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samedi 5 mars 2011

L’ergothérapeute, faiseur de bien-être

Ergo quoi ? Ergothérapeutes. Karine et Michel sont er-go-thé-ra-peu-tes. C’est à dire, « des professionnels de santé qui fondent leur pratique sur le lien entre l’activité humaine et la santé ». Définition officielle, carrée. Concrètement, des aménageurs d’intérieur pour personnes âgées ou handicapées, des concepteurs d’environnements sécurisés pour des populations fragiles, des éducateurs et rééducateurs thérapeutiques. Métaphoriquement, des faiseurs de bien-être à chaque étape de la vie dans la gestion du quotidien.

Mise en situation. Ce matin, Karine et Michel ont rendez-vous chez un monsieur âgé, locataire d’un logement social et dont la salle de bain n’est plus adaptée à son état de santé. Ce monsieur a donc fait appel à son bailleur pour une remise aux normes selon ses besoins. Et le spécialiste dépêché pour la mission, c’est l’ergo. Un technicien est passé avant, il a proposé un plan. Karine et Michel viennent s’assurer du réel besoin des travaux.

Évaluer, diagnostiquer, préconiser

A l’ouverture de la porte, le fils. La trentaine, il vit encore chez ses parents et fait l’intermédiaire. L’appartement est quasi vide, vétuste, mais propre. Le père enfoncé dans son canapé derrière une cloison se délecte des informations sur la TNT. L’écran géant première génération impose dans la pièce. Les images content une certaine révolution. Elle est suivie avec beaucoup d’attention.
 
Première prise de contact avec le demandeur, Karine hausse la voix. Le monsieur est dur d’oreille. « Vous voulez mettre une douche à la place de la baignoire ? ». Le fils conduit l’ergo vers la pièce incriminée. Michel tient compagnie au vieillard. La peinture verdâtre donne mal au cœur. Des tuyaux en plomb courent sur les murs. Ce qu’ils appellent baignoire est en fait un sabot ou bac à laver haut de 80 centimètres, facile. Même une personne en bonne santé pourrait glisser. Le fils affirme que son père ne s’y douche plus et qu’il l’accompagne chez sa sœur. Karine observe. Mauvaise aération, sol ultra glissant, bidouillage de robinetterie pour amener l’eau dans le sabot, prises trop proches des sources. Ce sera un peu plus que juste remplacer le bac. Après ces premières observations, l’ergo passe au questionnaire.
 
« Quand le technicien est passé vous n’étiez pas là ? », « Non j’étais au pays ». Son état de santé ? Le monsieur s’est fait opérer à quatre reprises. 96, 2006, 2007, 2008. Il marche sans canne, enfin quelques fois avec. Il ne voit pas de kiné, mais il devrait. Bénéficie-t-il d’une aide ? Sa femme s’occupe de la cuisine et du ménage. Sa voisine lui apporte les courses quand l’ascenseur est en panne. Sa voix est chaleureuse, son sourire charmeur, son bonnet d’intérieur. Le fils dans l’encadré de la porte écoute attentivement et intervient parfois. Dans son dossier rose, Karine prend des notes et annonce la couleur. Elle approuve les propositions du technicien : une douche de 80 sur 100 avec portes battantes, un siège repliable et des barres pour s’aider. L’ergo vérifie les mesures et indique qu’au mieux les travaux seront réalisés dans trois ou quatre mois, après l’établissement du devis et la validation du plan de financement par le bailleur. Ils auront même droit à une nouvelle peinture, un sol antidérapant et une sortie pour la machine à laver. Royal.

