"Profession recherchée : réanimation. Structure : centre hospitalier. Localisation : Nord-Pas-de-Calais. Dates de remplacement : du 12 au 19 août matin. Conditions : 650 euros nets/jour et 1 300 euros nets/24 heures. Logement, repas et frais de déplacement pris en charge par la structure. Pour postuler : Cabinet Prodie Santé." L'annonce est classique : face aux problèmes de recrutement, et particulièrement l'été, les hôpitaux ont pris l'habitude de faire appel à des intérimaires. Certains disent "mercenaires", parce qu'ils font monter les enchères.
Le sujet est tabou, les pratiques irrégulières, mais la boîte de Pandore pourrait s'ouvrir. Un groupe de travail parlementaire s'y attelle, lancé par le député (PS) de l'Isère Olivier Véran. Ses propositions sont attendues pour octobre. Dès qu'il a fait part de son initiative, en mai, le parlementaire a senti que les acteurs de terrain avaient beaucoup à dire, notamment les directeurs d'hôpitaux. "J'ai dû payer des intérims de pédiatrie à 3 000 euros les vingt-quatre heures", a témoigné celui de l'hôpital de Vienne sur le blog du député.
En juillet, les auditions ont commencé avec les agences d'intérim et les syndicats de médecins hospitaliers, pour comprendre comment "ce marché complexe fonctionne", et "combien ça coûte en plus aux hôpitaux". "Passer par l'intérim, cela peut être un bon moyen pour remplacer un arrêt maladie. Mais, ce qui est inquiétant, c'est que des services ne tiennent que par ça, et que cela entraîne une concurrence entre hôpitaux pour attirer des médecins, estime M. Véran. On assiste à des démissions de praticiens, parce qu'en dix jours d'intérim, ils gagnent autant qu'en un mois dans leur hôpital."
15 000 POSTES DE TITULAIRES VACANTS EN 2012
Selon la Fédération hospitalière de France, il en a coûté 67 millions d'euros aux hôpitaux en 2012 – un chiffre en hausse de 30 % sur trois ans –, soit l'équivalent de 350 équivalents temps plein. Il n'existe pas de chiffres sur le nombre de médecins concernés, pas de contrôle non plus, puisque le Centre national de gestion (CNG), rattaché au ministère de la santé, n'est chargé que des titulaires. "Mais tout se sait. Nous en discutons souvent avec les directeurs d'hôpitaux qui y ont recours", reconnaît le directeur d'une agence régionale de santé.
Presque tous les établissements sont concernés. Davantage les petits, mais désormais aussi les centres hospitaliers universitaires. En 2012, 15 000 postes de titulaires étaient vacants en raison de la désaffection pour certaines régions ou certaines spécialités. Cela représente 23,7 % des postes chez les praticiens à temps plein, 41,1 % pour les temps partiels. Ces emplois sont occupés par des contractuels, souvent des étrangers en contrat précaire. Pour les périodes courtes, l'intérim permet de boucher les trous, surtout en anesthésie-réanimation et aux urgences.
"De 1 300 à 1 400 euros les vingt-quatre heures incluant la garde, cela fait un smic mensuel, c'est énorme", s'offusque Didier Réa, anesthésiste-réanimateur à Orléans. Pour la journée, c'est en général 650 euros : "Cela fait 13 000 euros par mois, deux fois le salaire du dernier échelon, poursuit-il. On peut comprendre que certains regardent cela avec grand intérêt."
Les médecins passent par des agences ou négocient directement avec les établissements. Ce sont des étrangers, des professionnels proches de la retraite qui veulent accroître leurs revenus ou en finir avec les lourdeurs de l'hôpital, ou de jeunes diplômés qu'un premier CDI à 3 000 euros par mois ne satisfait pas. Certains exercent ainsi à part entière, d'autres à mi-temps.
Tout le monde le sait, il y a aussi des titulaires qui font des "ménages" sur leur temps de repos, une pratique interdite pour des raisons de sécurité. Des signalements peuvent être faits au CNG. Mais, "compte tenu de la difficulté de se procurer des preuves, les engagements réels de procédures sont rares", y explique-t-on.
DES "MÉNAGES" SUR LE TEMPS DE REPOS
Les petits arrangements proposés pour attirer les praticiens sont multiples : les contrats sont basés sur un nombre de gardes maximal, des heures fictives sont rémunérées, etc. Jusque-là, le silence régnait, parce que "c'est honteux pour un hôpital d'avouer qu'on a des postes vacants, et risqué de dire qu'on bricole avec la réglementation, juge Nicole Smolski, du syndicat SNPHAR-E (anesthésistes-réanimateurs). Il faut mener une réflexion nationale, et non laisser chaque hôpital se débrouiller. Or nous n'avons jamais eu de réponse des pouvoirs publics".
"Les directeurs sont soumis à l'obligation de continuité des soins. Ils n'ont pas d'autre choix que de recourir à ces pratiques et le regrettent", affirme de son côté Christophe Gautier, président du SMPS (directeurs d'hôpitaux). Certains petits hôpitaux redoutent d'être contraints de fermer un service s'ils ne font pas appel à ces intérimaires.
En 2003, déjà, le ministère avait commandé un rapport à l'Inspection générale des affaires sociales. Depuis, le recours à l'intérim s'est accru. Régulièrement, les rapports des chambres régionales des comptes consacrés à des hôpitaux dénoncent les coûts élevés et les irrégularités que cela entraîne.
"UNE BLACK-LIST AVEC CEUX QU'ON NE VEUT PLUS"
Les choses changeront-elles ? Le secteur de l'intérim se montre ouvert à la réflexion. "Nous sommes favorables à la transparence", explique Jerick Develle, directeur d'Adecco Medical. Les syndicats de médecins veulent aussi se faire entendre, agacés de voir débarquer des remplaçants mieux payés, mais à qui les titulaires laissent moins de responsabilités pour des raisons de sécurité. "A Orléans, nous avons fait une black-list avec ceux dont on ne veut plus", raconte même M. Réa. Son syndicat, le SNPHAR-E, souhaite la création d'une communauté nationale de remplaçants, gérée par le CNG.
"Je ne peux qu'appeler à la régulation. Mais, si les conditions de recours à l'intérim sont limitées sans autre solution, cela créera encore plus de difficultés", s'inquiète M. Gautier. Personne n'ose néanmoins évoquer des mesures contraignant les médecins à travailler là où les besoins sont les plus criants. Le ministère réfléchit à des incitations financières destinées aux jeunes. Déjà, des postes mieux payés ont été créés, comme ceux de cliniciens hospitaliers.
"Ouvrir vraiment le dossier impliquerait de mettre sur la table la question du statut des praticiens hospitaliers et de moduler la rémunération en fonction du manque d'attractivité et de la quantité de travail des postes à occuper", lance, provocateur, Stanislas Johanet, un ancien du SNPHAR-E, en poste à l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé. Aucun ministre ne s'y est jamais risqué.
Laetitia Clavreul
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