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Texte et photos Mathilde Goanec
La ville de Pamiers est coquette, avec son marché du matin, et ses terrasses de café. En contrebas, près de la rivière, se dressent les cheminées de l'usine métallurgique Aubert et Duval, des forges immenses qui font encore la santé économique de la vallée. Nous sommes à quelque 60 kilomètres de Toulouse, dans la campagne ariégeoise, battue par le soleil. Ni le département, l'un des moins peuplés de France, ni la ville n'ont le profil d'un eldorado pour migrants. Pourtant, une centaine de mineurs étrangers isolés (MIE) vivent en Ariège, soit autant que dans l'Essonne.
« Depuis quatre ou cinq ans, nous constatons une montée significative des MIE chez nous, confirme André Montané, délégué à la solidarité pour le conseil général. Nous mettons à leur disposition des centres d'accueil, comme à Pamiers ou à Saverdun. Et les choses se savent. De Paris, ils partent de la gare d'Austerlitz et débarquent à Foix ou à Pamiers, bien souvent directement à la porte du conseil général... » Car comme pour les autres mineurs séparés de leurs parents, ce sont les services sociaux départementaux qui prennent en charge ces enfants seuls et exilés.
Nicolas Mannleïn, président de la Cimade dans le département et éducateur à Saverdun, tempère ces propos. « Bien sûr qu'il y a des arrivées directes, mais dans de nombreux cas, d'autres départements complètement débordés tels que Paris ou le Bas-Rhin nous envoient leurs jeunes, parce qu'ils savent que nous avons une prise en charge spécifique des MIE en Ariège. »
Intergénération et intercontinent
Première porte à pousser, celle du foyer Intergénération Loumet, géré par l'association départementale pour la sauvegarde de l’enfance, de l’adolescence et de l’adulte (ADSEAA). Des notes de musique dansent sur les baies vitrées de la cantine, vestiges de la soirée jazz de la semaine... Au premier étage, un gâteau se prépare en compagnie de la maîtresse de maison. Dans le couloir, une petite fille discute avec une pensionnaire en fauteuil roulant.
« Le concept est d'accueillir, dans un même endroit, des retraités, des jeunes travailleurs et des enfants, venus de tous horizons, précise Christian Claudé, responsable du pôle enfance au foyer Loumet. Nous pouvons accueillir 41 mineurs en tout dans la maison d'enfants à caractère social. Nous avons des jeunes qui sont placés dans le cadre de l'ordonnance 45, donc avec un versant délinquant, ainsi que des jeunes dont les parents sont en difficultés sociales, et qui ont été retirés de leurs familles. Et 17 mineurs isolés étrangers. »
Congo, Angola, Chine, Afghanistan, Pakistan... Une petite carte du monde se dessine à Pamiers.
Anga vit au Foyer intergénération Loumet à Pamiers. Elle vient de Mongolie-Intérieure, une région autonome chinoise.© MG/MP
Anga est arrivée de Mongolie-Intérieure, en Chine, il y a sept mois. La jeune fille, qui tâtonne encore en français, se verrait bien coiffeuse, et cherche un patron pour commencer son apprentissage. « Je ne veux pas rentrer en Mongolie-Intérieure, assure Anga, je n'ai plus de famille là-bas. Je veux rester ici, en Ariège. » Sur le mur de sa chambre, une carte de France, quelques images naïves de couples énamourés et des conjugaisons à apprendre par cœur...
Difficile d'imaginer le parcours de ces jeunes gens avant leur arrivée sur le sol hexagonal. Les questions trop insistantes rappellent les interrogatoires dans les commissariats, dans le bureau des juges, au sein des services sociaux, qui s'enchaînent avant que ne se dessine un placement. « Nous ne connaissons pas les circuits et ce n'est pas notre rôle de démanteler d’éventuelles filières d'acheminement, rappelle Christian Claudé. Chaque histoire est personnelle. Nous, on appréhende l'individu pour qu'il puisse s’insérer dans notre société. Et c'est leur volonté. Ils veulent gagner leur vie et se faire au plus vite une place. »
Mais la vie sans parents, loin de chez soi, s'avère parfois plus difficile que prévu.
