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Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

jeudi 8 avril 2010




Pousseur du RER: "De tels drames n'ont rien d'inéluctable"
Par Estelle Saget,
publié
le 06/04/2010

Après le décè
s d'un voyageur poussé contre un RER, le psychiatre Yann Hodé revient sur ces accidents qui impliquent des patients souffrant de schizophrénie.

Ce décès était-il évitable ?

Les médias ont précisé que le "pousseur" souffrait d'une schizophrénie et qu'il avait arrêté son traitement. Sa mère avait signalé à plusieurs reprises sa dangerosité. Il y aurait donc eu, en théorie, des possibilités de prévention. En pratique, des événements de ce
type sont rapportés presque annuellement dans la presse, et pourtant de nombreuses familles continuent à se plaindre de ne pas trouver d'aide lorsque leur proche malade a un comportement dangereux. Dans ce domaine, chacun essai de se défausser sur l'autre. Les services de police ou de gendarmerie lorsqu'ils sont alertés disent que cela dépend de la psychiatrie, la psychiatrie répond souvent qu'elle ne peut pas aller chercher une personne, qu'il faut qu'on l'amène à l'hôpital pour qu'elle puisse agir. Les médecins généralistes ne sont pas toujours bien formés à analyser la dangerosité de certaines situations et ils se plaignent d'être parfois très seuls face à des services hospitaliers qui ont quelques peines à les entendre. Des drames comme celui du RER parisien, pourtant, n'ont rien d'inéluctable.

Pourquoi ne pas avoir hospitalisé cet homme, de force si nécessaire, avant que le pire se produise ?

Le respect de la liberté individuelle entraine une réticence, légitime, à prendre des mesures pouvant paraitre comme liberticides. Nous avons plus à craindre un contrôle excessif de toute déviance comportementale que le risque - rare - d'agressions graves par des personnes malades. L'influence salutaire de la réflexion de Foucault sur le contrôle que la société veut exercer sur des individus nous a appris à être prudent face à des mesures d
e pseudo bon sens qui procéderaient d'une logique opprimante pour l'individu. En même temps, ne pourrait-on pas intervenir plus souvent de façon préventive sans pour autant prendre un risque d'atteinte à nos libertés ? Entre les positions sécuritaires, inadaptées, et les positions non interventionnistes, dogmatiques, n'y aurait-il pas la place pour des positions plus humbles et ouvertes au dialogue, pour la recherche d'une meilleure prévention possible dans le respect de la protection de la liberté des individus ? C'est ce que pensent de nombreuses familles de malades. Elles sont confrontées au quotidien à des anomalies de comportement tellement manifestes de leur proche qu'elles ne comprennent pas les réticences auxquelles elles font face pour le faire soigner contre sa volonté.

Pourquoi les familles ne sont-elles pas écoutées ?

Leur parole est souvent suspecte car elle est jugée partiale par les équipes médicales. Ces dernières ont un point de vue certainement moins affectif mais non moins partial, car elles ne voient pas au quotidien la réalité des troubles du malade. Sans en faire une généralité, de nombreux professionnels de la psychiatrie ont tendance à ne pas écouter ce que disent les familles. Dans une étude récente réalisée auprès
de 33 parents participant à un programme psychoéducatif pour soutenir leur proche souffrant de schizophrénie, 40% d'entre eux se disaient plutôt insatisfaits de leur demande d'aide auprès des médecins et 36% insatisfaits de la communication avec le médecin qui suit leur proche. Et même si cet échantillonnage n'était pas représentatif, les associations de familles de malades rapportent suffisamment de cas de difficultés de communication des familles avec la psychiatrie pour penser que ces situations ne sont pas rares. Cette difficulté à prendre en compte les familles et à les écouter contribue à une mauvaise évaluation des risques réels liés à l'état du malade. Notre médecine est une médecine qui donne la primauté à l'individu dans une relation duelle médecin-malade et c'est un mode de fonctionnement que la grande majorité d'entre nous ne voudrait pas voir remise en cause. Quelque soient les relations que nous pouvons entretenir avec notre famille, nous préférons avoir la maitrise de la façon dont nous voulons ou non l'associer dans la connaissance de notre état de santé et dans les décisions afférentes. Dans cette logique, la famille est habituellement ignorée du médecin.

Peut-on espérer un changement ?

De plus en plu
s de médecins sont aujourd'hui attentifs aux appels de détresse des familles. Des efforts sont encore à faire mais c'est l'ensemble de la société qui doit changer. Que chacun ouvre ses yeux, son esprit et son cœur, qu'il ne reste pas sur ses préjugés et ses connaissances anciennes alors que la compréhension des maladies mentales a été profondément changée en à peine plus de deux décennies. Souvent perçues à tort comme des maladies de l'âme plutôt que comme des maladies du cerveau, elles posent des questions éthiques difficiles. Les malades souffrant de schizophrénie représentent 1% de la population (20 personnes dans un village de 2000 habitants), mais un pourcentage dix fois supérieur des personnes incarcérées et des personnes en situation de grande précarité. Rappelons-le, les maladies mentales ne sont pas rares, elles n'arrivent pas qu'aux autres, elles ne sont pas un échec personnel, beaucoup se soignent très bien, et elles n'ont rien d'infamant. Encore faut-il avoir la curiosité de s'informer sur elles, sur les progrès des neurosciences. C'est une bonne façon de contribuer à une société plus humaine.

Le Dr Yann Hodé est psychiatre à l'hôpital de Rouffach (Bas-Rhin).







SOCIÉTÉ
06/04/2010

«Pousseur» du RER : pouvait-on éviter le drame?
Par MARIE PIQUEMAL

La mort d'un voyageur poussé vendredi contre une rame de RER continue de susciter le débat, sur le mode «le drame aurait-il pu être évité?». La mère du jeune homme schizophrène auteur présumé des faits, en est persuadée. Et dénonce, par la voix de son avocate, «de graves dysfonctionnements». Les pouvoirs publics auraient-ils pu intervenir, et dans quel cadre? Eléments de réponse.

Y a-t-il eu un dysfonctionnement ?

Roselyne Bachelot, la ministre de la Santé devait saisir ce mardi l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) pour s'assurer que «tout a été bien respecté» dans cette affaire. Et le ministère de commenter, avant même l'ouverture de l'enquête: «Il s'agit d'une saisine classique. On est très sereins.»

«Il faudra quand même que des personnes s'expliquent», tempête de son côté Geneviève Touati, l'avocate de la mère de l'auteur présumé des faits. «Il y a eu un dysfonctionnement quelque part. Ma cliente a aujourd'hui le sentiment aigu que ce qui est arrivé aurait pu être évité. Elle a vu l'état de son fils se dégrader de jour en jour. Elle a essayé d'alerter le service de soins de l'hôpital où son fils était traité, mais aussi la police de sa commune, une élue... Il n'y a pas eu de réponse à la hauteur du problème.»

L'avocate s'interroge surtout sur la rupture de soins. «Comment se fait-il que ce jeune homme, diagnostiqué comme schizophrène depuis 2005 et soumis à une injonction de soins, ne se soit pas rendu aux rendez-vous fixés à l'hôpital des 6 février et du 6 mars? Et qu'il n'ait reçu un rappel à l'ordre par courrier que le 31 mars, lui exigeant de se présenter au psychiatre le 7 avril !»

Peut-on forcer une personne à se soigner ?

Sur ce point, le droit pourrait évoluer. Aujourd'hui, l'obligation de soins est limitée. «C'est une difficulté à laquelle on est souvent confronté. Souvent, des parents nous appellent ne sachant quoi faire. On leur demande de venir avec le patient à l'hôpital mais s'il refuse, on ne peut pas l'obliger, explique Florence Thibaut, professeur de psychiatrie à Rouen. En tant que psychiatre à l'hôpital, on n'a pas le droit de se rendre au domicile des patients. On essaie de le convaincre, mais dans la grande majorité des cas, on ne peut pas le forcer à accepter un soin.»

Reste alors la possibilité — encadrée par la loi — de demander une hospitalisation sous contrainte. Deux procédures existent dans l'état actuel du droit. L'hospitalisation à la demande d'un tiers (HDT), qui peut être un membre de la famille, un proche ou personne agissant dans son intérêt (à l'exclusion des personnels soignants ou de direction de l'établissement hospitalier), nécessite deux certificats médicaux attestant la dangerosité de l'individu.

Or, en l'espèce, «aucun tiers ou membre de sa famille n'a fait la demande pour qu'il soit hospitalisé sous contrainte», soulignait lundi soir le ministère de la santé. Sauf que, note l'avocate, «la mère n'avait pas les moyens d'obliger son fils à se rendre chez le médecin pour qu'il atteste de son état.»

Il existe aussi l'hospitalisation d'office, mesure d'ordre public ordonnée par le préfet du département (préfet de police à Paris). Ou par le maire en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes. La loi du 4 mars 2002 subordonne l'hospitalisation d'office à trois conditions : l'existence d'un trouble mental, la nécessité de soins de ce trouble, et une atteinte grave à l'ordre public.

Ce cadre juridique aurait pu être adapté au cas du «pousseur». Mais y avait-il «atteinte grave à l'ordre public» avant qu'il commette son geste ? «Vu ce qu'on connaît du dossier, il est impossible de répondre», explique le Dr Pierre Paresys, vice-président de l'union syndicale des psychiatres. Qui ajoute: «Ce n'est pas parce que la famille dit qu'il est dangereux que c'est forcément le cas».

Mais la législation pourrait changer, à en croire un projet de loi, révélé par Libération du 26 mars, qui envisage de développer «les soins obligatoires», y compris quand le patient n'est pas hospitalisé. On ne parlerait alors plus d'hospitalisation libre ou forcée, mais de soins avec ou sans consentement...«Ce n'est pas un hasard si le gouvernement réagit autant aujourd'hui sur ce drame», dénonce Pierre Paresys, regrettant que les médias suivent. «C'est tout à fait exaspérant. Pourquoi ne parle-t-on pas plutôt de la violence de Mme Bachelot qui détruit le service public hospitalier?»






A LA UNE
Publié le 06/04/2010
Reuters


Enquête des services de santé sur le "pousseur" du RER

Tout en écartant a priori tout dysfonctionnement, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a saisi mardi l'Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) de l'affaire du "pousseur" du RER.

Il s'agit d'une saisine classique destinée à vérifier que "tout a bien été respecté", a-t-on précisé au ministère.

La mise en examen le week-end dernier d'un homme qui avait projeté un voyageur contre une rame, sur un quai du RER, a fait rejaillir le débat sur l'obligation de soins psychiatriques.

L'avocate du meurtrier présumé, âgé de 28 ans, a dénoncé des "dysfonctionnements" au sein de la police et des services médicaux, soulignant que ces derniers avaient été alertés par la mère de la dégradation de l'état psychiatrique de son fils.

"J'avais tiré le signal d'alarme, je sentais que mon fils pouvait commettre l'irréparable à chaque instant", a déclaré la mère du jeune homme aux journalistes.

Mais "aucun tiers ou membre de la famille" du jeune homme n'a fait de demande pour qu'il soit hospitalisé sous contrainte, seul moyen de prendre en charge un malade malgré lui, souligne-t-on au ministère.

Le meurtrier présumé n'était donc sous le contrôle d'aucun établissement de soins, a-t-on ajouté.

Le débat sur l'obligation de soins ressurgit chaque fois qu'une personne plus ou moins déséquilibrée est impliquée dans un faits divers.

