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samedi 7 juin 2014

Accès aux données cliniques : les nouvelles règles de l’EMA vertement critiquées

06/06/2014

C’est un beau soufflet qui retombe ! En 2012, l’agence européenne du médicament (EMA) avait annoncé vouloir assouplir les règles d’accès aux données cliniques fournies à l’agence par les laboratoires pharmaceutiques, et changer le système actuel d’autorisation au cas par cas suivant des critères non définis. Cette position a d’ailleurs été appuyée le 2 avril dernier par le Clinical Trials Regulation, un règlement européen (n° 1049/2001) votée par le Parlement qui exige que toute personne qui en fait la demande doit pouvoir accéder à ces données. De nombreux acteurs de la recherche (et notamment plusieurs directeurs de centres Cochrane et les comités éditoriaux du BMJ et de PLOS one) s’étaient enthousiasmés face à cette évolution, mais l’engouement est retombé à mesure que les premiers éléments de ces nouvelles « règles du jeu » ont été communiqués.

Des informations protégées par un copyright

Selon la dernière version des règles d’accès aux données cliniques fournies par l’EMA, qui doivent être définitivement adoptées le 12 juin par son conseil d’administration, la consultation des données se ferra en mode « view-on-screen-only ». Cela signifie que les rapports seront visibles sur un site dédié mais ne pourront être ni téléchargés, ni imprimés. En outre, cet accès ne sera accordé qu’aux utilisateurs qui accepteront les conditions d’accès, elles aussi très critiquées. Tous les utilisateurs devront en effet reconnaître que les informations consultées sont protégées par un copyright et doivent être considérées comme ayant une importance commerciale. Les utilisateurs devront d’ailleurs reconnaître qu’ils pourraient être poursuivis devant un tribunal britannique. Ce sera notamment le cas des analyses statistiques et des méthodes de calcul qui ne font pas partie des données nécessaires à l’autorisation de mise sur le marché. Les chercheurs indépendants devront dont y réfléchir à deux fois avant de publier des conclusions issues de ces données qui seraient contraires à des résultats positifs déjà parus.

Plusieurs milliers de pages sur un écran

Que pourraient apporter ces données que les publications scientifiques ne fournissent pas ? « Une publication scientifique fait une dizaine de pages, mais le rapport complet d’un essai clinique fourni à l’EMA peut en faire plusieurs centaines, avec notamment les détails des calculs », précise Trudo Lemmens qui juge qu’un accès à une telle masse d’informations uniquement sur écran sans possibilité de partage condamne de facto les tentatives de recherches.
« Je suis inquiète face à ce qui semble être un changement important dans la politique de l’EMA, qui pourrait miner le droit fondamental des citoyens et des chercheurs à l’accès à ces données importantes », s’est également inquiétée le médiateur européen Emilie O’Reilly, suite à plusieurs échanges avec le directeur exécutif de l’EMA Guido Rassi. Au cours des 5 dernières années, les médiateurs européens successifs ont introduit une douzaine de demandes auprès de l’EMA concernant des refus de rendre public des documents normalement disponibles selon les règles de l’agence.
Peter Doshi, du département de recherche en santé du médicament de l’université du Maryland, et Tom Jefferson, du centre Cochrane de Rome, ont qualifié le revirement de l’EMA de « choquant » dans une tribune parue le 29 mai dans le BMJ. Ils estiment en effet que « cette approche obstructionniste est conçue pour limiter notre liberté à conduire des recherches qui soient éthiques ».

La preuve par l’exemple

Dans une étude publiée le 4 juin sur le site du BMJ, Emma Maud et ses collègues du centre danois Nordic Cochrane souligne, en guise d’exemple, les différences entre les 13 729 pages de documents obtenus de l’EMA sur l’antidépresseur duloxetine et les données des six études parues dans la littérature sur ce même médicament. Il y avait une différence médiane de 406 événements indésirables entre les données cliniques complètes et celles relevées dans les études. Ils ont en outre montré que deux des trois études non publiées n’avaient pas de résultats significatifs, alors que les six études publiées montraient toutes une efficacité significative de la duloxetine. « Les rapports complets des études cliniques doivent servir de base de travail pour les revues systématiques de la littérature », concluent-ils.
Damien Coulomb

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