L'école française a-t-elle tué le plaisir d'apprendre ?
05.10.11
"Plaisir et ennui à l'école"… En consacrant à ce sujet leur numéro de rentrée, les animateurs de la Revue internationale d'éducation de Sèvres, lue dans vingt-cinq pays, ne s'attendaient pas à susciter un tel intérêt. "Les contributions ont afflué de partout, des Etats-Unis, de Norvège, du Sénégal, d'Inde, du Brésil… mêlant les regards de professeurs, de chercheurs, d'historiens, d'écrivains", se réjouit Alain Bouvier, rédacteur en chef de cette publication, et membre du Haut Conseil de l'éducation.
C'est que le thème réveille, chez chacun, ses propres souvenirs d'écolier –"souriants ou amers, uniformes ou divers, toujours vifs après les années", écrit la philosophe Laurence Cornu-Bernot en préface du dossier. C'est qu'il révèle, aussi, une quête de sens de l'école, un peu partout dans le monde.
PLAISIR ET JEU S'EFFACENT AU COLLÈGE
En France, le resserrement autour de la notion d'autorité s'est accéléré après Mai 68. La tonalité générale des programmes et instructions est plutôt fondée sur la rigueur, le travail, l'attention. Le plaisir et le jeu, reconnus dans les textes en maternelle, s'amenuisent à l'école élémentaire, pour s'effacer pratiquement au collège, "lieu où le lien enseignant-élève se dissout", regrette François Dubet.
"Les collégiens s'ennuient de plus en plus", confirme Pierre Frackowiak, inspecteur honoraire de l'éducation nationale. "Ils ne comprennent pas le sens des apprentissages, ne parviennent pas à mettre en relation les savoirs scolaires avec ceux qu'ils acquièrent ailleurs, autrement, ils viennent consommer du cours… Toutes les conditions sont réunies pour détruire le plaisir d'apprendre", déplore-t-il.
L'enseignant français "n'est pas formé pour transmettre du plaisir", estime le sociologue Pierre Merle. Pour lui, "si un professeur est prêt à se mettre en quatre pour intéresser ses élèves, il lui est difficile de rivaliser avec le plaisir immédiat que confèrent aujourd'hui la télévision ou Internet. La culture du zapping ne profite pas à l'école." L'idée que l'apprentissage n'est pas une partie de plaisir demeure très répandue – "peut-être une sorte d'héritage judéo-chrétien", suggère M. Merle. La rhétorique de l'effort s'impose encore dans toutes les bouches : on"travaille" à l'école, on fait ses "devoirs"… Les petits Anglais, eux, confient volontiers aller à l'école "pour s'amuser".
PERTE DE CONFIANCE
Le bien-être à l'école est-il réservé à une poignée de privilégiés fréquentant les écoles "nouvelles", "ouvertes", Montessori, Steiner… essentiellement privées ? Sur les bancs de l'école publique, trop souvent, le malaise l'emporte, le stress, la peur d'échouer. En 2010, 73,3 % des 760 enfants interrogés par l'Association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV) affirmaient "aimer peu, voire pas du tout aller à l'école ou au collège". Ils étaient 23,7 % à dire s'y ennuyer souvent, voire tout le temps ; 52,8 % reconnaissaient y avoir subi des violences et seulement 9,6 % confessaient s'y sentir à l'aise. En 2011, 42 % des 600 familles interrogés se sont dites inquiètes de la réussite scolaire de leurs enfants.
La perte de confiance en soi et en l'institution, alimentée par la course aux diplômes, l'usage de la notation et du redoublement, le recours de plus en plus immodéré à l'évaluation, semblent être une spécificité nationale. Aux tests PISA, qui comparent les résultats des élèves de 15 ans dans les pays de l'OCDE, la France ne brille guère. "Les élèves sont inquiets en cours, mais aussi lors des devoirs à la maison", souligne Eric Charbonnier, analyste de l'OCDE. "Les résultats de PISA 2009 ont montré que ceux qui prennent du plaisir à lire, et qui sont motivés, sont aussi ceux qui s'en sortent mieux aux épreuves de compréhension de l'écrit, explique-t-il. Dommage que la peur d'échouer fasseperdre une partie du bénéfice engendré !"
Si l'on s'accorde à reconnaître les vertus du plaisir à l'école, peut-on espérer un changement, officiel, de cap ? Les premières propositions faites par les candidats engagés dans la campagne présidentielle laissent sceptique. "La réforme de l'école est abordée de manière quantitative, pas qualitative", regrette Pierre Frackowiak. "Pas sûr que rajouter des postes d'enseignants suffise àdonner du sens à l'école."
Ce pourrait être, néanmoins, une première étape.
Mattea Battaglia
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