Psychiatrie, fin programmée de l’Accueil et des fédérations d’usagers
05 Avril 2010
Par guy Baillon
Pendant que la nouvelle loi sur la psychiatrie tue l'Accueil des patients, le Ministère a décidé de mettre fin aux Fédérations d'usagers FNAPSY et UNAFAM. La nouvelle loi est une accumulation de "menaces" du début à la fin. « Si vous n'acceptez pas les soins, sachez qu'ils vous seront appliqués contre votre gré, soit en vous "internant" à l'hôpital, soit en vous internant à domicile !» sera-t-il affirmé aux personnes adressées sans qu'ils sachent pourquoi à l'un des futurs centres d'accueil de 72h.
C'est le retour à l'époque asilaire de « 1838 » ! Mais en deux temps, avec une "injonction" première (et en douce une injection intramusculaire vous mettant hors d'état de parler), suivie d'une extension très large de l'internement, ce que nous n'avons jamais connu.
Savez-vous de quoi a besoin une personne que traversent des troubles psychiques graves, et qui donc ne perd jamais totalement la raison ? Elle a besoin de calme, et de cette fameuse sécurité dont on nous rebat les oreilles. Ce calme, cette sécurité, cet apaisement, elle n'y a accès que si des personnes expérimentées, calmes elles-mêmes, sont "libres" de faire leur travail selon leur conscience, leur éthique, en prenant le temps qu'il faut ; se mettent à les écouter au point de faire naitre un climat et une relation de confiance, puis de les revoir le lendemain, et à plusieurs reprises, dans le même climat, à les accompagner dans leur vie un moment, depuis ce moment de défaillance jusqu'à tous ces moments où le soutien, l'explication, nécessaires, leur donnent accès aux soins dont cette personne peut avoir besoin. C'est un simple travail d'accueil tel que des équipes le pratiquent avec succès depuis 30 ans dans un espace banal de la ville avec une équipe compétente, pour tout type de troubles.
Avec cette loi c'est tout le contraire qui est "imposé". Sur une simple inquiétude de quelqu'un de l'entourage, cette même personne va être emmenée dans un centre de 72h. Elle ne pourra refuser ni l'entrée ni le séjour. Séparée des siens, de ses proches, sans défenseur, la même double question lui sera posée: « Savez-vous que vous êtes malade Acceptez-vous les soins ? »
« Oui ? Vous êtes libérée » (mais attention l'Accueil 72 est toujours là, alors si vous arrêtez vos soins, ..!), la menace "veille" sur vous, ...
Vous ne "voulez" pas ? Alors vous êtes interné à l'hôpital. Cependant si vous le demandez vous pouvez être interné chez vous » nouvelle menace, avec cette extension équivoque.
Mais qui peut croire que l'on se soigne sous la menace et sous la contrainte ? Alors que chacun comprend que se soigner sur le plan psychique demande à la personne un travail intérieur très profond, obligeant à se remettre en cause, à se vivre atteint dans ce que l'on aime le plus, soi, l'estime de soi, ensuite cet effort va s'appuyer sur notre liberté profonde d'être humain. Chacun sait qu'aucun médicament n'a ce pouvoir de nous "changer", un médicament ne peut que nous mettre dans les "vaps" pendant le temps limité à sa présence dans notre sang, mais il ne change ni notre personnalité, ni notre pensée.
Nous savons très bien que les usagers et les familles vont rapidement se rendre compte qu'ils sont tombés dans un piège où les souffrances des malades et de leur entourage vont se multiplier à toute vitesse.
Pourquoi toute cette armada de textes et de menaces ?
Parce qu'il est plus simple de s'attaquer aux personnes les plus vulnérables de la société, ceux qui n'ont pas d'appui politique ni financier, plutôt que les chefs d'entreprise qui harcèlent tout leur personnel et mettent sur la paille tant de gens, et les mafieux pourvoyeurs de drogues, tous ceux dont les méfaits remplissent les rues, les prisons, les bidonvilles, et parmi lesquels il y a forcément comme partout des malades.
