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samedi 31 mars 2012


"Rien à me mettre ! Le vêtement, plaisir et supplice", d'Elise Ricadat et Lydia Taïeb

LE MONDE | 
Couverture de l'ouvrage d'Elise Ricadat et Lydia Taïeb, "Rien à me mettre ! Le vêtement, plaisir et supplice".
Pourquoi s'habille-t-on ? Pour se montrer ou se dissimuler ? Et pour qui ? Pour soi-même ou pour les autres ? Loin d'être futiles, ces questions sont au coeur d'un essai coécrit par deux psychanalystes, Elise Ricadat et Lydia Taïeb, humoristiquement titré, selon une formule maintes fois entendue,Rien à me mettre !
Nourri de témoignages de patientes reçues en consultation pour leur rapport maladif aux "fringues" - un mal beaucoup plus répandu parmi les femmes que chez les hommes, d'ailleurs quasi absents de l'ouvrage -, Rien à me mettre ! explore, au-delà de ces cas pathologiques, la relation intime que nous entretenons avec nos vêtements. Il montre comment une question a priori légère touche en réalité à l'image de soi, à la construction identitaire, à la transmission de la notion de féminité.
"Métaphore du désir lui-même et en épousant la course, la quête du vêtement n'a rien de superficiel, écrit le psychanalyste Philippe Grimbert, qui signe la préface de cet essai. Modifiant sans cesse contours et apparence, elle témoigne de la nécessité, toujours renouvelée, d'habiter à la fois son corps et son époque." En effet, il s'en cache des choses derrière le simple choix d'un morceau d'étoffe, geste quotidien qui, selon les auteurs, "trahit notre inconscient".
Tout remonterait à l'enfance, et même avant ! Grâce à l'échographie, les parents connaissent souvent avant sa naissance le sexe de l'enfant à veniret achètent - les mères surtout - des vêtements en projetant sur ce petit être une image idéalisée. Le vêtir ainsi par anticipation, c'est "l'inscrire déjà dans une histoire de personne sexuée, l'imaginer dans une personnalité future", affirment les psychanalystes. Il est permis d'en douter. Pour peu que le bébé soit une fille, un "jeu de miroirs" va alors s'opérer entre elle et sa mère. Jeu que la fillette va prolonger avec ses poupées, habillées et déshabillées "selon sa vision de la féminité". Cette activité ludique a priori anodine constitue "le terreau de la construction identitaire", affirment les auteurs.
A l'adolescence, le vêtement va permettre soit d'assumer un corps devenu visiblement sexué, soit de le noyer dans de l'informe, l'habit servant alors d'"enveloppe forteresse". Durant cette période, la tenue devient un vêtement de clan, signant l'appartenance à une tribu. Ce moment est l'occasion pour la jeune fille de remettre en question les schémas maternels et de conquérir sa féminité. "Le remaniement des images parentales est essentiel pour se définir en tant qu'être sexué, et le vêtement constitue à ce moment-là un repère précieux pour s'identifier à un groupe d'appartenance qui va soutenir ce moment de définition."
Si, à l'adolescence, l'importance donnée au look est tout à fait normale, c'est à cet âge, soulignent les auteurs, que certaines jeunes filles peuventverser dans le pathologique. C'est en écoutant les récits de patientes souffrant d'une recherche vestimentaire jamais assouvie qu'Elise Ricadat et Lydia Taïeb ont fait le lien entre cette insatiable quête et la qualité de la relation mère-fille. Derrière un besoin irrépressible de remplir ses placards se décèle en effet assez vite un malaise relevant du vide identitaire. L'addiction au shopping servant alors de leurre pour échapper à une sensation de transparence de l'être. Et le vêtement venant, telle "une béquille", servir d'appui éphémère à une image de soi défaillante.

RIEN À ME METTRE ! LE VÊTEMENT, PLAISIR ET SUPPLICE d'Elise Ricadat et Lydia Taïeb. Albin Michel, 220 p., 16 €.

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