Accord députés-sénateurs contre les étrangers malades
La commission mixte paritaire du Parlement a entériné le dispositif restreignant le droit au séjour pour soins des étrangers malades. Associations et médecins appellent à la désobéissance civile et continuent le combat.
COMME LE CRAIGNAIENT les associations et le collectif de médecins qui, depuis des mois, alertent contre la mesure du projet de loi sur l’immigration concernant les étrangers gravement malades, les sénateurs et députés, réunis en commission mixte paritaire, ont adopté par huit voix contre six l’article 17 ter. Le titre de séjour « étrangers malades » ne pourra dorénavant être accordé qu’en cas « d’absence » du traitement approprié dans le pays d’origine.
Le dispositif, qui avait déjà été adopté le mois dernier par le Sénat, lors de sa deuxième lecture du projet de loi, prévoit que l’autorité administrative pourra prendre en compte des « circonstances humanitaires exceptionnelles » pour l’attribution du titre de séjour, après avoir recueilli l’avis du directeur général de l’agence régionale de santé.
La députée PS Sandrine Mazetier a dénoncé un « scandale », une « disposition qui va envoyer à la mort un certain nombre de malades ». Les associations qui ont réagi en lançant un « faire part de décès » du droit au séjour pour soins, ont appelé à la « désobéissance civile ». Elles affirment être « prêtes à tout pour empêcher l’expulsion d’étrangers gravement malades ».
Une catastrophe.
Un collectif de médecins engagés dans des associations, des sociétés savantes ou des syndicats (SMG et MG France) avait interpellé le Premier ministre fin mars pour tenter d’infléchir le cours des choses. Après un premier refus, une délégation a été reçue par son cabinet à la fin de la semaine dernière. « Nous lui avons fait valoir combien le dispositif actuel, clair et encadré, répondait à des objectifs fondamentaux de santé individuelle et de santé publique. Nous lui avons indiqué en quoi cette réforme était injustifiée compte tenu de la stabilité et de la faiblesse du nombre de cartes de séjour délivrées dans ce cadre (28 000) et de l’absence avérée de migration thérapeutique. Nous lui avons montré en quoi la réforme envisagée était dangereuse : péril de la santé et de la vie des personnes concernées, menace pour la santé publique, atteinte au secret médical, entrave au contrôle effectif du juge, et augmentation des dépenses publiques », avaient-ils indiqué après leur entrevue à Matignon. Leur volonté : expliciter les enjeux « tant ils apparaissaient avoir été sous-évalués ». Ils expliquaient alors que si le gouvernement persistait à restreindre le droit au séjour pour soins, « c’est en connaissance de cause et en toute responsabilité ».
Leur démarche a été vaine. « C’est une catastrophe », déclare au « Quotidien » le Dr Pierre Lombrail, président depuis mars 2011 de la Société française de santé publique (SFSP). Le spécialiste nantais de santé publique regrette « cette décision qui va à l’encontre des principes déontologiques auxquels en tant que médecin je ne saurais déroger et qui du point de vue de la santé publique n’a pas de sens ». Selon lui, un recours devant la Cour européenne de justice pourrait être envisagé. « Que la maladie ne soit pas une protection contre l’éloignement, je pense que cela relève d’une atteinte caractérisée aux droits de l’homme », souligne-t-il.
Dr LYDIA ARCHIMÈDE
Tour de vis sur le séjour des étrangers malades
Il faudra qu’ils fassent la preuve que le traitement n’existe pas dans leur pays pour se faire ouvrir la porte des hôpitaux français. Députés et sénateurs ont tranché dans le sens d’un durcissement de la législation du titre de séjour « étrangers malades ». Au grand dam des militants d’Act Up, des associations chrétiennes et d’une partie du corps médical, qui ont tenté jusqu’au bout d’enfoncer un coin dans la loi sur l’immigration.