En 2008, Nicolas Sarkozy avait vivement réagi à la mort d'un étudiant poignardé dans les rues de Grenoble (Isère) par un pensionnaire en fugue d'un hôpital psychiatrique.

Le chef de l'État avait demandé la préparation d'un arsenal de mesures pour sécuriser les hôpitaux psychiatriques et un projet de loi destiné à réformer les conditions d'hospitalisation en psychiatrie.

Selon Libération, daté de mardi, le hasard du calendrier veut que ce projet de loi soit prêt à être présenté aux syndicats du secteur de la psychiatrie, avant d'aller devant le Parlement.

Actuellement, l'hospitalisation peut être faite à la demande d'un tiers ou décidée d'office par un préfet ou un maire dans un souci d'ordre public.

Le projet propose de faciliter l'obligation de soins à domicile du patient, avec pour menace son hospitalisation forcée s'il ne suit pas son traitement.

Cette mesure est susceptible de s'appliquer "à de très nombreux cas", écrit le quotidien, tout en se demandant si la psychiatrie publique, qui souffre d'un manque de moyens, sera en situation de l'appliquer.

Parallèlement, le projet prévoit un recours plus facile au juge des libertés et de la détention si le patient estime qu'il est victime d'une privation injuste de liberté.

Gérard Bon
, édité par Sophie Louet






L’IGAS saisie sur le suivi psychiatrique du « pousseur » du RER


Y a-t-il eu des dysfonctionnements des services médicaux, comme l’estiment la mère et l’avocate de l’homme de 28 ans qui a tué un voyageur du RER, le 2 avril, en le poussant violemment contre une rame qui entrait à la station ? Roselyne Bachelot a décidé de saisir l’Inspection des affaires sociales (IGAS), pour s’assurer que « tout a été bien respecté », précise-t-on au ministère de la Santé. La polémique est en tout cas relancée sur l’obligation de soins et la loi sur l’hospitalisation sous contrainte en cours de réforme (« le Quotidien » de ce 6 avril).

Le meurtrier présumé était, d’après son avocate, Geneviève Touati,« schizophrène et souffrant de troubles profonds ». Suivi au centre Les Murets, à La Queue-en-Brie (Val-de-Marne), il avait refusé en février l’injection mensuelle que prévoyait son traitement. Sa mère aurait alors alerté les services médicaux et la police, mais, affirme Me Touati, « la réponse donnée n’a pas été à la hauteur de la situation ».


« Aucun tiers ou membre de sa famille n’a fait la demande pour qu’il soit hospitalisé sous contrainte,
précise le ministère de la Santé. Il n’était donc sous le contrôle d’aucun établissement de soins. »


La mère du jeune homme, qui l’hébergeait, avait signalé le cas à la mairie de Fontenay-sous-Bois, où elle réside. La mairie avait alerté le psychiatre traitant et le commissariat et, le 23 mars, conseillé à la mère de prévenir la police. Cette dernière est intervenue dans l’appartement et a emmené le jeune homme puis l’a relâché. « Lors d’une intervention à domicile de ce type, le seul fondement pour une hospitalisation sous la contrainte est une demande de la famille, d’un tiers ou du maire », a rappelé à l’AFP la préfecture de police, ajoutant qu’« à la date du drame, cette demande n’avait pas été formulée ».

› R. C.
Quotimed.com, le 06/04/2010






05-04-2010
Michel Bénézech: "Notre législation est inadaptée"

Michel Bénézech, psychiatre, expert en psychiatrie criminelle, revient sur le meurtre d'un usager du RER, poussé sur la voie par un déséquilibré, et les conséquences de cet acte.


Le drame du RER A ne met-il pas en lumière la question du suivi des personnes souffrant de graves pathologies mentales ?
Je pense qu'il serait injuste et maladroit de jeter l'opprobre sur le corps médical dans cette affaire. Il faut dire ce qui est : en terme de suivi des personnes présentants des troubles psychiatriques lourds, nous avons une législation inadaptée. Je n'accuse personne, mais c'est le cas. Dans ma carrière, des affaires similaires à celle du RER A, où les proches avaient prévenus les autorités sur la dangerosité d'une personne, j'en ai vu des centaines. A force de faire du juridisme et de l'administratif, on provoque des catastrophes. Les chiffres parlent pourtant d'eux mêmes : sur 100 personnes, il y a un psychotique, et sur 100 meurtriers, il y a dix psychotiques.

Que préconisez vous ?
Au lieu de légiférer à tour de bras sur des lois complexes et multiples, allant du code pénal à celui de la santé publique, il faudrait une loi unique de défense sociale, de traitement et de réinsertion. L'objectif visé serait que toute personne qui a commis des actes graves sous l'emprise de troubles psychiatriques, et qui serait jugé comme tel par une commission ad hoc, pourrait être soumis à un contrôle médico-judiciaire régulier et obligatoire. Avec une loi efficace, on pourrait prévenir et éviter des drames, particulièrement lorsque l'entourage signale aux autorités des comportements suspects.






Mis à jour 08-04-2010

"Ne vous croyez pas menacés par les malades mentaux"

Qui sont les "pousseurs" ? Quel suivi pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques ? Gérard Lopez, psychiatre, expert auprès des tribunaux a débattu avec les metronautes.

Fredo : Bonjour. A votre avis le drame du RER aurait-il pu être évité ?
On sait que les schizophrènes qui arrêtent leur traitement rechutent. Ceux qui ont commis des actes graves peuvent en commettre d'autres et méritent une surveillance soutenue. Mais il est impossible de prévoir un acte de violence. Dans le cas de ce patient, il aurait fallu que les personnels du secteur alertés par sa mère tentent de le rencontrer pour lui donner son traitement ou à défaut l'hospitaliser sans consentement. Mais c'est plus facile à dire après parce que le secteur psychiatrique est débordé et manque de moyen.

Mina : J'ai lu, dans votre article, qu'il était question d'une personnalité de "pousseur". Peut-on vraiment parler de personnalité ou de passages à l'acte très particuliers ?
Il n'y a pas de personnalité "pousseur", souvent ce sont des psychotiques (schizophrènes) qui se sentent persécutés et entendent des voix qui leur commandent d'agir.
La psychiatrie manque de moyens en hommes surtout : on forme peu de psychiatres depuis de nombreuses années et la situation risque de devenir très préoccupante.

Lolo77 : C'est quoi au juste la schizophrénie ?
Une maladie psychiatrique qui atteint 1 % de la population. On pourrait dire que c'est un délire flou d'adolescent ou jeunes adultes perdus dans leur monde coupé de la réalité et qui nécessitent des soins précoces pour éviter une invalidation avec désocialisation.

Sally : Si on est témoin d'une telle scène, ou de quelqu'un d'agité qui semble dangereux, comment faut-il réagir ?
Bien entendu, si on peut maitriser la personne... mais il faut aussi appeler les secours et alerter la police.

Inès : La psychiatrie a-t-elle vraiment les moyens de soigner ce genre de personne ?
Oui, la psychiatrie dispose de moyens pour soigner la schizophrénie : des médicaments antipsychotiques efficaces et des psychothérapies institutionnelles et individuelles.

Nuck : Ce genre de criminel est-il irrécupérable ?
Non, mais il faut faire en sorte qu'ils n'arrêtent pas leur traitement comme ils ont tendance à la faire parce qu'ils nient être malades ou qu'ils ne supportent pas les désagréments des médicaments (ralentissement, sécheresse de la bouche, constipation, etc.). Ce type de surveillance est difficile et nécessite une coopération entre le secteur psychiatrique et la famille. En cas d'arrêt du traitement, il faudrait hospitaliser le malade sans son consentement, comme prévu par la loi.

Apple : Si la psychiatrie peut soigner comment se fait-il qu'il y ait autant de malades dans les rues, dangereux en plus ?
Les schizophrènes ne sont pas beaucoup plus dangereux que les gens dits normaux. On exagère leur dangerosité. Seul un petit nombre est dangereux, ceux qui commettent des actes violents quand ils rechutent.

Ninio : Ca arrive souvent la situation de non assistance dans laquelle s'est trouvée la maman du pousseur ? Silence de l'hôpital, de la police... On fait quoi dans ces cas là ?
En ce qui concerne ce cas particulier, j'ignore s'il y a eu un dysfonctionnement : l'enquête le dira et elle servira peut être de modèle pour améliorer les choses. Je dois dire qu'il est possible de faire appel à un psychiatre au moment de la garde à vue comme cela est organisé dans le 93 et le 91 par exemple, et ce dernier peut alors faire hospitaliser une personne dangereuse en urgence contre son consentement.

Miche : Un nouveau projet de loi prévoit des soins forcés pour les malades psychiatriques. Qu'en pensez-vous ?
Cela existe depuis toujours et c'est une nécessité. On peut faire hospitaliser un malade qui a besoin de soins urgent à la demande de la famille par exemple ou un malade dangereux.

Sandro : Le pousseur est-il "irresponsable" pénalement d'après vous ?
Cela me parait probable s'il délirait parce dans ce cas son discernement était aboli : ce sont des experts psychiatres qui en décideront à la demande des autorités judiciaires.

Apple : Qu'est-ce la mère de ce garçon aurait pu/dû faire ? De façon générale, comment éviter de tels drames ?
Il semble que la mère se soit démenée et qu'elle ait fait ce qu'elle a pu. J'ai cru comprendre que la police s'était dérangée à son domicile et qu'elle avait trouvé un malade calme. Peut être aurait-il fallu que la police fasse appel à un psychiatre sur réquisition comme cela peut se faire, notamment dans le 91 et le 93, mais aussi ailleurs. Le psychiatre aurait pu décider de faire hospitaliser le malade. Mais c'est plus facile à dire après que sur le moment, les policiers n'étant pas médecins.

Jony : Le pousseur a t-il conscience d'avoir commis un crime ? Que va-t-il se passer pour lui maintenant ?
S'il en a conscience, il est partiellement responsable et sera jugé. S'il croit qu'il était menacé son discernement était aboli, il ne sera pas jugé. Ce sont les experts qui en décideront. Après traitement, il comprendra qu'il obéissait à un délire.

Nickup : De quelle façon faudrait-il légiférer à votre avis ?
Comme je viens de le dire : responsable partiellement ou irresponsable.

Apple : La psychiatrie ne manque t-elle pas de trop de moyens pour pouvoir vraiment répondre à sa mission ?
Si, la psychiatrie manque de moyens en hommes surtout : on forme peu de psychiatres depuis de nombreuses années et la situation risque de devenir très préoccupante.

Mufa : Travaillez-vous vous aussi avec des schizophrènes ? Comment les soignez-vous ?
Le traitement de la schizophrénie est bien connu, codifié, efficace : il est le pain quotidien du psychiatre hospitalier.

Ilanne : Quelle est votre analyse de ce drame en tant que psychiatre.
Il faudrait pouvoir surveiller les schizophrènes qui deviennent violents quand ils arrêtent leur traitement et pour cela avoir plus de moyens en hommes

J'ai passé un bon moment avec les lecteurs de Metro. J'espère avoir contribué à éclairer leurs lanternes. Si certains d'entre eux veulent en savoir davantage, qu'ils lisent le "Dictionnaire des Sciences criminelles" paru chez Dalloz ou "psychocriminioloie" paru aux éditions Dunod. Bonne journée à tous : ne vous croyez pas menacés par les malades mentaux, mais plus par la circulation routière par exemple : soyez prudent.

