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samedi 31 mars 2012


Santé : enquête sur les mandarins cumulards

LE MONDE | 
Le professeur Philippe Juvin a-t-il cumulé une fonction de trop ? Depuis sa nomination à la tête des urgences de l'hôpital Georges-Pompidou, à Paris, la polémique n'en finit plus autour de celui qui est déjà député européen, maire de La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine) et qui ne compte pas ses efforts dans la campagne présidentielle pour représenter l'UMP.
Le Syndicat des praticiens des hôpitaux publics devait déposer, mercredi 28 mars, une demande de suspension en référé de cette nomination. "La lourdeur d'un service aussi important (...) et la nécessité de garantir la continuité du service public, dans une situation difficile, sont totalement irréconciliables avec l'ensemble des missions et fonctions du professeur Juvin", dénonce le syndicat.
Privilège pour les uns, scandale pour d'autres, cette affaire a mis au grand jour une curieuse pratique : le cumul du mandat de parlementaire et du titrede professeur d'université-praticien hospitalier (PU-PH). Outre ce parlementaire, quatre députés - Bernard Debré (UMP, Paris), Jean-Louis Touraine (PS, Rhône), Jacques Domergue (UMP, Hérault) et Olivier Jardé (Nouveau Centre, Somme) - cumulent ces deux fonctions, et les rémunérations qui vont avec. Un autre député-médecin, Arnaud Robinet(UMP, Marne), est lui maître de conférences.
CHACUN SA MÉTHODE
Ces stakhanovistes jurent s'en sortir avec leur emploi du temps. Chacun a sa méthode : peu de sommeil, des journées à rallonge, un bon adjoint, moins de passages dans le service, un temps partiel à l'hôpital. Tous, surtout, assurent que cette pratique est légale. Pourtant, aucun n'a jamais saisi le Conseil constitutionnel pour s'en assurer. Car si le code électoral prévoit une exception pour les professeurs d'université à l'interdiction decumuler un mandat parlementaire et un poste de la fonction publique, le cas des PU-PH n'est pas explicitement abordé. "Jamais nous n'avons été saisis de la question", assure-t-on au Conseil constitutionnel. L'exception au non-cumul pour les professeurs d'université est historiquement motivée par le fait qu'ils ne sont pas soumis au pouvoir exécutif comme les autres fonctionnaires. Jusque-là, le Conseil constitutionnel a pourtant eu une vision plutôt restrictive de l'exception réservée aux professeurs d'université.
En 2008, il a ainsi interdit à plusieurs parlementaires de donner des cours comme professeurs associés dans des universités. Le cas d'Arnaud Robinet, qui n'est pas professeur d'université mais maître de conférences, paraît encore plus étonnant. "Lors de mon élection, j'ai demandé au rectorat et au ministère. On m'a assuré qu'il n'y avait aucun problème pour cumuler", affirme ce toxicologue.
Tout le monde ne voit pas les choses ainsi. "Je suis simplement praticien hospitalier. Le lendemain de mon élection, mon directeur m'a convoqué pour m'annoncer ma mise en détachement. Je ne vois pas trop comment on peut cumuler les deux fonctions", témoigne Jean-Luc Préel, députéNouveau Centre de Vendée. "Une fonction médicale à haute responsabilité et un mandat à haute responsabilité, qui oblige à être absent plusieurs jours par semaine, ne sont pas compatibles", juge Michèle Delaunay, députée PS de Gironde. Responsable d'une unité de cancérologie au CHU de Bordeaux, elle a quitté son poste après son élection.
Parmi les intéressés, certains sont un peu gênés. "J'admets qu'il s'agit d'un privilège", confie M. Domergue. "Je ne suis pas un défenseur farouche du cumul", dit M. Touraine. D'autres n'ont pas ces états d'âme : "Il suffit deregarder la productivité de mon service", défend M. Debré. "J'ai une mission, réduire le temps d'attente aux urgences, je demande à être jugé sur des indicateurs", assène M. Juvin, qui estime qu'il a fait ses preuves comme chef des urgences de l'hôpital Beaujon, à Clichy, alors qu'il était déjà député européen.
DOUBLES SALAIRES
