Par Alexandre Duyck Publié le 21 janvier 2024
Isolement, dépression, burn-out, en particulier chez les agriculteurs… Les thérapeutes en zones rurales constatent une explosion de leur activité. Dans un milieu encore défiant à leur égard, ils adaptent leur pratique, entre visites à domicile et stratégies pour préserver la confidentialité de leurs consultations.
S’il y avait eu une troisième saison à la remarquable série En thérapie, diffusée sur Arte, où aurait atterri ce cher docteur Dayan ? Parisien dans la première, proche banlieusard dans la seconde, le psychanalyste incarné par Frédéric Pierrot aurait-il pris ses cliques et ses claques pour filer exercer à la campagne ? L’idée eût été séduisante. Certes, il n’aurait probablement suivi aucun rescapé des attentats de 2015 ni aucun urbain stressé. Mais les journées du thérapeute n’en auraient pas été moins longues.
Harcèlement, dépression d’adolescents isolés dans leur village ou encore burn-out, violences sexuelles, secrets de familles, agriculteurs démunis face aux effets du réchauffement climatique… A la campagne, jeunes et moins jeunes souffrent aussi des maux de notre époque, auxquels s’ajoutent ceux liés au fait de vivre loin des villes. Pour les aider, des psychologues, qui s’adaptent aux réalités de ces déserts médicaux, y exercent souvent autrement qu’en ville. Et y nouent d’autres formes de relations avec leurs patients.
Dans l’Aveyron, comme dans de nombreuses zones rurales à travers la France, ces professionnels affirment refuser chaque jour entre trois et cinq demandes de nouveaux patients. Un effet En thérapie ? Peut-être. Un effet Covid-19 ? Certainement. Près de quatre ans après le premier confinement (mars 2020), les psychothérapeutes installés à la campagne sont sollicités comme jamais.
Les habitants se montrent sceptiques
Pour apaiser les traumatismes liés à la crise sanitaire mais aussi pour affronter tout ce qu’elle a permis de révéler. Mélanie Bon parle de « déflagration ». Cette thérapeute de 38 ans, qui vit dans un hameau aveyronnais et exerce dans une grande partie du département, note une forte augmentation par exemple du nombre d’enfants de 10 ans amenés par leurs parents. « Ils avaient 7 ans en 2020, l’âge où l’on commence à comprendre bien des choses, et, aujourd’hui, ils sont terriblement angoissés par la mort », explique-t-elle.
Il faut désormais entre un et deux mois pour espérer pouvoir rencontrer Claire Mérot, psychologue à Sauveterre-de-Rouergue, huit cents habitants. Quatre si vous voulez un rendez-vous en fin de journée ou le samedi. Près d’un mois pour se confier à Ivona Artus, qui exerce à Naucelle, deux mille habitants. Cette dernière estime que le nombre de nouvelles demandes a quadruplé depuis 2020. « Les gens ne vont pas bien. On se soucie encore trop peu de leur mal-être. Or, quand il vous atteint, celui-ci ne passe pas comme un rhume. »