Marie Morizot
Metrofrance.com




Psychiatrie, fin programmée de l’Accueil et des fédérations d’usagers

05 Avril 2010
Par guy Baillon

Pendant que la nouvelle loi sur la psychiatrie tue l'Accueil des patients, le Ministère a décidé de mettre fin aux Fédérations d'usagers FNAPSY et UNAFAM. La nouvelle loi est une accumulation de "menaces" du début à la fin. « Si vous n'acceptez pas les soins, sachez qu'ils vous seront appliqués contre votre gré, soit en vous "internant" à l'hôpital, soit en vous internant à domicile !» sera-t-il affirmé aux personnes adressées sans qu'ils sachent pourquoi à l'un des futurs centres d'accueil de 72h.

C'est le retour à l'époque asilaire de « 1838 » ! Mais en deux temps, avec une "injonction" première (et en douce une injection intramusculaire vous mettant hors d'état de parler), suivie d'une extension très large de l'internement, ce que nous n'avons jamais connu.

Savez-vous de quoi a besoin une personne que traversent des troubles psychiques graves, et qui donc ne perd jamais totalement la raison ? Elle a besoin de calme, et de cette fameuse sécurité dont on nous rebat les oreilles. Ce calme, cette sécurité, cet apaisement, elle n'y a accès que si des personnes expérimentées, calmes elles-mêmes, sont "libres" de faire leur travail selon leur conscience, leur éthique, en prenant le temps qu'il faut ; se mettent à les écouter au point de faire naitre un climat et une relation de confiance, puis de les revoir le lendemain, et à plusieurs reprises, dans le même climat, à les accompagner dans leur vie un moment, depuis ce moment de défaillance jusqu'à tous ces moments où le soutien, l'explication, nécessaires, leur donnent accès aux soins dont cette personne peut avoir besoin. C'est un simple travail d'accueil tel que des équipes le pratiquent avec succès depuis 30 ans dans un espace banal de la ville avec une équipe compétente, pour tout type de troubles.

Avec cette loi c'est tout le contraire qui est "imposé". Sur une simple inquiétude de quelqu'un de l'entourage, cette même personne va être emmenée dans un centre de 72h. Elle ne pourra refuser ni l'entrée ni le séjour. Séparée des siens, de ses proches, sans défenseur, la même double question lui sera posée: « Savez-vous que vous êtes malade Acceptez-vous les soins ? »

« Oui ? Vous êtes libérée » (mais attention l'Accueil 72 est toujours là, alors si vous arrêtez vos soins, ..!), la menace "veille" sur vous, ...

Vous ne "voulez" pas ? Alors vous êtes interné à l'hôpital. Cependant si vous le demandez vous pouvez être interné chez vous » nouvelle menace, avec cette extension équivoque.

Mais qui peut croire que l'on se soigne sous la menace et sous la contrainte ? Alors que chacun comprend que se soigner sur le plan psychique demande à la personne un travail intérieur très profond, obligeant à se remettre en cause, à se vivre atteint dans ce que l'on aime le plus, soi, l'estime de soi, ensuite cet effort va s'appuyer sur notre liberté profonde d'être humain. Chacun sait qu'aucun médicament n'a ce pouvoir de nous "changer", un médicament ne peut que nous mettre dans les "vaps" pendant le temps limité à sa présence dans notre sang, mais il ne change ni notre personnalité, ni notre pensée.

Nous savons très bien que les usagers et les familles vont rapidement se rendre compte qu'ils sont tombés dans un piège où les souffrances des malades et de leur entourage vont se multiplier à toute vitesse.

Pourquoi toute cette armada de textes et de menaces ?

Parce qu'il est plus simple de s'attaquer aux personnes les plus vulnérables de la société, ceux qui n'ont pas d'appui politique ni financier, plutôt que les chefs d'entreprise qui harcèlent tout leur personnel et mettent sur la paille tant de gens, et les mafieux pourvoyeurs de drogues, tous ceux dont les méfaits remplissent les rues, les prisons, les bidonvilles, et parmi lesquels il y a forcément comme partout des malades.

Le chef de l'État n'a pas compris que ce sont les personnes les moins dangereuses, celles qui ne se défendent pas elles-mêmes, qui sont si souvent seules, isolées, ne comprenant pas ce qui leur arrive, qui sont ici choisies, donc persécutées. Le chef de l'État croit que la menace résout tous les problèmes. Alors il fait peur à la police, aux délinquants, aux ministères et aux malades.

Pourtant actuellement depuis 10 ans les malades ont deux défenseurs : les familles et leur grande Association Nationale l'UNAFAM, et les usagers dont le plus grand nombre d'associations locales sont réunies dans la grande Fédération, la FNAPSY. Depuis que le Président joue de la menace le Ministère de la Santé souffre de se trouver entre cette menace et la défense énergique des familles et des usagers. Le Ministère a d'abord réussi à faire croire aux usagers que le mauvais état de la psychiatrie française était dû à la malveillance des psychiatres. Comme ceux-ci sont divisés en plusieurs syndicats c'est facile. Du coup le ministère les invite à soutenir les mesures d'obligation de soins qui pourtant au fond déplaisent à tous, mais ils pensent qu'ainsi les psychiatres seront obligés d'hospitaliser tout le monde, donc ils acceptent.

Le Ministère sait en même temps que la supercherie va être découverte : comme pour la loi de 1990, il sait déjà que la nouvelle loi 2010 va entrainer une inflation des hospitalisations sans consentement, mais cette fois-ci sans la limite des lits ‘disponibles' puisque les internements vont se poursuivre au domicile de chacun ; il sait que les usagers vont se révolter.

Le Ministère a en réserve une arme redoutable : celle de la division de ses partenaires. Il l'a déjà expérimentée avec les psychiatres et les infirmiers psychiatriques. En effet le syndicat des psychiatres a implosé en 1984 en 5 syndicats devenus soucieux de leur seule clientèle, et sous prétexte d'Europe le diplôme d'infirmer psychiatrique a disparu en 1992. Depuis l'État a une paix royale et depuis 1990 a laissé progressivement la psychiatrie à l'abandon sans guide ; c'est ce qui explique l'illisibilité du service public de psychiatrie aujourd'hui, laissé à l'anarchie des acteurs administratifs locaux. La raison donnée est simple, la psychiatrie doit être traitée comme le reste de la médecine avec des machines hospitalières énormes, sans implication dans la cité, donc en niant toute originalité aux soins psychiques, lesquels n'ont pas besoin de scanner, ni de cyclotron, mais de "relations humaines" dans le tissu social.

Alors comme les familles et les usagers ont commencé à comprendre l'intérêt de la politique de secteur après l'échec attendu de la future loi 2010 ils vont continuer à se "révolter" pour exiger des soins de qualité. Ces soins ils vont les demander, non dans l'inflation des hospitalisations, mais dans le tissu social.

Nous venons d'être informés par plusieurs "fuites" que le Ministère a pris la décision de mettre en œuvre son arme redoutable : la division des usagers.

Il faut rappeler l'acte symbolique et politique fort de ces deux associations en 2001 : leur alliance et leur publication commune Le Livre Blanc de la Santé Mentale comportant un "programme" précis toujours actuel.

Le Ministère depuis a simplement profité de toutes les difficultés internes de ces deux associations pour faciliter leurs divisions, donc les affaiblir. Cela a déjà commencé avec l'UNAFAM, il y a deux ans. L'UNAFAM reste unie et très forte, mais jusqu'à quand ? C'est au tour de la FNAPSY depuis quelques mois, tout est fait pour tenter de la détruire, en l'affaiblissant au maximum, en multipliant les promesses de promotion aux multiples initiatives d'usagers ayant envie de se montrer en rivalité avec leur représentation officielle.

C'est vraiment grave sur le plan de l'éthique, c'est comme si le Ministère voulait méconnaitre ce qu'est la vulnérabilité des personnes dites usagers. Elles ne demandent rien. Donc il suffit de ne plus les protéger ! Sachant que si ces personnes sont seules, leur vulnérabilité les fera disparaître ! Ainsi d'un côté l'État avec la loi 2005 a souligné, avec force médiatisation leur vulnérabilité, a reconnu officiellement la validité de la FNAPSY ; mais au moment où son influence la dérange, au lieu de la consolider, elle la laisse dépérir seule, alors que les usagers ont besoin de soutien concret, plus encore que les familles. Dans beaucoup de pays ces associations sont financées par l'État au lieu d'être livrées à elles-mêmes.

Quand il y aura une pluie de petites associations d'usagers sans Fédération, ce sera pour l'État un jeu d'enfants de les mener, de ce fait l'union avec l'UNAFAM va se dissoudre. Ce sera au tour de l'UNAFAM d'être mis en miettes d'une façon ou d'une autre. Nous avons déjà connu cela avec la mise à mal des syndicats en France, nous l'avons vécu aussi avec les syndicats de psychiatres. Ils sont devenus incapables de dépasser leurs appétits corporatistes pour se mettre tous au service du service public, ceci pour de simples préséances et disputes de chapelle.

Un grand rêve se termine : une psychiatrie faite par tous avec l'effort de tous. Cette psychiatrie n'existera pas. Il persiste un espoir. Bien qu'ayant constaté la détermination qui anime les acteurs du Ministère (beaucoup, mais pas tous nous le savons aussi), tant que cette division n'est pas acquise, la question clé est de savoir à quel niveau cette décision de diviser a été prise ?

Est-ce au niveau "technique" ? au niveau Ministériel ? A un niveau intermédiaire ?

Nous sommes certains par contre que jusqu'à aujourd'hui le Président de la République n'a pas eu connaissance de cette décision, puisque le 21 Octobre 2009 à l'Élysée il a décoré de la Légion d'honneur la Présidente de la FNAPSY, Claude Finkelstein, et le président de la conférence des présidents des Commissions Médicales d'Établissement Yvan Halimi ; certes manquait à l'appel le président de l'UNAFAM Jean Canneva (acte évident de division par le ministère, nous l'avons relevé). Le Président a vivement salué ce couple inhabituel de la malade et du psychiatre se tenant par la main : signe d'une psychiatrie sortant de son ghetto !

Quelle tristesse, quel massacre ! La psychiatrie française, après avoir été l'une des plus admirée du monde, est en difficulté en raison de l'anarchie dans laquelle l'Etat l'a laissée se développer après 1990. Depuis 2001 sous l'impulsion de l'arrivée sur scène de cette union de l'UNAFAM et de la FNAPSY, un espoir renaissait que sous leur demande associée une nouvelle cohérence puisse renaitre. Elle était d'autant plus justifiée que les soins sont pour les mêmes personnes complétés par les compensations sociales rendues possibles par la loi de 2005 sur l'Égalité des Chances. Aujourd'hui les acteurs qui ont à se mettre au service des patients-usagers sont tellement variés, tellement compétents, qu'il devient évident qu'aucun acteur ne peut tout savoir, tout comprendre, tout faire pour une personne malade, le lien établi par la personne et sa famille constitue le fil conducteur.

Une loi comme celle qui nous est promise met l'accent sur l'internement et l'atteinte aux libertés, c'est une loi policière, là où il faut simplement un Plan de Santé Mentale coordonnant enfin de façon cohérente l'existant. Cette loi est la porte ouverte à toutes les manipulations politiques, arme préférée des pays totalitaires. Où allons-nous ?

Les citoyens ne peuvent-ils demander à leurs élus de retrouver le calme et de leur restituer ?