Mieux vaut être Français, riche, en situation régulière et en bonne santé, que pauvre, étranger, sans papier et malade… Car pour ces derniers la législation sanitaire va se durcir, c’est désormais une certitude. Même la mobilisation associative de ces toutes dernières heures n’a rien pu empêcher. Députés et sénateurs ont finalement décidé mercredi de renforcer les restrictions au séjour des étrangers malades en durcissant les conditions d’obtention du droit au séjour dans ce cas. A l’issue de la réunion de la commission mixte paritaire (CMP) mercredi, une des dispositions les plus controversées du projet de loi sur l’immigration a en effet été adoptée : l’article 17 ter du projet de loi Besson qui prévoit que le titre de séjour « étrangers malades » ne puisse désormais être accordé qu'en cas d'«absence » du traitement approprié dans son pays, alors que jusqu’à présent, la législation l’accordait lorsque la personne « ne peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine ». Ce dispositif avait déjà été adopté le mois dernier par le Sénat, lors de sa deuxième lecture du projet de loi. L'opposition de gauche avait fait valoir que si les traitements ne sont pas « absents », ils n'en sont pas moins, souvent, inaccessibles à de nombreux malades, notamment pour des raisons financières ou géographiques. La nouvelle version du texte sur l’immigration concède juste que l'autorité administrative pourra prendre en compte des « circonstances humanitaires exceptionnelles » pour l'attribution du titre de séjour, après avoir recueilli l'avis du directeur général de l'agence régionale de santé.
Ces dernières heures, les militants du droit aux soins pour les étrangers n’ont pourtant pas ménagé leurs efforts avant la réunion de la CMP sur le projet de loi sur l’immigration. Dans un courrier commun rendu public en début de matinée mercredi, onze médecins, engagés dans des associations comme Aides, Médecins sans frontières (MSF) ou Médecins du Monde (MDM), affirment que, de toute façon, ils continueront de soigner les étrangers malades, même si ceux-ci se retrouvent dans l'illégalité avec la loi Besson sur l'immigration. Cette lettre est notamment signée des docteurs Bruno Spire, président de Aides, Marie-Pierre Allié, présidente de MSF, Olivier Bernard, président de MDM, Didier Fassin, président du Comède (Comité médical pour les exilés), mais aussi de membres de sociétés savantes, comme Pierre Lombrail, vice-président de la Société Française de Santé Publique ou de syndicats, comme François Wilthien, vice-président de MG France.
Après l’adoption de la mesure par le Sénat à la mi-avril, ces médecins, avaient déjà interpellé le premier ministre sur cette question et ont été reçus par son cabinet le 29 avril. « Nous lui avons indiqué en quoi cette réforme était injustifiée compte tenu de la stabilité et de la faiblesse du nombre de cartes de séjour délivrées dans ce cadre (28.000) et de l’absence avérée de migration thérapeutique», expliquent-ils. «Si le gouvernement persiste à restreindre le droit au séjour pour soins, c’est en connaissance de cause et en toute responsabilité qu’il va mettre en grave danger la santé de 28 000 personnes », concluent-ils.
28 000 personnes concernées
De leur côté, cinquante associations chrétiennes ont exprimé la veille mardi leur refus que la France devienne « terre de rejet ». Ces associations, dont la Cimade, Le Secours catholique et le Comité catholique contre la faim (CCFD) déplorent, entre autres griefs portés au projet, que « si l'absence de traitement n'est pas démontrée dans leur pays d’origine, les étrangers sans papiers dont le pronostic vital est engagé y seront renvoyés », même s'ils ne peuvent accéder aux soins pour des raisons de coût, de quantité, etc. » « Si le texte reste en l’état, des étrangers qui ont découvert la gravité de leur maladie en France seront condamnés à mort » affirment les associations.
Dans le même sens, mais encore plus bruyamment, une cinquantaine de militants d'Aides et d'Act Up Paris se sont rassemblés mardi matin devant le Sénat. Les militants, tous vêtus de noir, ont bloqué la circulation devant le Palais du Luxembourg où ils avaient garé un corbillard, en scandant : « Malades expulsés, malades assassinés. » Tous ces militants ont été délogés par les forces de l'ordre vers 12H30 et embarqués dans des cars de police. Selon Act-Up et Aides, « l’État condamne à mort 28.000 étrangers malades » si la loi actuelle est modifiée. Bruno Spire, président d’Aides, précisait que ses adhérents étaient « prêts à faire de la résistance civile et cacher des étrangers malades », si l'article 17-ter était adopté.
Paul Bretagne