Il faut dire que les PU-PH profitent aussi d'un statut qui n'impose aucun décompte des heures de présence à l'hôpital ou à l'université. A chacun de gérer. Tous ont d'ailleurs une bonne raison de cumuler les fonctions. "Il est très difficile pour un chirurgien de reprendre une activité après cinq ou dix ans sans opérer", avance Jacques Domergue, chirurgien au CHU de Montpellier et directeur du centre anticancer du département. "On reproche beaucoup aux élus de ne pas connaître assez les difficultés de la vie de tous les jours. Là, je reste en contact", avance M. Touraine, adjoint au maire de Lyon et chef de service à l'hôpital Edouard-Herriot.
Pour M. Robinet, "il fallait bien quelqu'un pour continuer de donner des cours"."Mon activité me permet de garder ma liberté de parole, un député doit avoir un métier, sinon il est prêt à n'importe quoi pour rester élu",défend même M. Debré, élu député pour la première fois en 1986 et qui n'a jamais cessé d'exercer à l'AP-HP.
Ce flou leur permet de percevoir de grasses rémunérations, composées de leur indemnité de parlementaire, de leur salaire de PU et de leurs émoluments de PH. Certains, cependant, se sont mis en temps partiel et ne perçoivent qu'une partie de leur rémunération hospitalière, mais continuent de recevoir la totalité de leur salaire de professeur d'université. Deux d'entre eux ont choisi de conserver la totalité de leurs revenus, MM. Debré et Juvin. Ce dernier explique cependant qu'il lui arrive de poser un jour de congés quand il est très pris par son mandat, voire de demander une courte disponibilité. Et précise qu'il n'a pas d'activité privée à l'hôpital, pas plus qu'il ne touche de rémunération complémentaire de laboratoires pharmaceutiques ou pour des expertises. Ce qui peut rapporter beaucoup à certains.
Les rémunérations de ces madarins-parlementaires vont de 10 000 à 16 000 euros. Des doubles salaires qui flirtent avec ceux des ministres. Leur situation, si elle peut apparaître choquante, n'a pourtant rien de nouveau."Bien sûr, la question du cumul d'activités se pose, mais Philippe Juvin n'est pas le premier, et ne sera vraisemblablement pas le dernier", fait remarquerLoïc Capron, président de la commission médicale d'établissement de l'AP-HP.
De 10 000 à 16 000 euros par mois
Sur les six parlementaires qui cumulent leur fonction avec celle de professeur d'université-praticien hospitalier (PU-PH), cinq ont accepté de détailler leur rémunération. Olivier Jardé (NC, Somme) n'a pas répondu à nos questions.
Bernard Debré cumule 8 000 euros net par mois pour son activité à l'hôpital avec ses indemnités de parlementaire UMP et de conseiller de Paris, plafonnées à 9 857,49 euros brut. Il a aussi une activité privée à l'hôpital.
Jacques Domergue En plus de ses 5 189,27 euros net d'indemnités parlementaires (UMP, Hérault), il reçoit 20 % de son indemnité de PH, qu'il exerce à temps partiel, et la totalité de son salaire de PU, soit 5 700 euros net.
Philippe Juvin En plus de son indemnité de député européen de 6 200 euros net, il touche plus de 6 000 euros comme PU-PH. S'y ajoute sa rémunération de maire UMP de La Garenne-Colombes , soit 1 500 euros.
Arnaud Robinet Son activité de médecin lui rapporte 2 600 euros net, qu'il cumule avec son indemnité de parlementaire (UMP, Marne) et 2 500 euros brut perçus en tant que conseiller général.
Jean-Louis Touraine Il continue d'exercer à deux tiers de temps, pour 7 850 euros par mois. Auxquels s'ajoutent ses rémunérations de député (PS, Rhône) et d'adjoint au maire de Lyon, plafonnées à 9 857,49 euros brut.
Une réforme des retraites très avantageuse
Fin 2011, les professeurs d'université-praticiens hospitaliers (PU-PH) ont obtenu une réforme avantageuse de leur retraite, révèle Le Livre noir des médecins stars, écrit par la journaliste Odile Plichon (Stock) et paru mercredi 28 mars. Le livre épingle les privilèges liés à un statut qui regroupe de 6 000 à 7 000 médecins. Jusqu'en 2007, les PU-PH ne cotisaient pour la retraite que sur une partie de leurs revenus. Depuis, deux accords sont intervenus pour compter l'ensemble des revenus, avec un abondement de l'hôpital qui les emploie. Résultat : leurs retraites connaîtront "jusqu'à 30 % de revalorisation", assure Odile Plichon. "Un ajustement budgétaire", se défend le Syndicat national des médecins hospitalo-universitaires. Au ministère de la santé, on assure que cette mesure vise à "donner un signal clair à la communauté hospitalière en maintenant le caractère attractif des carrières à l'hôpital"

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