Deux faits remarquables montrent que la sécurité peut naitre et apaiser les patients : les Accueils ‘libres' dans chaque secteur, et les GEM. (Voir Médiapart mon article dans "Les contes de la folie ordinaire" de Sophie Dufau)

Pourquoi cette férocité s'abat sur la psychiatrie en 2010 après 50 ans d'une évolution remarquable ? Pourquoi penser que la répétition réitérée de menaces sur les patients va rendre par enchantement le soin possible ? Où est ce magicien ? Qu'on me le présente.

Il est possible, à l'exception de quelques cas dont on sait comment s'occuper, d'accueillir en toute sérénité l'homme qui souffre. Avec notre équipe nous l'avons pratiqué pendant 30 ans. Comme tant d'autres, sans aller chercher les médias pour le leur montrer, parce que c'est banal et simple, sans clinquant. Je l'ai vécu. J'en témoignerai.
Docteur Guy Baillon, Psychiatre des Hôpitaux





Opinions

Ma préoccupation : la souffrance psychique des gens de la rue rejoint celle exprimée par Martin Hirsch dans Le Monde du 3 décembre 2008. Martin Hirsch était alors haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté. Je le cite : "La première orientation est de mieux prendre en compte la diversité des situations et de mieux les qualifier. Combien parmi les sans-abri seraient tirés d'affaire s'ils avaient un accès direct au logement ? Quelle est la proportion d'entre eux pour laquelle la souffrance psychique est le problème principal qui l'emporte sur tout le reste ?"

Certes, je rejoins Martin Hirsch. Si pour certains le problème principal est la souffrance psychique, sa prise en charge devient une nécessité. Elle est indispensable pour les grands blessés, ces rescapés de la misère, parce qu'ils marchent, même si parfois ils vacillent. Ces rescapés de la misère, ils errent dans nos rues ou ils sont les hôtes de nos prisons. Pour certains d'entre eux leur premier hôtel, le ventre de leur mère, était déjà un taudis. Leur mère était elle-même une héritière de la misère.

Comme la fortune, l'infortune se transmet. Certes, elle n'est pas imposable… Ainsi certains héritent du divan. Parfois même ils s'y éternisent. Peut-être cultivent-ils leur égocentrisme ? Ils en ont les moyens. D'autres héritent d'un carton. Parfois ils y restent faute de moyens. Sur le divan, l'on peut revivre et se relever. Sur le carton, l'on peut ne jamais se relever. L'on peut même y mourir.

Ainsi, pendant une trentaine d'années, de 1956 à 1985, dans un institut médico-pédagogique, dans la rue et enfin dans les services de l'aide à l'enfance à la direction de l'action sanitaire et sociale (Ddass), j'ai côtoyé les héritiers de l'infortune. Ces trente années de travail m'ont confronté aux limites de l'action éducative. Curieusement, les acteurs des Ddass ne se préoccupent guère de la souffrance psychique. Peut-être que cette préoccupation de la souffrance psychique ne serait pas sanitaire. Dans ces conditions, l'éducation dite "spécialisée" a, en priorité, pour projet l'insertion sociale.

Imaginez un éducateur sur un terrain de football. Un des participants au jeu ne passe jamais le ballon. Il le garde pour lui. L'éducateur va tenter de transmettre à ce joueur – qui en fait ne joue pas – les règles du jeu pour l'amener à s'intégrer au groupe. Le projet étant de le socialiser. Si le message de l'éducateur est reçu, il n'y a plus de problème, le jeu suit son cours. S'il n'est pas reçu, que peut faire l'éducateur ? Exclure le joueur, c'est un échec. Le forcer à jouer, l'éducateur devient alors dictateur, c'est encore un échec. L'éducateur peut tenter d'entendre le message de ce joueur et de le décrypter. Difficile pour l'éducateur.

Néanmoins, il peut repérer la souffrance de ce joueur et demander la collaboration du psychothérapeute, dont la mission est justement d'aborder la souffrance psychique. Il est possible que ce joueur revienne de lui-même sur le terrain. C'est alors une réussite.

Un autre exemple. Huit années de bénévolat dans un accueil Emmaüs furent révélatrices. Une jeune femme de la rue accompagnée de son ami dormait dehors avec celui-ci alors qu'il avait une chambre. Cette femme ne pouvait franchir la porte du lieu d'accueil. Aussi, elle ne pouvait bénéficier du petit déjeuner et de l'accueil des travailleurs sociaux et des éducateurs. Alors que faire ? La forcer, pas question ; l'encourager, pas efficace.

Reste donc la solution d'aller vers elle. C'est inhabituel pour un psychothérapeute. Peu importe. Chemin faisant, la découverte fut : "A ma naissance, j'étais dans une couveuse", me confia la jeune femme. Une couveuse, c'est relativement dangereux, on peut y mourir. Après un temps assez long, cette femme a passé la porte d'entrée du centre d'accueil tout en restant proche de la sortie. Puis, un jour, elle est enfin entrée dans le lieu d'accueil. Elle n'avait plus peur de l'intérieur. Pour cela, il a fallu aborder en priorité la peur, la souffrance. Ces huit années dans le cadre de cet accueil Emmaüs ont été révélatrices.

Premièrement : la psychothérapie avec les exclus, les gens de la rue, c'est possible. Il suffit de se défaire d'une orthodoxie parfois trop rigoureuse et limitative.

Deuxièmement : la résistance à la psychanalyse du secteur social est patente. En effet, mon activité a été brutalement arrêtée à la suite d'un conflit aigu avec l'un des acteurs sociaux. Cette exclusion met bien en évidence la problématique relationnelle entre psychanalystes et travailleurs sociaux. Peut-être que le psychanalyste bouscule l'ordre établi. Peut-être que le psychanalyste est censé percevoir la partie cachée de l'institution, ou encore supposé entendre quelque chose de l'inconscient des travailleurs sociaux.

A ce niveau, je fais part d'une analyse d'une stagiaire de l'université préparant son DESS. Elle nous entretient d'une possible régression : "Les travailleurs sociaux participent inconsciemment à une régression des exclus qui fréquentent les lieux d'accueil gérés par les associations caritatives. Ils trouvent dans ce comportement un bénéfice secondaire : ils sont les bons parents indispensables que l'on ne pourra pas quitter, alors qu'ils devraient avoir pour projet de conduire à l'indépendance tous ceux qui sont accueillis dans les centres. Les bons parents savent que leurs enfants les quittent un jour."

Certes, le chômage participe à l'exclusion, mais il n'en est pas le seul responsable. Heureusement, tous les chômeurs ne sont pas dans la rue. J'ai connu l'époque du plein emploi. Nombreux sont les jeunes qui n'en ont jamais profité. J'ai quelques doutes sur la socialisation par le travail. Ce serait vouloir apprendre à faire du vélo à un cul-de-jatte.

Concernant l'époque du plein emploi, je citerai un exemple parmi tant d'autres : un garçon délinquant trouve un emploi dans une compagnie d'assurances. La direction de celle-ci lui propose une formation et lui procure un logement. Voilà un cadre "en béton". Tous les éléments semblent réunis pour que ce garçon s'intègre à la société. Les dernières fois que je l'ai rencontré, c'est aux assises et en tant que témoin à son mariage à la maison d'arrêt. Assez récemment, sa femme m'a téléphoné. Elle cherchait son mari pour demander le divorce. Ce garçon avait été admis à l'aide à l'enfance dès sa naissance alors que sa mère était incarcérée pour proxénétisme et avait été préalablement prostituée. C'était une héritière de la misère. Il y a de quoi se poser des questions. Quoi qu'il en soit, la souffrance psychique des gens de la rue n'est toujours pas prise en charge.

Mon projet est de rompre le silence, de réveiller les consciences des psychanalystes, qui ont pour compétence d'aborder la souffrance psychique. Ces exclus n'auraient-ils pas de souffrance psychique ? Seraient-ils vides d'inconscient ? Seraient-ils écervelés ? Ils sont si souvent dévisagés. Pourquoi pas bientôt décapités... Pour toutes ces raisons, je suis déterminé à rompre le silence et à tout tenter pour la réalisation de mon projet "Porte ouverte à la psychanalyse dans le champ de la misère, là où elle se trouve, dans nos rues, dans nos prisons".

Le silence tue.

Il est temps que les psychanalystes soient enfin invités dans les arcanes de la misère

Jacques Essekheri
est psychologue, clinicien et psychanalyste

samedi 3 avril 2010



Journée mondiale de l'autisme : Morano veut encourager les "méthodes comportementalistes"
LEMONDE.FR avec AFP | 02.04.10 |

La secrétaire d'État à la famille, Nadine Morano, a souligné jeudi sa volonté d'encourager les "méthodes comportementalistes" dans le traitement de l'autisme, à la veille d'une journée mondiale de sensibilisation à cette maladie. "La France était en retard sur les méthodes comportementalistes", a affirmé Mme Morano, lors de la visite à Paris d'une école expérimentale recourant à une méthode éducative, fondée sur l'analyse du comportement appliqué, dite ABA (Applied Behavior Analysis).

Rappelant que la France compte cinq cent mille personnes autistes ou apparentées et 1 autiste pour 150 naissances, Mme Morano a indiqué que le plan "Autisme 2008-2010" voyait son budget abondé de 10 % à 205 millions d'euros pour le soutien aux structures innovantes comme l'ABA. La prise en charge de l'autisme continue toutefois de faire l'objet d'une vive opposition entre les partisans d'une méthode éducative et les partisans de soins psychiatriques. Le plan "Autisme 2008-2010", présenté en janvier dernier en conseil des ministres, a pour objectif la création de quatre mille cent places en établissements d'ici à 2012. Mme Morano a promis "une accélération dans la création de places" dans le cadre de la loi.

Deux députés UMP ont déposé jeudi une proposition de loi visant à faire de l'autisme une grande cause nationale en 2011. Cela permettrait, selon le texte de la proposition, présentée par Daniel Fasquelle (Pas-de-Calais) et Jean-François Chossy (Loire), d'"améliorer son dépistage précoce, développer l'accompagnement des enfants autistes et favoriser leur intégration et leur maintien en milieu scolaire ordinaire".



Vendredi 02 Avril 2010

Pavillon carcéral

Une unité psychiatrique a ouvert, dotée d'un espace sécurisé pour 6 détenus
HÔPITAL DE MONT-DE-MARSAN.








L'espace carcéral, six chambres qui allient
le soin à la sécurité des détenus dont l'état
nécessite des soins psychiatriques hors
établissement pénitentiaire. (photo pascal bats)


C'est le troisième pan de la prise en charge des patients prisonniers par l'hôpital Sainte-Anne, annexe de Layné, après la création de l'Unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) au sein même du centre pénitentiaire et l'aménagement de cinq chambres carcérales : une nouvelle unité psychiatrique a été inaugurée. Un site de 1 000 m2, baptisé pavillon La Fournière, que les résidents ont investi mercredi.

Ici, seront notamment accueillis les détenus dans le cadre des hospitalisations d'office ou dont l'état nécessite des soins à l'extérieur de l'établissement pénitentiaire. Des séjours dans tous les cas de courte durée. Ainsi, six chambres ont été conçues à l'usage des prisonniers. L'immeuble abritera aussi 24 lits en structure ouverte pour des patients traités en psychiatrie au long cours. Au total, la construction du pavillon, hors équipements, se chiffre à 1 million 400 000 euros. Sachant que le directeur Alain Soeur a obtenu le financement de la partie carcérale par le ministère de la Santé (1).

