par Yannick Ripa publié le 20 septembre 2023
Voilà plus de dix ans que Rebecca Rogers, spécialiste de l’histoire de l’éducation, déplorait que l’on continuât «à célébrer “les hussards noirs de la République” en oubliant que la laïcisation incomba plus encore aux institutrices». De fait l’éviction à compter de 1880 des religieuses – chargées de former des mères ou des nonnes – impliquait le recours aux enseignantes afin d’éviter toute mixité dans les classes. «Ce véritable scandale historiographique», dénoncé par l’historienne, cesse grâce à ce livre aux quinze signatures. Il suit les carrières de ces pionnières, qui, grimpant peu à peu dans l’échelle professorale, forment une «nouvelle élite intellectuelle au féminin» (M. Fabre), et étudie comment s’est constituée leur identité professionnelle dans un contexte souvent défavorable. Ces nouvelles venues sont confrontées au rejet de collègues, soucieux de garder leur mainmise sur l’enseignement en passe de devenir d’Etat, aux réticences des autorités locales dont elles dépendent en partie, à celles des habitants – notamment dans la très catholique Bretagne – et aux idées reçues sur les femmes d’inspecteurs qui les jugent incompétentes malgré leur formation, de plus en plus performante depuis la création des Ecoles normales de filles dirigées par des femmes (L. Clark). Les années ne changent guère les mentalités : les intérimaires – catégorie aux contours flous, «oubliées parmi les oubliées» qui remplacent les instituteurs mobilisés pendant la Première Guerre mondiale – reçoivent certes des louanges, mais bien des critiques. Elles sont révélatrices des rapports sociaux de genre, de «l’immuabilité de la frontière des sexes à travers la question de l’autorité», laquelle ferait défaut aux femmes. Les instituteurs craignent, eux, une perte de prestige de leur métier (J. Cahon), pourtant après 1919, des institutrices expérimentent des pédagogies, telle Marie-Louise Babeau-Wauthier qui promeut la méthode de travail libre, jusque dans les milieux ruraux (L. Gutierrez).