Entre le 29 avril 2014 et le 15 mars 2015, plus de 3 000 Français « en voie de radicalisation djihadiste » ont été signalés aux autorités nationales. Parmi eux : 25 % de mineurs, 35 % de femmes, 40 % de convertis. Le 13 avril, la commissaire européenne à la justice, Vera Jourova, estimait, dans un entretien publié par Le Figaro, que 1 450 Français figuraient parmi les 5 000 à 6 000 volontaires européens partis pour la Syrie rejoindre la « guerre sainte ». Ces chiffres ne font que le confirmer : il est urgent, en France, de freiner la radicalisation islamiste.
Volet préventif
Comment « retourner » ces jeunes qui menacent de rejoindre le djihad ? Comment enrayer la radicalisation salafiste en prison ? Quel traitement réserver à ceux qui sont partis en Syrie et qui en reviennent ? Depuis les attentats de janvier, les autorités françaises mettent les bouchées doubles pour dépasser la seule réponse sécuritaire.
Il était grand temps : alors que certains de nos voisins européens – le Royaume-Uni, le Danemark – s’y étaient attelés depuis plusieurs années, il a fallu attendre avril 2014 pour que le gouvernement présente un plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes. Celui-ci vise avant tout « à démanteler ces filières, à empêcher les déplacements générateurs de menaces, à coopérer plus efficacement au niveau international », précise le préfet Pierre N’Gahane, secrétaire général du comité interministériel pour la prévention de la délinquance. Mais il comprend également un volet préventif visant à repérer et accompagner « des personnes susceptibles de basculer dans la radicalisation, afin d’éviter qu’elles sombrent dans une trajectoire terroriste ».
Le défi est immense, la méthodologie encore embryonnaire. Bricolage, tâtonnements, expérimentations : voilà, grosso modo, où en est la lutte contre la radicalisation islamiste. En France comme partout en Europe. Au sein de ce vaste laboratoire, une question divise notre République laïque : dans les tentatives qui s’ébauchent ici et là pour « retourner » les candidats au djihad, faut-il prendre en compte la dimension religieuse ? Tenter de déconstruire le discours de cette branche terroriste du salafisme, courant lui-même radical de la religion musulmane, prônant le retour à l’islam des origines ?
« La plupart des Etats européens ont été réticents à s’impliquer sur le terrain religieux, et se sont abstenus de contester directement le corpus doctrinal de l’islam politique, pour éviter de donner l’impression d’une “guerre de religion” », explique Mathieu Guidère, islamologue et géopolitologue à l’université Toulouse-II, qui dirige depuis 2004 un programme de veille tripartite (France, Etats-Unis, Canada) sur la radicalisation.
Ce cloisonnement est marqué en France, où la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat interdit tout mélange des genres. « On ne peut pas se cacher derrière la laïcité pour ignorer qu’il y a des tensions croissantes entre elle et le religieux. Mais le fonctionnaire qui travaille dans la fonction publique a, depuis cent dix ans, pour logiciel de ne pas se préoccuper de religion. Ni celle de ses collègues ni celle du citoyen français qui vient le voir », martèle l’ex-député socialiste Serge Blisko, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).