90 détenus en un an

Un pavillon sécurisé qui répond à une véritable nécessité. D'abord, parce que l'unité hospitalière spécialement aménagée qui devrait ouvrir à Cadillac, en Gironde, sera vite saturée, mais aussi parce que les transfèrements sont lourds en mobilisation de personnel. Jusque-là, les détenus nécessitant une hospitalisation en milieu psychiatrique étaient accueillis sur le site commun, où quelques aménagements avaient été conçus pour garantir la sécurité. Le strict minimum en attendant la nouvelle structure. Quatre lits qui ont tout de même vu passer pas moins de 90 détenus depuis l'ouverture de Pémégnan, il y a un peu plus d'un an. En moyenne, les patients sont restés 48 ou 72 heures. « Il s'agit surtout de traiter la crise d'un détenu agressif, suicidaire, ou qui traverse une authentique décompensation d'une psychose antérieure ou survenue en prison », explique le docteur Martine Guillem, psychiatre responsable de l'unité.

Pour faire face à ces situations extrêmes, le personnel sera formé mais aussi renforcé. En effet, le service peut compter sur six infirmiers et quatre aides-soignants de plus (pour un effectif total de 23 infirmiers, dix aides-soignants, quatre agents de service hospitalier et un cadre de santé).

L'unité est de toute façon sécurisée : la cour est grillagée et dotée de caméras vidéo, le mobilier des chambres est vissé de l'intérieur, les vitres sont incassables... Un savant compromis entre la sécurité et le soin, qui, ici, reste prioritaire. « On n'est, et on ne veut pas être une prison », martèle Martine Guillem.
D'ailleurs, d'après les médecins, les patients détenus ne posent pas plus de difficultés que les autres. « Les situations de violence qui ont pu mettre le personnel en péril concernaient des patients de psychiatrie classique, et non des détenus, pour lesquels on bénéficie de l'aide de la police », explique Alain Soeur. « Sur 90 hospitalisations d'office de détenus, à l'exception de deux fugues, il y a eu seulement deux incidents. Même si, par leur nature et leur intensité, ils nous ont interpellés. »

Mercredi, les patients en psychiatrie longue durée ont investi leurs nouveaux locaux, décorés par une coloriste, tandis que le bâtiment qu'ils occupaient jusqu'alors entre en phase de rénovation. Pour l'heure, l'espace carcéral est vide. Une situation qui peut toutefois changer d'une minute à l'autre. Pas grave : la structure et le personnel sont prêts.

(1) L'hôpital a en effet obtenu les financements pour réaliser l'infrastructure et une dotation provisoire pour financer les création de poste.

Auteur : Aude ferbos
a.ferbos@sudouest.com


Et du côté du privé, comment ça va ?





31/03/10


Tous les indicateurs d’Orpea sont au vert

Le groupe de gérance de maisons de retraite atteint un chiffre d’affaires de 843,3 millions d’euros en 2009, en hausse de plus de 20%, et engrange un bénéfice net de 61 millions, soit une progression de plus de 21%.

Le groupe Orpea, gérant de maisons de retraite et de cliniques de moyen séjour et de psychiatrie, a publié ses résultats 2009 ce mercredi. Tous ses indicateurs de performances sont en hausse. Son chiffre d’affaires croît de 20,1% sur l’exercice à 843,3 millions d’euros pour un résultat opérationnel en hausse de 25,1% à 133,8 millions d’euros.

Le bénéfice net atteint 61 millions d’euros, en progression de 26,1%. Le conseil d’administration proposera à l’assemblée générale un dividende de 0,15 euro par action contre 0,10 en 2008.

Perspectives optimistes pour les trois prochaines années

Le groupe indique qu’il prévoit, pour les trois prochaines années, une croissance soutenue de son chiffre d’affaires. Pour 2010, il espère atteindre 960 millions d’euros de ventes, puis 1,1 milliard en 2011 et 1,225 milliard en 2012 «tout en maintenant une rentabilité solide, une croissance des cash-flows d’exploitation, et des ratios d’endettement maîtrisés».

Pour le Docteur Jean-Claude Marian, PDG d’Orpea, le groupe va continuer «sa dynamique de développement au rythme d’environ 3.000 lits par an, tant par création de nouveaux établissements, via l’obtention d’autorisations supplémentaires dans le cadre des appels à projets, que par des acquisitions ciblées. En effet, en France, comme dans les autres pays européens d’implantation du groupe, il existe toujours un potentiel considérable lié au vieillissement de la population, et une offre notoirement insuffisante.»

Orpea disposait en mars 2010 d’un réseau d’établissements répartis sur 300 sites en Europe pour 28.073 lits, dont 22.892 lits en France sur 252 sites, le reste disséminé entre l’Espagne, la Belgique, l’Italie et la Suisse.

Le titre Orpea à la Bourse de Paris grimpait de 2,79% à 31,35 euros vers 9h05 ce mercredi.




ACTUALITÉS
01/04/2010

L'Ordre plaide pour une spécialisation des infirmiers en psychiatrie








L'instance se prononce, entre autres, pour la mise en place d'un nouveau référentiel de formation et pour une meilleure reconnaissance des infirmiers de secteur.


Lors d'une conférence de presse tenue le 30 mars (lire ici en ce qui concerne la cotisation), Dominique Le Boeuf, présidente de l'Ordre, a présenté la position votée par le conseil national sur la refonte de l'exercice infirmier en psychiatrie. Ce texte plaide en faveur d'une spécialisation des infirmiers en santé mentale et psychiatrie, comme cela existe pour la puériculture, l'anesthésie ou l'activité en bloc opératoire. Ce cursus de spécialisation pourrait se poursuivre, à partir du socle commun des compétences infirmières (licence), lors de deux années de spécialisation en master 1 (spécialisation clinique) et en master 2 (pratiques avancées).

Il faudra réfléchir à "une référence nationale indicative du nombre d'infirmiers spécialisés recommandés par secteur de psychiatrie et territoire de santé pour garantir le niveau d'expertise requis au sein des équipes soignantes".

Cette reconnaissance de la spécialisation implique de "parvenir à une reconnaissance des infirmiers de secteur psychiatrique (ISP) équivalente à celle des infirmiers diplômés d'Etat (IDE)".

Défis de la recherche

Il faudra aussi valoriser les "missions d'orientation, de première évaluation et de référent-coordonnateur de l'infirmier en psychiatrie et en santé mentale" dans le cadre d'une recommandation de la Haute Autorité de santé (HAS) pour la pratique clinique portant sur la"consultation infirmière".

Cela implique également d'élaborer un nouveau référentiel de compétences et de formation de l'infirmier spécialisé en psychiatrie "bénéficiant des expériences de pratiques avancées selon un cadre réglementaire adapté". Il faudra en outre faire émerger une "dynamique de recherche en sciences infirmières incluant la problématique des soins en psychiatrie pour relever l'ensemble des défis mis en évidence par les experts, les rapports officiels et les recommandations de bonnes pratiques". Enfin, l'Ordre propose d'inscrire la psychiatrie et la santé mentale comme l'un des programmes prioritaires du prochain programme hospitalier de recherche en soins infirmiers (PHRSI).

L'Ordre précise qu'il souhaite travailler "sans plus attendre avec les pouvoirs publics et les autres organisations professionnelles compétentes pour faire reconnaître et promouvoir de manière effective l'expertise clinique et professionnelle des infirmiers en santé mentale et en psychiatrie".

(Agence de presse médicale)

Psychanalystes, qu'avons nous fait de la psychanalyse ? Anne Millet










La psychanalyse a pour but de permettre au patient de redevenir sujet de sa parole : pourquoi alors aliène-t-elle celui-ci dans des cures interminables ? Et pourquoi les psychanalystes sont-ils aliénés à leurs doctrines et à leur corporation ? Le but de cette étude est de comprendre ces deux faits récurrents dans l’histoire de la psychanalyse. Et l’hypothèse de l’auteur est que ce n’est pas la psychanalyse en tant que discipline qui est menacée mais sa pratique : la méthode thérapeutique forgée par Freud, qui perdure sous la forme de la « cure type ». Cette méthode a fait l’objet de nombreux conflits dans son histoire, et reste pourtant relativement inchangée. Conflits violents entre Freud et deux de ses disciples, Rank et Ferenczi. Conflits passionnels autour de Jacques Lacan. À chaque fois, les mêmes interrogations: le pouvoir de la méthode, son efficacité thérapeutique, les implications du transfert, la finalité de la cure. Autant de thèmes qui traduisent les difficultés techniques et les impasses rencontrées. Autant de failles qui mettent en jeu l’analyste dans sa fonction et dans son rôle. Si les réponses apportées furent différentes selon les époques, le mouvement dans l’ensemble fut celui de la préservation de l’invention. Aux propositions des uns de modifier la technique, a répondu le souci de la communauté de défendre la pureté de la méthode.
Mais à quel prix ?

Anne Millet est psychanalyste et publie là son premier ouvrage.
Elle vient de démissionner de la SPP.
LES LIVRES DE PSYCHANALYSE
http://les-livres-de-psychanalyse.blogspot.com/2010/04/il-ny-pas-de-rapport-sexuel-deux-lecons.html


JEUDI 1 AVRIL 2010

Il n'y a pas de rapport sexuel - Deux leçons sur "L'Etourdit" de Lacan
Alain Badiou, Barbara Cassin











Paru le : 31/03/2010
Éditeur : Fayard
Collection : Ouvertures
Prix : 12 €

Dans « L’Étourdit », paru en 1973 et tenu pour l’un de ses textes les plus obscurs et les plus importants, Lacan pose certains concepts essentiels de son œuvre, dont la formule fameuse « Il n’y a pas de rapport sexuel », qui interroge la validité de notre rapport au réel. Alain Badiou et Barbara Cassin s’emparent de ce court texte pour penser « avec » lui et en offrent deux lectures qui prennent le savoir pour enjeu. Barbara Cassin l’envisage à partir de son rapport intime aux choses de la langue ; Alain Badiou analyse ce que la philosophie prétend pouvoir dire quant à la vérité.
Ces études de « L’Étourdit », en se faisant écho, éclairent d’un jour inédit la pensée de Lacan et proposent un nouveau partage entre la masculinité de Platon et la féminité de la sophistique.

LA NON-EXCOMMUNICATION DE JACQUES LACAN, quand la psychanalyse a perdu Spinoza, de José ATTAL










224 pages
20 €
ISBN : 978-2-914596-28-6
ISSN : 1284-8166
l’unebévue éditeur
110 bd Raspail 75006 Paris


Freud est resté discret sur l’importance qu’avait pour lui Spinoza, son «frère d’incroyance », tout en déclarant : «J’admets tout à fait ma dépendance à l’égard de la doctrine de Spinoza ». En revanche, on connaît le goût de Jacques Lacan pour le philosophe marrane. Sa chambre d’étudiant était tapissée du plan de l’Éthique, et dans sa thèse de psychiatrie, la doctrine de Spinoza est présentée comme « la seule conception » pouvant rendre compte de la psychose paranoïaque.

En 1964, Lacan est exclu de l’Association Internationale de psychanalyse. Dans le vide qui se présente alors, propice à une nouvelle fondation, Althusser prend en charge Lacan qui traverse une crise grave, et en fait, à la manière de Machiavel, un Prince dont il sera le conseiller. Ainsi, c’est un Lacan sous influence qui trouve refuge à l’École Normale Supérieure pour y tenir séminaire, et qui déclare, dans la première séance, qu’il vient de subir une excommunication, celle même du marrane Spinoza, un herem, dans son degré maximal, chamata.

