Notre bonne vieille médecine à la française
17 août 2012
TRIBUNE Nos chers disparus (10/10). Le triple A français, France Soir, le Minitel, le centre... Ils nous ont quittés cette année. Tout comme MegaUpload , qui a quitté nos écrans, ou le care, disparu du débat politique au lendemain de la primaire socialiste. Objets ou idées, retour estival sur ces trépassés. In Memoriam.
C’est une médecine de rêve que tout le monde nous envie : notre médecin de famille qui nous connaît depuis toujours, qui connaît les enfants et toutes les histoires de la maison. De temps en temps, on aime bien en changer, aller voir ailleurs, sans le lui dire, mais on revient toujours vers lui. On a aussi en réserve un ou deux spécialistes, pour le cœur ou le ventre. Quand il le faut, ils connaissent le circuit pour le professeur réputé, l’hôpital ou le chirurgien. Bien sûr, pas de souci, tout est payé à l’avance ou remboursé, même le taxi. Et on meurt heureux, entouré des siens et du médecin de famille qui a fait tout ce qu’il a pu.
A en croire la rumeur ambiante, tout s’est effondré aujourd’hui, il ne faudrait plus nourrir aucun espoir : le généraliste serait ce pauvre professionnel à 20 euros la consultation (moins qu’un changement de joint par le plombier), à qui on demande volontiers de signer quelques ordonnances ou un arrêt de travail. On l’aime bien, pour les bobos quotidiens, les certificats, un premier avis en cas de fièvre ou juste un petit coup de réconfort, mais dès que ça devient sérieux, on fonce chez les spécialistes, en ville ou à l’hôpital. Et là, on en entend de toutes les couleurs : «Attention aux tarifs ! D’ailleurs, le ministère est en train de s’occuper des dépassements d’honoraires. Et puis, il faut éviter l’hôpital, 15 000 morts par an juste avec les erreurs médicales, on ne sait plus à qui faire confiance. Regardez le scandale du Mediator ou celui des prothèses du sein PIP, ces pauvres femmes… Mais enfin, la Sécu ne devrait pas régler avec notre argent, c’était leur choix. Et ces laboratoires pharmaceutiques, bien sûr on en a besoin, mais ils nous empoisonnent sans hésiter et les médecins ne disent rien. Cul et chemise. Sans parler du ministère de la Santé, aucune compétence, ils s’en foutent du moment qu’ils se couvrent juridiquement. Faut-il encore vacciner les enfants, c’est plein d’adjuvants ? Heureusement, il y a les homéopathes et les médecines parallèles. Au moins, eux, ils disent la vérité, etc., etc.»
Bien entendu, il y a un peu de vrai dans ces propos, mais l’anecdote ou les dysfonctionnements ne font pas un système. Et ce sont les mêmes - nous tous un peu - qui rêvent d’un passé idéalisé et qui, en même temps, adhèrent à cette rumeur, tiraillés entre le souhait d’une machine de guerre impeccable, composée de bataillons de professionnels inflexibles, et le rêve de ce passé tranquille, pas très rigoureux sur les règles et les contrôles, mais si humain. Passage obligé du professionnel bonhomme, artisan indépendant, à l’ingénieur hyperspécialisé ; transformation du cabinet familial en PME médicale locale, de l’hôpital-auberge de famille en usine bien huilée mais impersonnelle.
La vérité est que notre système de soins a été construit à une époque où l’important était de sécuriser la réponse aux problèmes de santé graves surgissant de façon séquentielle. Personne, en 1945 (quand la Sécurité sociale a été créée), n’aurait imaginé l’évolution de notre santé : les citoyens d’aujourd’hui - nous tous - sont moins touchés par la maladie et ne meurent plus d’«accidents de santé» (donc ça marche un peu). Du coup, ils vivent presque tous plus longtemps qu’avant. Une majorité de ces citoyens-patients-consommateurs de soins sont aujourd’hui porteurs de maladies chroniques (15 millions au moins), souvent plusieurs à la fois, parfois dès le milieu de la vie. Avec un effet démultiplicateur au fur et à mesure que l’âge avance et que l’espérance de vie augmente.
La situation est donc paradoxale : d’un côté, des professionnels de santé de plus en plus experts, disposant de technologies diagnostiques et thérapeutiques efficaces en théorie, de l’autre, une organisation qui ne prend pas en compte la complexité croissante des cas des patients. Le système ne s’est adapté ni dans son organisation, ni dans la formation de ses professionnels, ni dans l’évaluation des technologies nécessaires.
Alors, perdu, ce beau rêve d’une discipline humaine mais efficace ? Non. Il existe encore des médecins et des professionnels de santé volontaires, attentifs, prêts à «tout donner» (expression consacrée des derniers Jeux olympiques ) en ville, à l’hôpital et ailleurs, dans l’administration. Ils sont même la majorité, mais ils sont coincés par la peur de changer et de tout perdre : ils craignent la fin des cabinets médicaux «seuls maîtres à bord», fonctionnant au paiement à l’acte, mais aussi ces changements nécessaires que sont l’obligation pour les hospitaliers de «sortir de l’hôpital» pour répondre aux besoins des populations, et la fin de la coupure totale entre soins en ville et ceux dispensés à l’hôpital.
Par ailleurs, la représentation des personnels soignants - organismes professionnels - est à reconstruire tandis que l’objectif de réduction de l’inflation des dépenses - légitime malheureusement - ne devrait pas être synonyme de mépris et de dévalorisation des acteurs du système de santé. Car c’est bien l’organisation de ce système et sa gouvernance qui sont malades, bien moins son financement - contrairement au message dominant -, même si la contrainte de «plafond» est incontournable.
A ce stade, nous tous, usagers, citoyens, devons inventer le partenariat nécessaire avec les professionnels de santé et les réformateurs du système, a minima en acceptant de sortir du rêve infantile de vouloir «tout, toujours, pour tous». Travaillons à redéfinir l’essentiel en cédant sur ce qui l’est moins et pour lequel nous devons nous serrer la ceinture. Saurons-nous sauver ce qui faisait le meilleur de notre bonne vieille médecine à la française ?
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