Issus de la « psychiatrie artistique »

Depuis 1973, la profession d’ergothérapeute se développe peu à peu en France. Aujourd’hui, 7000 professionnels, dont 90% de femmes, accompagnent dans leur vie quotidienne des patients nécessitant « une aide non médicamenteuse ». Michel raconte. « Nous sommes issus de la psychiatrie artistique. Dans les hôpitaux psychiatriques, on observait que lorsque les patients faisaient de la poterie pour faire travailler leurs mains, ils se sentaient beaucoup mieux. Ces observations ont été adaptées aux handicapées et personnes âgées. » Le lien entre la poterie et l’aménagement d’un habitat est difficile à saisir. Pour mieux comprendre, il suffit de revenir aux sources. La profession est née dans les pays anglo-saxons. Et en anglais, ergothérapie se dit « occupation therapy ». C’est-à-dire, l’accompagnement d’un patient dans tous les instants de sa vie. « Il existe autant d’ergothérapeutes que d’ergothérapies. Cela va des enfants, aux soins palliatifs, aux handicapés, au bâtiment, à la conception de produit ».
 
Les ergo se développent de plus en plus en France à cause du vieillissement de la population et grâce au plan Alzheimer. Mais Michel estime que l’hexagone a encore une bonne dizaine d’année de retard. « Au Canada, il y a des troisièmes cycles et des doctorats en ergothérapie. En France, il faut une année de médecine ou prépa pour intégrer une école en trois ans ». Egalement, dans les pays anglophones, les ergothérapeutes sont beaucoup plus nombreux que les kiné. Les deux professions se sont longtemps opposées. « Ca se lisse. Avec les kiné ça se passe beaucoup mieux. Nous avons compris que nous ne sommes pas en compétition, que nous n’agissons pas sur les mêmes domaines ». Et surtout, les ergo apportent un vrai volet social.

Souvent perçus comme des « guignols »

Michel s’est lancé dans l’aventure le jour où il est tombé sur « Un métier pour aider les autres » à la bibliothèque. Originaire du Sud Ouest, il est passé par la voie publique : fac de médecine et l’institut de formation en ergothérapie à Bordeaux. Ce qu’il aime ce sont les vertus de l’activité, le lien social auprès d’une population fragile. « C’est passionnant d’observer un patient et d’intégrer dans la réflexion sa famille, ses amis, son travail, ses loisirs. De le traiter finalement du lever au coucher. L’ergothérapie, c’est du concret ». Pourtant, selon Karine, les ergo sont souvent perçus comme des « guignols ». Michel ajoute : « beaucoup de personnes pensent que notre travail c’est du bon sens. Mais on fait quand même 4 ans d’études ! » Leur champ de travail est tellement vaste, que la justification des actes s’impose à chaque rencontre avec un nouveau patient. « Parfois, c’est épuisant et frustrant ».
 
Ce qui pèche également, c’est le non remboursement des consultations par la sécu. Pour Michel, « le plus dramatique est de rencontrer des gens qui n’ont pas le financement ». L’ergothérapie est une profession jeune, coûteuse, mais nécessaire. Et l’Etat, les compagnies d’assurances et autres mutuelles semblent l’avoir compris. Au delà des organismes publics, les entreprises privées qui financent des projets se multiplient. « Les gens ont compris l’intérêt de conserver les personnes âgées indépendantes et capables de vivre chez elles ». Le coût pour la société est allégé.

Une profession coûteuse mais nécessaire

Fins connaisseurs des circuits institutionnels, les ergo sont aujourd’hui perçus comme le carrefour des professions médicales et paramédicales. Il n’est pas rare de les voir se « libéraliser » et de s’associer avec des infirmières, psychologues et kiné dans un même cabinet. Sous l'impulsion du président de
l’Association nationale française d’ergothérapie et des bénévoles et professionnel du réseau « nous commençons à ne plus être considérés comme un moyen de compensation, mais comme un projet de vie ». Encore trop peu nombreux, la création d’un ordre n’est pas encore annoncée, mais c’est en réflexion. « Quand j’ai commencé mes études, personne ne connaissait ce métier. Aujourd’hui nous faisons partie des décisionnaires. On vient nous chercher. C’est valorisant. » Question institutions, les ergo sont donc en terrain conquis. Le plus dur maintenant est de convaincre les patients de l’intérêt des consultations. « Souvent les patients ont peur de nous à cause de –thérapeute. Ils nous répondent : mais non, mais je ne suis pas malade ! » Pas besoin d'être souffrant pour aspirer au bonheur.

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