Sa « cogitation spinozienne » prendra fin en récusant la position de Spinoza à l’endroit du sacrifice et de l’Amor intellectualis dei comme n’étant pas tenable pour le psychanalyste. Le psychanalyste ne peut pas être excommunié.

Avec le plus grand respect, Lacan a congédié Spinoza qui avait tant compté pour lui. Ce geste est loin d’être reconnu par nombre de psychanalystes aujourd’hui, – de fait, « althussero-lacaniens » –, dont l’affiliation à leur groupe repose souvent sur une identification à un Lacan excommunié, propre à unifier ce qu’ils appellent « le peuple psychanalytique ».



guy Baillon
29 Mars 2010

Un véritable «accueil» en psychiatrie n’a pas besoin du diagnostic comme outil mais de confiance

Je peux témoigner après 20 ans de travail d'accueil (notre centre d'accueil et de crise s'est ouvert en 1982, il est toujours en fonction avec les successeurs) qu'un tel travail passionne les soignants et a des résultats remarquables pour les soins (les soins qui font suite à l'accueil font l'objet d'une négociation entre le patient et les soignants, ce qui en assure la continuité, de ce fait le besoin d'hospitalisation et les ‘urgences' ont fortement diminué).

Quelques précisions préalables sont nécessaires, courtes (nous aurons l'occasion de les reprendre lors de nos mille et un lundis ‘à venir' -dans cette lettre hebdomadaire du lundi).

D'abord "l'Accueil psychique" est réalisé dans le cadre d'un seul secteur, et peut comprendre, selon la forme de travail choisie, 6 à 12 soignants. Cette activité bien sûr doit avoir été présentée à l'ensemble de l'équipe de secteur (les 40 à 80 personnes qui la composent) et doit être soutenue directement par le chef de secteur et le cadre infirmier, car elle nécessite une qualité de liens internes d'un haut niveau sur l'ensemble de l'équipe, donc un soutien général, sinon elle devient persécutrice.

Nous avons vu (lettre précédente) que les usagers du secteur demandaient (dès 1979) une ouverture 24h/24, comme le font aujourd'hui en 2010 la FNAPSY et l'UNAFAM.

Son travail s'appuie d'abord sur l'engagement des infirmiers, car ils sont les premiers à établir les entretiens, le psychiatre étant au second plan pour participer à l'élaboration de la "conduite à tenir" qui se fait sans protocole préalable mais en s'adaptant à chaque situation.

Enfin ce travail s'appuie certes sur la générosité et le plaisir des soignants (un accueil sans le sourire, c'est l'entrée en enfer assurée !), mais il a besoin d'une technique relationnelle, simple à expliquer, complexe à réaliser, nécessitant sa reformulation régulière grâce à une formation permanente à organiser en interne : cette technique c'est la nécessité que l'accueil soit assuré par les deux mêmes infirmiers ! Il faut se préparer à la prolonger plusieurs jours de suite ou plusieurs semaines, selon sa complexité.

La continuité ainsi annoncée est le point central. Cela veut dire que l'accueil ne se fait pas en mettant aussitôt le patient dans un lit (il devient immédiatement ‘dépendant', passif), mais en revoyant la personne en entretiens avec les mêmes soignants alors qu'elle continue à vivre chez elle.

Cette continuité du lien est le premier point indispensable (si la personne qui revient plusieurs jours de suite voit à chaque fois des soignants différents, elle comprend que l'on se moque d'elle, elle ne saura lier aucun lien, ni ‘travailler' sa souffrance). Le fait que les infirmiers soient deux permet un minimum de souplesse dans les présences, tout en laissant la possibilité aux infirmiers de jouer plusieurs rôles avec la personne. Ce n'est que dans ces conditions que l'on peut construire la ‘confiance' qui est la base de tout travail d'accueil.

La durée de l'accueil est variable avec la gravité de la souffrance, il peut être très court quelques entretiens, quelques jours, ou nécessiter une succession plus longue, mais défini, nous avions pris le parti de nous limiter à deux mois. Ceci convient à toutes les formes de plaintes et de souffrances psychiques, nous le verrons.

Ensuite rappelons l'objectif de l'accueil : nous cherchons à réaliser « une rencontre », une vraie rencontre humaine, solide, dense ; indispensable si nous voulons que la personne qui vient seule ou accompagnée puisse peu à peu aborder ce qu'elle vit comme les raisons de sa souffrance, raisons qu'elle ne sait même pas identifier, et dont l'éventuelle nature psychique l'effraie.

Nous nous trouvons maintenant devant plusieurs problèmes à résoudre :

-Le premier c'est d'établir avec attention les conditions qui permettent une « rencontre ». Il ne suffit pas que deux ou trois personnes soient dans la même pièce pour qu'elles arrivent à se parler ! Celles qui ‘accueillent' doivent être dans un état d'esprit de disponibilité qui nécessite une préparation dans la vie psychique de chacun. Pas question de ‘brûler les étapes'. La personne, qui est accueillie n'est pas prête à parler ‘psy', elle n'est pas d'emblée ouverte à un dialogue, car contrairement à ce qui se passe en médecine ou chirurgie où elle se plaint facilement, ici elle évite l'échange et ‘ne demande rien' elle-même.

-Nous comprenons donc peu à peu que la question du diagnostic n'est pas dans nos préoccupations ici, alors qu'en médecine chirurgie, c'est la clé qui permet de décider de la conduite à tenir. Ici le seul souci est d'installer une ‘rencontre', car c'est elle qui va favoriser la reconnaissance de chacun comme ‘une personne' (non pas comme un malade). Le soignant ne peut se contenter de dire son prénom, il a à se présenter comme une personne avec ses intérêts (c'est dire si la blouse blanche à l'accueil est un contre-sens, car elle installe le soin, ce qui n'a pas de sens pour la personne qui arrive et ne sait encore rien de ses troubles). Un infirmier, plutôt qu'un psychiatre ou une psychologue, est la meilleure personne pour l'accueil, car il a l'aisance et la simplicité pour évoquer le ‘quotidien', la vie, sans avoir la prétention de courir après les symptômes, ni le diagnostic. D'autant que les symptômes essentiels ‘s'affichent' d'emblée : l'angoisse, la tristesse, l'agitation, le retrait, l'incohérence. Soyons clairs, ce n'est là qu'une partie d'un diagnostic ; mais ils peuvent être un lien possible en même temps pour les différentes étapes de l'échange.

Dans l'espace limité d'une lettre nous ne pouvons envisager les différentes situations qui peuvent faire l'objet d'un ‘accueil'. Nous y reviendrons dans d'autres lettres. Précisons simplement que toutes les situations ‘aigues' (terme que nous préférons à "urgentes", tout en sachant que pour les personnes toute question ‘psy' revêt un caractère d'urgence, urgence non de solution mais de lien), complexes ou bruyantes, peuvent être abordées par cette équipe ; ce n'est pas là que nous recevons les demandes de consultation classique pour un trouble déjà connu ou ciblé ; l'accueil c'est le lieu de toute demande qui ne peut attendre, et qui de façon générale s'énonce comme étant une « souffrance psychique » urgente.

Cette souffrance, soit la personne l'apporte, soit l'entourage seul l'a repérée comme insupportable. Précisons qu'une souffrance psychique n'est pas un diagnostic, elle ne signe pas nécessairement l'existence d'un trouble psychique, de toute façon elle doit être écoutée, comme doit être écouté ce que vit l'entourage qui accompagne et qui souffre, famille, proche.

Le travail qui va suivre, j'y insiste, n'a pas pour objectif de faire un diagnostic, mais de distinguer les souffrances existentielles, qui accompagnent nos difficultés quotidiennes (rupture relationnelle, perte d'emploi, perte d'un proche, mais aussi tous les petits soucis de la vie, les simples changements,...) ces souffrances ne sont pas pathologiques, ce sont les compagnes de notre vie, elles nous sont utiles nous avertissant que nous avons ‘à travailler' certains de ses aspects pour retrouver calme et cohérence dans notre vie. Il n'est pas justifié de donner un antidépresseur à quelqu'un qui vient de perdre son emploi, il a besoin d'être écouté pour retrouver sa propre dignité et sa capacité à se défendre. L'écoute permet de les distinguer des autres souffrances psychiques en lien avec un trouble, indiquant là qu'il faut faire un travail psychique.

Il est en effet important de décrire ce que représente le ‘diagnostic' en psychiatrie. pour cela il faut savoir ce que constitue l'annonce à des parents de la psychose de leur enfant : le ciel leur tombe sur la tête ! Pire c'est la guerre civile dans la famille ! Nous comprenons qu'avant d'évoquer un diagnostic auprès de parents, il faut d'abord comprendre ce que vit cette famille et l'aide dont elle a besoin pour affronter une telle réalité.

L'annonce du diagnostic directement à une personne constitue un fait plus grave : c'est une perte d'identité, car apprendre que nous présentons un trouble psychique touche ce que nous aimons le mieux, ‘nous-mêmes', il nous désigne comme invalides, incomplets, blessés. Cette atteinte à notre identité est profondément traumatisante, et peut avoir des conséquences graves soit en aggravant une tristesse, soit en provoquant l'agressivité.

Maintenant précisons ce que constitue un diagnostic pour le soin psychiatrique : c'est un moment d'un échange entre une personne qui est malade et son psychiatre. C'est donc une donnée absolument personnelle qui ne regarde que deux personnes. Le dévoiler constitue une attaque grave, un délit clairement puni par la loi.

En réalité en psychiatrie le diagnostic n'est qu'une étape dans un processus thérapeutique. Il peut paraître étonnant que l'on commence un traitement sans avoir posé de diagnostic. Nous y reviendrons aussi, mais le diagnostic, on le comprend, est un outil thérapeutique qui ne peut être abordé avec la personne qu'après un temps suffisant ayant permis d'installer la confiance. A partir de là le diagnostic va permettre la mise en place d'un contrat tacite entre le thérapeute et la personne, pour placer, situer, préciser autour de quoi on va développer le traitement ; celui-ci est basé sur l'échange, et son but est de permettre d'amorcer le changement psychique indispensable pour libérer la personne de ses gangues psychiques qui la poussent à répéter les mêmes symptômes.

Nous comprenons donc qu'un diagnostic dans un processus thérapeutique ne peut être que partiel et qu'évolutif, accompagnant l'évolution de la personne.

Nous en avons assez dit aujourd'hui pour affirmer que ce qui nous est proposé par la ministre, actuellement et aussi demandé en toute inconscience par les usagers et par les familles est grave pour la psychiatrie, c'est-à-dire pour les patients.

D'abord affirmons que si dans tous les secteurs les équipes avaient eu la liberté, la lucidité, et la volonté de mettre en place un tel travail d'accueil permettant de rencontrer tous les patients en situation d'urgence, même ceux qui arrivent avec une demande d'hospitalisation faite par un médecin ‘à hospitaliser', grâce à une disponibilité 24h/24 par des soignants compétents du fait de leur expérience là, il est évident qu'aujourd'hui les familles et les usagers ne demanderaient pas d'obligation de soins à la loi.