Dans l'une des quatre villas annexes du centre Loumet, un peu à l'écart du centre-ville de Pamiers, vit Idriss. Il va avoir bientôt 15 ans. « Je suis parti du Congo pour des raisons familiales et politiques. Je suis arrivé à Paris, j'ai vécu quelques jours dans la rue, puis je suis allé à l'ASE. Et ils m'ont envoyé ici... Au début, ça n'allait pas, j'avais presque envie de me suicider. Mais maintenant je connais d'autres jeunes, comme moi, et qui s'en sont sortis. Ça va mieux, j'apprends le français, je joue au foot à Pamiers. »
Depuis ses débuts comme éducatrice au sein de l'ADSEAA, il y a presque dix ans, Christelle a appris à composer avec ces profils à part : « Ils sont effrayés de devoir repartir. Il y a aussi des coups de blues... Au début surtout, ils ont des maux de tête récurrents. Est-ce que c'est en lien avec ce qu'ils ont au fond de leur tête et de leur cœur, ou encore avec le climat qui change ? On travaille comme on peut sur la mise en place d'un rapport de confiance, car pour ces jeunes étrangers, nous sommes le seul point de repère. »
Une histoire d'accueil
Retour sur la route départementale, direction Saverdun. Le chemin bifurque près de la caserne des pompiers, et le visiteur débouche sur un domaine imposant, une prairie ombragée par de sombres pins parasols, et une solide bâtisse surmontée d'une tourelle. De part et d'autres, courettes et pavillons, d'où rentrent et sortent des ados, parfois juchés sur des vélos. Fondé à l’orée du XIXe siècle, l'Institut protestant de Saverdun accueillait des orphelins pour les former aux métiers agricoles. L'accueil des boat-people, dans les années 1970, scelle son attachement à la protection des étrangers.
Le centre accueille désormais 58 mineurs isolés étrangers, envoyés des quatre coins de la France, et dont l'âge oscille entre 14 et 18 ans. Il suit également plusieurs jeunes adultes passés dans ces murs, aujourd'hui en appartement dans la région. C'est l'heure du repas au pavillon des semi-autonomes. Les jeunes hésitent à manger dehors, l'éducatrice laisse faire. Et puis non, finalement, ce sera à l'intérieur, dans la salle commune. Beaucoup ici sont en apprentissage dans des métiers dits « en tension », maçonnerie, carrelage, restauration.
Salim, bientôt 18 ans, voudrait se lancer dans la peinture, l'an prochain. « Quand je suis arrivé, à 14 ans, je ne connaissais rien, je ne savais même pas dire bonjour... Je viens d'Afghanistan, je suis passé par l'Iran, la Turquie, l'Italie, et puis Paris. Oui je veux un travail, j'ai besoin d'argent pour l'envoyer là-bas. »
La plupart des jeunes accueillis à Saverdun sont dans le cas de Salim : ils veulent travailler au plus vite, pour pouvoir être autonome à la fin de la prise en charge par l'Aide sociale à l'enfance, soit à 18 ans, maximum 21 ans. Au-delà, ils vivront sans filets, sans famille pour les soutenir.
« Il y a plusieurs catégories parmi les MIE, décrypte le pasteur Simon Sire-Fougères, directeur de l'Institut protestant depuis 2010. Les mandatés, envoyés par leur famille. Parfois ceux-là ont une dette sur les épaules et ils doivent travailler vite pour la rembourser. Certains étaient déjà errants, sans attaches dans leur famille d'origine, ils poursuivent simplement plus loin leur migration. D'autres fuient un conflit, ou ont perdu leurs parents. Tout cela montre que ce n'est pas un choix délibéré, ils auraient préféré rester au pays. Mais ils vont dans le sens de la vie. »
L'envie d'insertion des jeunes est forte, car ils savent aussi que leur statut de MIE ne les protège légalement de l'expulsion que jusqu'à 18 ans. Comme n'importe quel enfant français, ils ne sont pas dans l'obligation d'avoir des papiers d'identité.
