonction d’accueil est à la relation humaine, ce que l’assistance est aux assurances privées ! L’assistance, c’est ce plus qui vous est « offert » si vous pouvez vous payer une bonne assurance.
La fonction d’accueil, elle, est gratuite. C’est un état d’esprit à l’égard de l’autre, cet inconnu, cet étranger, mon frère en humanité. En cela elle rejoint l’hospitalité.
L’assistance, dans le domaine du soin, consiste à dire au malade ce qu’il doit faire. L’éduquer, le rééduquer. Cette tendance est lourde. Elle est ancienne. Elle puise ses sources dans « la logique asilaire ». Ce que l’on appelle l’asile dans sa connotation péjorative. L’asile, dans sa dimension de refuge, d’abri, de protection, d’hospitalité, c’est tout autre chose. Donner asile, est alors du côté du Don. Sans attendre de réciprocité. Même si l’on sait que le don peut engendrer de la dette. Alors, la réciprocité va aller de soi. Mais elle n’est pas demandée.
La fonction d’accueil se soutient de la reconnaissance de l’autre en tant que tel, qu’il soit souffrant, malade, fou. C’est la reconnaissance de l’autre comme mon semblable, c’est à dire un autre humain, différent mais proche. C’est alors le reconnaître comme une personne responsable, en capacité d’autonomie. C’est reconnaître qu’il a « prise sur sa vie », qu’il est acteur, qu’il est pour quelque chose dans ce qu’il lui arrive, ce qu’il vit, traverse et donc qu’il pourra être pour quelque chose pour se sortir des épreuves auxquelles il est confronté, qui lui sont « tombés » dessus. Il pourra être l’acteur du traitement de ses difficultés psychiques, affectives, sociales, acteur de sa reconstruction.
C’est ici qu’entre en jeu ce que l’on appelle la « thérapeutique ».
Car bien évidemment lorsqu’il arrive à l’hôpital, ou dans le bureau du psychiatre, du médecin, il est envahi par quelque chose qui s’est imposé à lui. Il va d’ailleurs demander : « Mais qu’est ce qui m’arrive ? dites-moi ce que j’ai ! » D’être possédé par son délire par exemple, il se sent dépossédé de lui-même. Il subit. Ce qu’il vit, il le perçoit comme étranger à lui-même, extérieur. Il ne se sent pas du tout « acteur ». Il se sent agi. Il se sent comme un objet, un fragile esquif sur un océan déchaîné.
C’est en cela que la thérapeutique est un art, qui prend en compte la complexité de ce que vit le patient, la complexité de la relation dans laquelle le thérapeute doit se sentir engagé. C’est là où la formation à la relation, la prise en compte de l’Inconscient est indispensable. Et cette formation ne concerne pas que le médecin, le psychiatre, le psychologue. Elle concerne tous les soignants, infirmiers, assistants sociaux, ergothérapeute, tous les acteurs d’une équipe soignante. Car certaines problématiques, certaines situations, ne peuvent s’appréhender qu’à plusieurs, par une équipe, un collectif. Cela demande de la diversité, de l’hétérogénéité.
C’est dans la mesure où le soignant, le thérapeute aborde l’autre dans cet état d’esprit, qu’il pourra l’amener à prendre conscience de sa capacité à prendre en main ses affaires, sa vie, à traiter ses désordres qui l’ont conduit à se retrouver dans cet état, dans la souffrance, dans la pathologie qui l’ont mené à l’hôpital, en consultation, en psychiatrie, ces désordres psychiques qui l’ont poussé à des actes incompréhensibles pour les autres mais aussi d’abord pour lui-même.
C’est dans ce cadre, que le soignant peut « l’assister », dans le sens de le soutenir, être à ses côtés. Lorsque l’on parle d’un assistant dans un film, un assistant à la réalisation, on désigne là une fonction, c’est celui qui aide le réalisateur, le metteur en scène. Ce n’est pas l’assistant qui fait le film. Dans l’objet qui nous occupe, l’assistant c’est le soignant, le réalisateur, c’est le patient ! Le soignant, c’est celui qui aide, pas celui qui fait à la place de, ou qui décide pour l’autre.
Paul Machto