Le chef de l'État n'a pas compris que ce sont les personnes les moins dangereuses, celles qui ne se défendent pas elles-mêmes, qui sont si souvent seules, isolées, ne comprenant pas ce qui leur arrive, qui sont ici choisies, donc persécutées. Le chef de l'État croit que la menace résout tous les problèmes. Alors il fait peur à la police, aux délinquants, aux ministères et aux malades.
Pourtant actuellement depuis 10 ans les malades ont deux défenseurs : les familles et leur grande Association Nationale l'UNAFAM, et les usagers dont le plus grand nombre d'associations locales sont réunies dans la grande Fédération, la FNAPSY. Depuis que le Président joue de la menace le Ministère de la Santé souffre de se trouver entre cette menace et la défense énergique des familles et des usagers. Le Ministère a d'abord réussi à faire croire aux usagers que le mauvais état de la psychiatrie française était dû à la malveillance des psychiatres. Comme ceux-ci sont divisés en plusieurs syndicats c'est facile. Du coup le ministère les invite à soutenir les mesures d'obligation de soins qui pourtant au fond déplaisent à tous, mais ils pensent qu'ainsi les psychiatres seront obligés d'hospitaliser tout le monde, donc ils acceptent.
Le Ministère sait en même temps que la supercherie va être découverte : comme pour la loi de 1990, il sait déjà que la nouvelle loi 2010 va entrainer une inflation des hospitalisations sans consentement, mais cette fois-ci sans la limite des lits ‘disponibles' puisque les internements vont se poursuivre au domicile de chacun ; il sait que les usagers vont se révolter.
Le Ministère a en réserve une arme redoutable : celle de la division de ses partenaires. Il l'a déjà expérimentée avec les psychiatres et les infirmiers psychiatriques. En effet le syndicat des psychiatres a implosé en 1984 en 5 syndicats devenus soucieux de leur seule clientèle, et sous prétexte d'Europe le diplôme d'infirmer psychiatrique a disparu en 1992. Depuis l'État a une paix royale et depuis 1990 a laissé progressivement la psychiatrie à l'abandon sans guide ; c'est ce qui explique l'illisibilité du service public de psychiatrie aujourd'hui, laissé à l'anarchie des acteurs administratifs locaux. La raison donnée est simple, la psychiatrie doit être traitée comme le reste de la médecine avec des machines hospitalières énormes, sans implication dans la cité, donc en niant toute originalité aux soins psychiques, lesquels n'ont pas besoin de scanner, ni de cyclotron, mais de "relations humaines" dans le tissu social.
Alors comme les familles et les usagers ont commencé à comprendre l'intérêt de la politique de secteur après l'échec attendu de la future loi 2010 ils vont continuer à se "révolter" pour exiger des soins de qualité. Ces soins ils vont les demander, non dans l'inflation des hospitalisations, mais dans le tissu social.
Nous venons d'être informés par plusieurs "fuites" que le Ministère a pris la décision de mettre en œuvre son arme redoutable : la division des usagers.
Il faut rappeler l'acte symbolique et politique fort de ces deux associations en 2001 : leur alliance et leur publication commune Le Livre Blanc de la Santé Mentale comportant un "programme" précis toujours actuel.
Le Ministère depuis a simplement profité de toutes les difficultés internes de ces deux associations pour faciliter leurs divisions, donc les affaiblir. Cela a déjà commencé avec l'UNAFAM, il y a deux ans. L'UNAFAM reste unie et très forte, mais jusqu'à quand ? C'est au tour de la FNAPSY depuis quelques mois, tout est fait pour tenter de la détruire, en l'affaiblissant au maximum, en multipliant les promesses de promotion aux multiples initiatives d'usagers ayant envie de se montrer en rivalité avec leur représentation officielle.
C'est vraiment grave sur le plan de l'éthique, c'est comme si le Ministère voulait méconnaitre ce qu'est la vulnérabilité des personnes dites usagers. Elles ne demandent rien. Donc il suffit de ne plus les protéger ! Sachant que si ces personnes sont seules, leur vulnérabilité les fera disparaître ! Ainsi d'un côté l'État avec la loi 2005 a souligné, avec force médiatisation leur vulnérabilité, a reconnu officiellement la validité de la FNAPSY ; mais au moment où son influence la dérange, au lieu de la consolider, elle la laisse dépérir seule, alors que les usagers ont besoin de soutien concret, plus encore que les familles. Dans beaucoup de pays ces associations sont financées par l'État au lieu d'être livrées à elles-mêmes.