« Ensuite, la nationalité n'est pas automatique mais de plein droit si le jeune est arrivé avant 15 ans,précise Nicolas Mannleïn. Mais il doit présenter un acte de naissance légalisé par le ministère de l'intérieur du pays d'origine, un document en général très difficile à produire. La loi Sarkozy a limité l'accès à la nationalité, nous sommes passés de 80 % à moins de 20 % aujourd'hui de jeunes qui y parviennent, et avec difficultés. »
Pour ceux arrivés après 15 ans, l'apprentissage permet d'obtenir un récépissé qui se transforme en carte de séjour une fois la majorité atteinte. Mais de nombreuses préfectures rechignent à délivrer ce permis de travail, annulant de fait la possibilité pour certains jeunes d'obtenir une carte de séjour à 18 ans. «
C'est absurde d'investir pendant des années dans leur accueil pour leur refuser ensuite des papiers, note Simon Sire-Fougères. Alors même qu'ils sont prêts à s'insérer et à représenter un apport important pour nos territoires. »
Akache vient d'un village au Pakistan. Il aime l'Ariège, « les champs, la nature, la forêt... ». En CAP restauration, il veut rester vivre ici. « Les 6 ou 7 premiers mois étaient difficiles, mais je me suis habitué. Je parle parfois avec ma mère restée au Pakistan par téléphone, mais je ne veux pas rentrer. » « Il faut choisir, on ne peut pas mener deux vies de front, estime de son côté Ousmane, tout juste 18 ans. Je suis venu en France par bateau, à cause de la guerre en Côte-d'Ivoire. Le pays est calme aujourd'hui, mais nous savons bien que les problèmes en Afrique ne finissent jamais. »
Les départements sous tension financière
Swag est arrivé en France tout petit, avec sa sœur et son frère, tous mineurs isolés. Ces derniers font aujourd'hui des études.© MG/MP
L'accueil et l'insertion de ces enfants, comme pour tout autre mineur pris en charge par l'ASE, pèsent lourdement sur les finances départementales. « Nous devons nous occuper d'eux, mais ce faisant, on sature des structures qui sont dédiées à l'ensemble des mineurs du département, rappelle Jean-Luc Montès, directeur de l'action sociale et de la santé au conseil général de l'Ariège. A titre d'exemple, il y a douze places au foyer de l'enfance du centre Loumet de Pamiers, pour les situations exceptionnelles, urgentes et graves. Toutes ces places sont occupées actuellement par des MIE. C'est une situation qui nous met dans des difficultés que nous ne savons pas résoudre. »
André Montagné ne veut pas parler de « mise en concurrence », mais ne manque pas de pointer les défaillances de l’État sur la question. Pour le moment, le gouvernement accepte seulement de prendre à sa charge les trois ou quatre jours pendant lesquels le mineur isolé étranger est repéré et signalé aux autorités judiciaires. Mais, faute de places, surtout à Paris, en Seine-Saint-Denis ou dans le Nord-Pas-de-Calais, cette période de « mise à l'abri » peut s'éterniser pendant des mois, et est pour le moment financée par les départements.
« Nous avons eu la visite de Michel Mercier (l'ancien ministre de la justice), ici en Ariège. Il a également reçu les représentants des départements au ministère, rappelle André Montagné. Il nous a proposé une aide de trois millions et demi d'euros pour toute la France, alors que, rien qu'en Ariège, nous avons un antécédent de deux millions et demi ! On attend de voir ce que va nous proposer le nouveau gouvernement...»
Djamil et Mohammed sont tous les deux paskistanais. Ils vivent à l'Institut protestant de Saverdun. © MG/MP
Le problème se pose également pour les jeunes qui atteignent la majorité. « Les mineurs isolés étrangers restent chez nous jusqu'à leur majorité et même après puisque la loi, pour le moment, nous permet d'accueillir des jeunes jusqu'à 21 ans, explique Christian Claudé. Mais dans les faits, avec les difficultés économiques, on se rend compte que les prises en charge s'arrêtent rapidement après 18 ans, et c'est pareil un peu partout. Or à 18 ans, certains ne sont pas autonomes du tout. »
Même constat pour le directeur de l'Institut protestant : « Ils ont tant à apprendre en si peu de temps ! La langue, la culture française, la citoyenneté, un métier parfois. Ce serait bien de les laisser souffler un peu... Il y a des souffrances bien sûr chez ces jeunes, mais ils sont généralement très volontaires, ne posent pas vraiment de problème de comportement. Si on leur donne une chance, ils vont travailler et vivre ici, payer des impôts, rajeunir la pyramide des âges... Je suis quant à moi convaincu que c'est un atout et une chance pour l'Ariège. »
- Dernier volet : le difficile accès à l'autonomie et l'avenir des mineurs isolés étrangers, et plus globalement des enfants passés par l'ASE.
La boîte noire : Tous les prénoms des enfants ont été modifiés.
Mathilde Goanec est journaliste indépendante. Elle avait réalisé en 2011 pour Mediapart la série de quatre articles sur le Spitzberg, l'île de toutes les semences du monde. A retrouver ici.
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