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dimanche 9 octobre 2011


Le choix de la solidarité, seul remède à notre politique de santé

Par FRÉDÉRIC PIERRU Sociologue chercheur au CNRS-Irisso et à Paris-Dauphine
Depuis au moins deux ans, gouvernement et «experts» nous fredonnentad nauseam une petite rengaine, selon laquelle l’endettement public et la purge qu’il impliquerait ne seraient que la juste punition du fait que «pendant des années, nous avons vécu au-dessus de nos moyens». Dans le domaine de la santé cela donne : «Nous, Français, dépensons sans compter, creusant de façon irresponsable le trou de la Sécurité sociale et la dette aux dépens des générations futures.» Ajoutez à cela l’exploitation politicienne du ressentiment contre les «assistés», tels les bénéficiaires de la CMU complémentaire ou de l’Aide médicale d’Etat, et vous avez là les justifications les plus communes - pour ne pas dire vulgaires - de la politique en cours de vente à la découpe du service public de la santé.
La solidarité face à la santé, à la maladie et la mort serait ainsi devenue un luxe et devrait être retirée aux «profiteurs» de tout poil, qu’ils soient pauvres et/ou immigrés. Plus généralement, depuis le début des années 2000, les gouvernements successifs se sont employés à «vaporiser» le service public de la santé. En matière d’assurance maladie, les soins courants (hors affections de longue durée et hospitalisation) connaissent une baisse continue du taux effectif de leur prise en charge par la Sécu, lequel n’est déjà plus que de 55% - le taux de 75,5% dont le gouvernement se targue n’étant qu’une moyenne trompeuse.
Tout cela au nom de la «responsabilisation financière» des assurés sociaux, alors même que, d’une part, il n’y a aucune spécificité française d’augmentation des dépenses de santé et que, d’autre part, ce ne sont pas les patients qui prescrivent ! Les assurances maladies complémentaires et, surtout, les individus, ont dû compenser cette rétractation de la solidarité, au prix d’inégalités croissantes d’accès aux soins. Rappelons qu’il n’y a pas d’échappatoire à ce fait : tout transfert de dépenses de l’assurance maladie vers les organismes complémentaires se traduit par une hausse des inégalités d’accès aux soins, «régulation» ou pas.
Dans le domaine de l’hôpital, la décision, purement politique, d’aller à marche forcée vers le financement intégral à l’activité des services de médecine, chirurgie, obstétrique et celle, non moins idéologique, de faire converger les tarifs des secteurs public et privé ont déséquilibré les budgets hospitaliers. Déficits qui ont justifié les suppressions massives d’emplois. Cette orientation libérale a été consacrée par la loi HPST qui a supprimé la conception unitaire du service public hospitalier, vendu à la découpe aux établissements de santé publics et privés. De leur côté, les principaux syndicats de médecins libérauxexigent que soit restaurée la seule liberté qu’ils avaient concédée, non sans mal, à la Sécu, à savoir la liberté de fixer leurs honoraires. Or, sans discipline tarifaire négociée avec la Sécu, il n’est point d’assurance maladie viable ni d’accès égal aux soins. Couplée à une politique clientéliste des partis de droite traumatisés par le «plan Juppé», qui avait tenté (en vain) d’instaurer une enveloppe budgétaire fermée pour ce secteur, cette intransigeance a permis aux médecins, spécialistes surtout, d’engranger de substantielles augmentations de revenus alors que le pouvoir d’achat des salariés - la grande masse des financeurs du système de santé - stagnait voire reculait. Dans le même temps, l’aménagement des libertés de la médecine libérale, pourtant indispensable à la lutte contre les déserts médicaux (liberté d’installation), au contrôle d’un secteur à honoraires libres (libre entente entre patient et praticien), à la maîtrise des dépenses et à une meilleure intégration des pratiques de prévention (paiement à l’acte), a été sacrifié sur l’autel des calculs politiciens.
Enfin, en matière de prévention, l’on a préféré stigmatiser les «cultures» et habitudes individuelles plutôt que de mener des actions volontaristes sur les milieux de vie, de travail, de logement, ce qui supposait, il est vrai, de s’attaquer à des intérêts économiques puissants. Et que dire des très fragiles transparences et impartialité de l’Etat face aux lobbies, comme l’a tristement montré la récente affaire du Mediator ?
Contre ce délitement, progressif mais bien réel, du service public de la santé, mes collègues et moi-même avons décidé de rappeler, dans un manifeste signé par 123 personnalités, un constat incontournable : en matière de santé, le choix de la solidarité se justifie non seulement du point de vue social mais aussi des points de vue économique et sanitaire. Nous proposons de restaurer les quatre piliers du service public de la santé. Tout d’abord, il s’agira de revenir à l’ambition de 1945, celle d’un remboursement à hauteur de 80% des soins courants, tout en conservant la prise en charge à 100% des plus malades et des plus démunis et en supprimant les franchises médicales. Tout déficit constaté mais non compensé déclencherait une augmentation des ressources de l’assurance maladie ; par l’augmentation d’un taux de CSG rendu progressif et à l’assiette élargie. Avec une telle règle d’or, toute ristourne aux assurances complémentaires, pire aux malades ou, pire encore, au service de la dette du coût des soins que la collectivité a évalués comme médicalement utiles serait de facto bannie. Ensuite, il faudra rétablir le service public hospitalier dans son unité, ses missions, ses moyens et en exclure les cliniques commerciales. De même, il faudra convaincre les médecins de ville d’accepter (enfin !) d’aménager les libertés conquises en 1927 pour devenir les composantes clés d’un nouveau service public de médecine de proximité.
Enfin, il conviendra d’engager une politique volontariste de prévention dont le budget augmenterait progressivement à hauteur de 7% des dépenses de santé, et décidée à agir aussi bien sur les déterminants individuels que collectifs afin de réduire les inadmissibles inégalités de santé dans lesquelles la France bat des records en Europe. A l’heure des «best practices» dont se gargarisent les élites technocratiques et politiques, il est temps de repositionner le débat public sur la seule base rationnelle qui soit : la solidarité - entre malades et bien portants mais aussi entre riches et pauvres - est une politique d’avenir ; et il ne peut y avoir d’avenir sans une politique de solidarité.
Dernier ouvrage paru : «Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire», Odile Jacob.

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