Quand il y aura une pluie de petites associations d'usagers sans Fédération, ce sera pour l'État un jeu d'enfants de les mener, de ce fait l'union avec l'UNAFAM va se dissoudre. Ce sera au tour de l'UNAFAM d'être mis en miettes d'une façon ou d'une autre. Nous avons déjà connu cela avec la mise à mal des syndicats en France, nous l'avons vécu aussi avec les syndicats de psychiatres. Ils sont devenus incapables de dépasser leurs appétits corporatistes pour se mettre tous au service du service public, ceci pour de simples préséances et disputes de chapelle.
Un grand rêve se termine : une psychiatrie faite par tous avec l'effort de tous. Cette psychiatrie n'existera pas. Il persiste un espoir. Bien qu'ayant constaté la détermination qui anime les acteurs du Ministère (beaucoup, mais pas tous nous le savons aussi), tant que cette division n'est pas acquise, la question clé est de savoir à quel niveau cette décision de diviser a été prise ?
Est-ce au niveau "technique" ? au niveau Ministériel ? A un niveau intermédiaire ?
Nous sommes certains par contre que jusqu'à aujourd'hui le Président de la République n'a pas eu connaissance de cette décision, puisque le 21 Octobre 2009 à l'Élysée il a décoré de la Légion d'honneur la Présidente de la FNAPSY, Claude Finkelstein, et le président de la conférence des présidents des Commissions Médicales d'Établissement Yvan Halimi ; certes manquait à l'appel le président de l'UNAFAM Jean Canneva (acte évident de division par le ministère, nous l'avons relevé). Le Président a vivement salué ce couple inhabituel de la malade et du psychiatre se tenant par la main : signe d'une psychiatrie sortant de son ghetto !
Quelle tristesse, quel massacre ! La psychiatrie française, après avoir été l'une des plus admirée du monde, est en difficulté en raison de l'anarchie dans laquelle l'Etat l'a laissée se développer après 1990. Depuis 2001 sous l'impulsion de l'arrivée sur scène de cette union de l'UNAFAM et de la FNAPSY, un espoir renaissait que sous leur demande associée une nouvelle cohérence puisse renaitre. Elle était d'autant plus justifiée que les soins sont pour les mêmes personnes complétés par les compensations sociales rendues possibles par la loi de 2005 sur l'Égalité des Chances. Aujourd'hui les acteurs qui ont à se mettre au service des patients-usagers sont tellement variés, tellement compétents, qu'il devient évident qu'aucun acteur ne peut tout savoir, tout comprendre, tout faire pour une personne malade, le lien établi par la personne et sa famille constitue le fil conducteur.
Une loi comme celle qui nous est promise met l'accent sur l'internement et l'atteinte aux libertés, c'est une loi policière, là où il faut simplement un Plan de Santé Mentale coordonnant enfin de façon cohérente l'existant. Cette loi est la porte ouverte à toutes les manipulations politiques, arme préférée des pays totalitaires. Où allons-nous ?
Les citoyens ne peuvent-ils demander à leurs élus de retrouver le calme et de leur restituer ?
Deux faits remarquables montrent que la sécurité peut naitre et apaiser les patients : les Accueils ‘libres' dans chaque secteur, et les GEM. (Voir Médiapart mon article dans "Les contes de la folie ordinaire" de Sophie Dufau)
Pourquoi cette férocité s'abat sur la psychiatrie en 2010 après 50 ans d'une évolution remarquable ? Pourquoi penser que la répétition réitérée de menaces sur les patients va rendre par enchantement le soin possible ? Où est ce magicien ? Qu'on me le présente.
Il est possible, à l'exception de quelques cas dont on sait comment s'occuper, d'accueillir en toute sérénité l'homme qui souffre. Avec notre équipe nous l'avons pratiqué pendant 30 ans. Comme tant d'autres, sans aller chercher les médias pour le leur montrer, parce que c'est banal et simple, sans clinquant. Je l'ai vécu. J'en témoignerai.
Docteur Guy Baillon, Psychiatre des Hôpitaux
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