Mais puisque l'accès aux soins est "kafkaïen" et que les équipes sont de plus en plus repliées sur elles-mêmes dans leur service hospitalier éloigné, les familles et les usagers demandent l'obligation de soins qui va obliger les soignants à recevoir sans délai le patient (la loi de 1838 avait elle aussi pour but d'obliger à accueillir même les indigents sans fortune, incapables de payer leurs soins. Nous en sommes donc toujours au même point).

Cependant nous devons affirmer aussi que le projet d'accueil de 72 h n'a rien d'un travail d'accueil, car il a des lits, et ces lits annulent, par la dépendance qu'ils installent, la place d'acteur du patient ; d'autre part il ne dure que 72h alors qu'il faut souvent des semaines pour faire évoluer le patient ; enfin il se déroule sous le coup d'une ‘obligation', c'est-à-dire avec une perte de liberté, ce qui va souvent provoquer soit le retrait, soit l'agressivité, ou bien s'il est accompagné de médicaments à haute dose, c'est une camisole chimique qui annule toute liberté, donc tout désir de soin.

Le pire est que pour la Sécu qui paye, il faudra un diagnostic à la fin des 72h. !

Une telle succession de moments "obligés," "validés" par un diagnostic, constitue une mise en miettes de la psychiatrie !

Il est clair que l'obligation de soins à domicile en ne se centrant que sur la continuité de prise du médicament, au lieu de choisir la libre démarche se déployant dans une psychothérapie au long cours, va finir de détruire la psychiatrie construite depuis 50 ans.

Pourtant je peux affirmer que dans un centre d'Accueil, tel que celui décrit plus haut, les soignants aiment leur travail passionnément car ils vérifient quotidiennement les effets de leur travail (depuis 1982 ce centre d'accueil existe et l'équipe hospitalière n'a jamais eu besoin de plus de lits, que les 19 du début) alors que le nombre d'infirmiers et de psychiatres diminue sous l'effet des mesures violentes d'économie imposées par leur directeur. La formation continue en interne, et l'engagement du chef de service, maintiennent l'ensemble. L'accueil engage la confiance. Le diagnostic est inutile là car il ne se base sur rien. Il faut du temps.

(à suivre) Guy Baillon

dimanche 28 mars 2010

Sébastien Fritsch, Écrivain
http://sebastienfritsch.canalblog.com/archives/2010/03/19/17098683.html

Freud à Nancy

Michel Picard











Ce roman m
'a été offert l'année de sa parution : en 1997. Accessoirement, c'est aussi l'année au début de laquelle je me suis installé à Nancy. A l'époque, je ne disposais pas de beaucoup de temps pour la lecture et je ne me suis pas senti très attiré par ce pavé (558 pages) sur un thème a priori peu excitant.

J'ai parcouru quelques pages et je l'ai reposé sur une étagère

Treize ans plus tard (comme on dit dans les BD), en rangeant (pour la ènième fois) ma bibliothèque, je suis retombé sur ce volume. J'ai parcouru quelques pages... et j'ai été conquis.En fait de "thème pas excitant", ce gros bouquin présente plutôt deux thèmes... et ils sont tout aussi passionnants l'un que l'autre.
L'histoire principale est, comme le titre l'indique, le séjour que fit Sigmund Freud dans la capitale lorraine au cours de l'été 1889. Il avait, peu de temps avant, séjourné à Paris, pour suivre les enseignements de Jean Martin Charcot (à ce propos, je vous conseille, une fois encore, le génial roman de Patricia Parry : Cinq leçons sur le crime et l'hystérie). A Nancy, ce sont deux médecins que Freud vient rencontrer : tout d'abord le Profe
sseur Hippolyte Bernheim, figure éminente de la communauté hospitalière lorraine, dont Freud à déjà traduit en allemand l'un des ouvrages, et le Docteur Ambroise Auguste Liébault, vieux médecin de campagne, tout aussi célèbre dans les environs, à la fois pour son efficacité et pour sa bonhomie paysanne. Le point commun de ces deux médecins a priori si différents ? L'usage de l'hypnose.
Maîtrisant mal cette technique, pourtant très à la mode à l'époque, Freud est venu pour apprendre ; mais il en profite aussi pour emmener avec lui l'une de ses patientes viennoises, une richissime veuve (ce qui permet à Freud de se payer le voyage... et le petit hôtel minable dans lequel il séjourne). La pathologie de cette pauvre femme (mêlant douleurs, délires, phobies, crises d'"hystérie") résiste à toutes les tentatives de Freud. Bernheim, dont quelques scènes spectaculaires nous démontrent le talent, parviendra peut-être à la libérer de ses tourments. C'est du moins l'espoir de Freud... mais le ponte lorrain échouera tout aussi lamentablement que le débutant autrichien... ce qui permettra à Freud de commencer à entrevoir la possibilité d'utiliser d'autres voies pour guérir.
Tout en nous fai
sant découvrir les méthodes de ces médecins, les interrogations et théories naissantes du jeune Freud (33 ans à l'époque... et donc avec la même tête que sur la photo ci-dessous, qui date de 1891), Michel Picard en profite pour nous faire visiter Nancy. Freud se rend alternativement à l'hôpital Central, pour voir Bernheim, et aussi chez Liébault, qui se trouve en dehors de la ville ; il va fréquemment au Grand Hôtel, situé sur la place Stanislas et où loge sa patiente.










On le voit aussi se promener dans le parc de la Pépinière, rendre visite à Bernheim à son domic
ile, sur la splendide place de la Carrière. Pour ceux qui ne connaissent pas Nancy, ces noms n'évoquent rien, mais je crois que, même si j'ai eu plaisir à revoir des lieux décrits à la perfection par l'auteur, on peut le suivre sans ennui dans ces différents endroits, même sans jamais les avoir vus. Il parvient en effet à restituer chaque détail du décor avec un tel talent que l'on a vraiment l'impression de parcourir la ville dans un fiacre de l'époque, s'émerveillant de la beauté des façades du XVIIIème au point d'en oublier presque la chaleur écrasante de cet été 1889 et l'odeur âcre des petits cigares que Sigmund Freud, assis à nos côtés, prend plaisir à déguster.
Et le deuxième thème, me direz-vous ? Eh non, ce n'est pas la ville de Nancy (bien que la place que lui donne l'auteur pourrait le laisser croire). Ce deuxième thème commence dès le deuxième chapitre dont les premiers mots sont "Je suis en retard, se dit Maurice Barrès". Eh oui, à côté de Freud, c'est Barrès, célèbre écrivain lorrain que nous allons suivre tout au long de ce roman. Car, au cours de cet été 1889, Barrès est en campagne pour être élu conseiller général. Et il le sera ; et il fera par la suite une belle carrière politique. Pour se faire, manipulations d'idées et compromissions éhontées sont la règle. Barrès, connu pour être xénophobe et antisémite, se découvre subitement, au moment de cette campagne électorale, des penchants sociaux. Mais il le dit lui-même, en privé, du moins : il ne pense pas un traitre mot de ce nouveau credo : c'est juste pour rallier les voix des sympathisants socialistes, des ouvriers, des paysans.
Les chapitres qui traitent de cette campagne électorale permettent de découvrir d'autres lieux de Nancy : on suit des réunions électorales à Vandoeuvre, ou encore dans un grand chapiteau dressé sur la place de l'Académie, on voit le petit peuple des faubourgs ou des campagnes environnantes, pris par ses activités en même temps que par une envie de changement politique qui les dépasse. On visite aussi les cafés et les maisons closes où Barrès et ses amis (artistes ou politiciens) prennent du bon temps entre deux meetings ou deux articles politiques.
Mais quel peut bien être le point commun entre ces deux personnages, Freud et Barrès ? L'étranger sans le sou, désireux d'apprendre, et le jeune coq plein de suffisance et de haine, désireux de dominer ? Ils ne se connaissent pas, ils ne se croisent qu'une fois, dans un restaurant, mais l'auteur a sans doute créé cette scène plus par jeu que par souci de vérité historique. On pourrait trouver comme point commun que Freud est juif et Barrès antisémite. Mais, ce dernier ne connaissant pas le médecin viennois, ne peut lui vouer le moindre sentiment négatif (mais il ne se gêne pas de le faire quand il parle de Bernheim, juif également et bien connu de Barrès, comme de tout nancéien). En fait, le principal point commun est développé peu à peu par l'auteur : son idée est que les politiciens font exactement la même chose que les médecins qui utilisent l'hypnose et son corolaire : la suggestion. Bernheim, en hypnotisant ses patients, parvient à leur "suggérer" que leurs maux disparaissent... et ça marche.
Barrès et ses acolytes, jouant avec les mots, écrits dans des journaux, sur des tracts ou scandés dans des meetings, entraîne derrière lui des foules qui voteront pour lui.
Ne serait-ce que pour ces idées (encore d'actualité de nos jours... et sans doute pour longtemps), ce roman vaut vraiment le coup. Mais le fait de suivre aussi le cheminement des pensées de Freud augmente encore l'intérêt de ce livre. Et puis, il y la visite de Nancy, la peinture de l'époque, foisonnante de détails, sans oublier le style de l'auteur, riche, précis, mais en même temps vivant et souvent amusant, aidant à faire passer les discussions parfois ardues que les personnages, férus d'hypnotisme ou de politiques, peuvent avoir entre eux.
Un roman complexe et exigeant, qui fait réellement travailler les neurones, et donne de quoi réfléchir pendant longtemps, une fois tournée la dernière page.


Le livres de la psychanalyse
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Lesdi
ts déprimés

La revue nationale des Collèges cliniques
Revue n° 9 Mars 2010











Sommaire

I Présentation des collèges de clinique psychanalytique du Champ lacanien par Jacques Adam

Editorial Éliane Pamart

II Travaux des collèges de clinique psychanalytique de France et des Espaces cliniques associés

Les coordonnées historiques de la dépression

Positions dépressives, Colette Chouraqui –Sepel
Dépression et désir, Eliane Pamart
Quelques conséquences du débat Freud-Abraham, Jean-Jacques Gorog
A propos du Surmoi, Bernard Nominé

St Thomas, Dante, Spinoza et Lacan

Le vice du vice, Michel Bousseyroux
Le démon de l’ Acédie, Carmen Gallano
Dante et la lâcheté morale, Muriel Mosconi

Le dit déprimé et ses variantes cliniques

Maladies de l’idéal, Sol Aparicio
La face indévisageable de la perte, Marie-José Latour
Les mots de fausse espérance, David Bernard
L’enfant déprimé : Non-dit de l’Autre ou mal à dire du sujet ? Marie-Noëlle Laville
Affect et dépression

Présentation de l’affect, Albert NGuyên
L’affect ontologique, Christophe Faure
Les déprimés de l’escabeau, Colette Soler

Les différents abords de la mélancolie

Deuil ou mélancolie, Françoise Josselin
Faute et culpabilité dans la mélancolie, Lidia Hualde
Les énigmes de la mélancolie, Luis Izcovich
L’inquiétante étrangeté de la mélancolie, Freud, Abraham, Ségantini, Lacan. Jacques Adam

De Wedekind à l’art contemporain

Éveil d’Eros, printemps pour Thanatos, Nicole Bousseyroux
Le suicide de l’objet, Marc Strauss


Les livres de la psychanalyse
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Pour l'amour de Freud Hilda Doolittle














Sortie le : 18/03/2010
Editeur : Des Femmes
Prix : 16 €


En 1933, poussée par une crise personnelle autant que par les événements historiques, Hilda Doolittle se rend à Vienne pour consulter Freud. Le récit de cette analyse s’appellera Pour l’amour de Freud.
L’auteure y explore, au-delà de son histoire familiale et de ses relations amoureuses, son propre processus de création. Une correspondance entre Freud et H.D. permet en outre de plonger au cœur de la relation singulière, d’affection et d’admiration réciproques, que continuèrent d’entretenir le maître de l’inconscient et la poétesse.

Les éditions Des femmes-Antoinette Fouque rééditent aujourd’hui cette œuvre dans une nouvelle traduction de Nicole Casanova, augmentée d’un extrait de la correspondance entre Hilda Doolitle et Bryher, sa compagne, publiée pour la première fois en France.

Hilda Doolittle (1886-1961), romancière et essayiste américaine, plus connue sous les célèbres initiales H.D., fut une éminente praticienne du modernisme, tout en demeurant toujours au-delà des courants dont elle a pu être proche, créant une œuvre absolument originale. Des femmes ont publié son œuvre romanesque et autobiographique, Hermione (1986), Dis-moi de vivre (1987) et Le Don (1988).


Les livres de la psychanalyse
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Quelle transmission en psychanalyse ?


Le Coq-Héron - Numéro 200













Editions Erès

Mars 2010
Prix : 17 €


Le thème central de ce numéro concerne la singularité de la transmission en psychanalyse. Par delà les références à des modèles théoriques différents de la cure et à la pluralité des dispositifs découlant de ces débats, peut-on réussir à dégager des invariants repérables d'une transmission intra et interpsychique dans le travail analytique ?
Que transmet la psychanalyse au sein de chaque cure dans la singularité d'une rencontre intime entre analyste et analysant ? Quels effets de transmission se déploient entre ces deux protagonistes ? Que transmet l'analyste de ses propres traversées analytiques et théoriques à ses patients ? Que transmet l'analysant des nouages, enkystements, cryptes, symptômes et autres avatars de son histoire relationnelle à celui qui l'écoute ?
Le devenir responsable de la pratique psychanalytique n'est-il pas lié de façon éthique à la remarque winnicottienne selon laquelle il s'agit de faire de la psychanalyse quand cela se peut, mais quand cela n'est pas possible, de rester analyste en faisant alors ce qu'on peut ?
Le second thème de ce numéro 200 sera, en signe anniversaire, consacré à la naissance en 1969 de la revue avec la publication de quelques-uns de ses tout premiers articles : un autre versant incontournable d'une transmission, depuis 40 ans !

Ont participé à ce numéro : Jean-michel ASSAN - Gerard BAZALGETTE - G BOTVINIK - Eva BRABANT - Claude DE LA GENARDIERE - Bernard DEFRENET - Brigittte DOLLE-MONGLOND - Francoise DOLTO - Judith DUPONT - Mireille FOGNINI - Francoise FRANCIOLI - Imre HERMANN - Ghyslain LEVY - Jacqueline POULAIN-COLOMBIER - Remy PUYUELO - Ginette RAIMBAULT - Jean-jacques RITZ - Didier ROBIN - Guy ROGER - Jean-claude ROLLAND - Monique SCHNEIDER - Jacques SEDAT - Victor SMIRNOFF - Olga SZEKELY-KOVACS DORMANDI - Marc THIBERGE - Bernard THIS


La journée de l'ECF du dimanche 11 avril

http://ampblog2006.blogspot.com/2010/03/la-journee-de-lecf-du-dimanche-11-avril_25.html

- Criminologie et psychanalyse - n° 3

La journée de l’ECF du dimanche 11 avril
Criminologie et psychanalyse – n° 3
Modérateur : Pierre Naveau
24 mars 2010

Risque et prévention

Depuis les années 70, le risque est devenu un objet d’évaluation – jusqu’à occuper une place prépondérante actuellement – qui concerne de nombreux domaines (économique, sanitaire, environnemental, etc.) dont celui du crime et de la délinquance.
Dans le champ Justice/Pénal, les différentes lois [1], votées ces dix dernières années, ont fait émerger l’aspect prépondérant pris par le rapport d’expertise dans les décisions judiciaires, avec une demande explicite : celle de l’évaluation de la dangerosité et du risque de récidive.
Cette notion de “risque de récidive” appelle quelques réflexions.

Tout d’abord, pointons qu’elle ne va pas sans un corollaire, la prévention [2], soit la “réduction des risques”. Réduction des risques qui fait apparaître une croyance, celle de, faute de pouvoir résorber violence et jouissance, au moins de tenter de les décontaminer socialement. C’est aussi le rêve de pouvoir traiter la jouissance mathématiquement. Aux USA, cela a donné lieu aux sentencing guidelines, ici aux peines planchers. Traitement mathématique qui provoque l’éviction de toute forme de subjectivité, que ce soit du côté de celui qui est en infraction ou du côté du magistrat.
Appréhender le crime ou le délit en termes de probabilités revient à déconsidérer l’acte. Le passage d’une expertise de la responsabilité à celle d’une expertise de la dangerosité et du risque de récidive ne correspond-il pas au passage d'un acte, dont le sujet a à répondre, à une catégorie criminologique, à un pourcentage, qui le fixent dans un déterminisme dont il ne peut se déprendre ? Enfermé dans le savoir de l’expert, le sujet est éliminé de son acte. Exclu d’une position où il aurait à répondre de lui-même, c’est à l’expert que l’on demande de le faire et, là où la responsabilité est évacuée du côté du sujet, c’est du côté du magistrat et de l’expert qu’elle fait retour.
N’y a-t-il pas lieu de s’interroger sur ces questions, quand, traditionnellement, en droit, la notion de responsabilité était liée à celle d’intentionnalité, c’est-à-dire à l’imputation d’un acte à un sujet qui doit en assumer sa causalité ? Questions d’autant plus pressantes qu’à l’heure actuelle les frontières entre la peine et le soin tendent à se confondre : une injonction de soin peut venir comme alternative à une peine privative de liberté qui prendra effet si le soin s’interrompt : soin ou peine ? Condamnation par le soin ou soin par la peine ? Quel sens, aujourd’hui, est-il donné à la peine, à la condamnation ? Et quelle place est-il fait à la maladie mentale ? Les déclarations d’irresponsabilité pénale par les experts psychiatres se font de plus en plus rares, alors que, dans le même temps, les mesures d’incitation, voire d’obligation de soins, prolifèrent et conditionnent le devenir judiciaire du condamné, tant au niveau du prononcé de la peine que de son exécution – mesures d’aménagement de peine.

Par ailleurs, la prévention de la récidive est venue se substituer à la notion d’insertion/réinsertion. Notion, certes, qui ouvre, à elle seule, un débat. Qu’est-ce qu’être inséré ? Est-ce avoir un travail ? Ne pas travailler est-il synonyme de non-insertion ? Et celui pour qui toute sa vie se résume au travail, est-il un modèle d’insertion ? Si l’insertion se définit par le fait d’être dans le lien social, alors la marginalité ne peut-elle être un mode de lien social ? La question de l’insertion pose, avant tout, la question de la position qu’occupe le sujet dans le lien social, c’est-à-dire de la façon dont il y loge sa particularité, le plus intime de lui-même, soit sa jouissance. C’est aussi la façon dont il fait place à l’Autre. En se centrant sur la notion de risque, on essaie de rationaliser, maîtriser, par le calcul, la jouissance.

Et pourtant, depuis Freud, il est impossible de méconnaître qu’avec l’humain, la violence ne peut être réduite à des comportements utilitaires. La guerre, la cruauté, sont inhérentes à la civilisation, comme manifestations de la contradiction entre les exigences pulsionnelles du sujet et les exigences sociales, et, plus fondamentalement, comme manifestation, au niveau social, de ce que Freud a mis en évidence au niveau du sujet : la pulsion de mort. Il n'y a que l'homme pour ne jamais tarir en inventions, en raffinements dans la cruauté et la violence, en pure jouissance, sans aucune autre forme d'utilité. À la suite de Freud, Lacan a repris la question de la pulsion de mort à travers le concept de jouissance, en ajoutant qu’il n'est de sujet que comme sujet social – c’est-à-dire dans un rapport à l’Autre. La jouissance est ce qui fait obstacle au lien social, sauf à être pris dans des discours qui apparaissent comme des modalités de traitement de la jouissance, sauf à apparaître dans des symptômes qui se présentent comme des modes d'inscription de la jouissance. Concevoir les modalités d’exécution de la peine sous le seul angle de l’évaluation de la dangerosité/risque de récidive fait l’impasse sur les possibilités créatrices du sujet, sur ce que le temps passé en prison aura permis de construire : un projet qui fera fonction de suppléance et lui permettra de se soutenir dans la vie, dehors.

J’exerce en Maison Centrale – prison pour détenus condamnés à de très longues peines et à perpétuité – et je ne cesse de m’étonner devant le parcours accompli par certains détenus, souvent incarcérés pour des faits terribles, mais qui ont su se saisir des espaces d’élaboration offerts et se mettre au travail.

Valérie Ricau
[1] Notamment la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles, ainsi qu’à la protection des mineurs (plus particulièrement des dispositions relatives au suivi socio judiciaire) + Loi du 12 décembre 2005 (qui est relative au traitement de la récidive des infractions pénales et qui dit, dans son article 723-31, que le risque de la récidive doit être constaté par une expertise médicale ordonnée par le JAP ou le procureur, afin de faire apparaître ou non la dangerosité du condamné) + Loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
[2] Ce champ de la prévention très présent au Canada a, entre autres, contribué à l’essor des termes de “facteurs de risque” et de “facteurs de protection”. Les premiers facteurs accroissent l’incidence du risque, les seconds la diminuent. La toile de fond de cette approche est donc statistique.



samedi 27 mars 2010

LA CASTRATION À L’ORDRE DU JOUR, ou la libido sous contrôle d’État

DÉBAT
avec Bernard Cordier, René Major, Jean-Benoît Naudet, Philippe Petit et Serge Portelli -

Dans le cadre du séminaire Psychanalyse, Philosophie et Criminologie, MERCREDI 7 AVRIL 2010 de 20h à 23h, ENS rue d’Ulm











« À l’ère
du consumérisme affirmé comme valeur suprême de société, que la libido passe sous contrôle d’Etat n’est pas sans poser de graves questions passées sous silence. Trop de malentendus, voire de contresens persistent dans ce dispositif sécuritaire qui confond l’organe avec la source du désir et la production d’hormones avec la pulsion sexuelle. Pas la moindre trace d’accès au symbolique mais un retour à une pensée primitive masquée sous couvert de scientisme biologique.

Priver quelqu’un de liberté, quelle soit physique ou sociale, au seul motif d’une faute commise pour laquelle il a déjà été condamné — dans le cadre d’un usage arbitraire et illusoire du principe de précaution visant à prévenir la récidive — est une grave remise en cause des principes fondamentaux du droit qui régissent notre démocratie. Quiconque a purgé sa peine doit pouvoir retrouver sa place dans la société et les droits qui y sont afférents. Or, l’on assiste aujourd’hui à des procès d’intention qui brouillent les frontières entre peine et traitement et qui mettent le corps médical au centre d’un nouveau dispositif qui, dans le cas des délits sexuels, va de la surveillance électronique à la rétention de sûreté, voire à la castration, fût-elle chimique.

Les récentes déclarations sur la castration chimique, et la teneur des propos qu’elles ont suscités, nous invitent à poursuivre notre débat de l’an dernier sur la dangerosité à partir d’une interrogation de ce concept cardinal pour la psychanalyse qu’est le concept de castration. »