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mercredi 8 septembre 2010






Les cybercondriaques
par Anne-Claire Genthialon

Des sites très auscultés

La certification «hon code» permet de crédibiliser le web médical.

Des patients qui arrivent chez leur médecin en ayant en tête un diagnostic glané sur le Net, surdocumentés sur leur pathologie comme pour un grand oral. En face, des toubibs qui s’en agacent, maudissant la Toile… Depuis cinq ans, les infos médicales du Web parasitent la relation patient-médecin. Comme si un tiers virtuel s’interposait.

« Certains internautes cherchent à s’approprier un savoir qu’ils ne maîtrisent pas, explique Alexandra Gardoy, généraliste dans l’Ain. La médecine ne s’apprend ni ne s’exerce par ordinateur. » En ligne de mire des praticiens : les forums des sites de santé généralistes type Doctissimo ou Auféminin, essentiellement consultés par des mères de famille. Ce n’est pas le contenu rédactionnel, rédigé par des journalistes scientifiques ou des médecins, qui les irritent, mais bien ces espaces communautaires où foisonnent des informations souvent non vérifiées et anxiogènes à souhait.

« Ils vont taper leurs symptômes dans un moteur de recherche qui les oriente sur un forum où on raconte n’importe quoi, raconte Anne Dudek, généraliste à Paris. Toutes les éventualités sont en vrac : un mal de tête peut être dû à un problème de lunettes jusqu’à une tumeur cérébrale. Les patients vont retenir le pire. » Un lumbago se transforme en métastases osseuses, une crampe en sclérose en plaque. Et le patient aura tendance à craindre une intervention chirurgicale, pour avoir déniché un récit détaillé de complications.

Phénomène marginal réservé à quelques internautes hypocondriaques ? Pas vraiment. Aujourd’hui, selon un sondage Ipsos réalisé pour le conseil national de l’ordre des médecins (Cnom), sept Français sur dix consultent la Toile pour obtenir des informations en matière de santé. Si le médecin reste la source principale d’information, Internet, au fil des ans, est devenu le deuxième moyen de s’informer. A égalité avec les proches, mais devant le pharmacien.

Que ce soit pour connaître une maladie et ses symptômes, se renseigner sur un traitement, glaner des conseils pour rester en bonne santé ou recueillir des témoignages d’autres patients, le Web devient un réflexe. « Internet peut être intéressant pour certaines maladies chroniques, comme le diabète. Les gens malades à vie peuvent trouver des conseils pour améliorer leur quotidien, relève Anne Dudek. Mais la consultation est un lieu de dialogue. Tout le contact humain et relationnel, le Web ne peut pas le remplacer. »

Certains choisissent d’en parler avec leur médecin, leur offrant l’occasion de corriger le tir et de rassurer. Mais ils restent une minorité : les deux tiers des internautes fans de sites médicaux n’en font pas état lors de la consultation. « On les repère quand même grâce au vocabulaire, note Robert Thebault, médecin urgentiste. Ils emploient du jargon médical. On sent que ce sont des informations brutes qu’ils tentent de ramener à leur propre cas. » Conséquence ? « Ça nous complique le diagnostic, on doit poser les questions différemment. » « Il faut argumenter, dire pourquoi ils n’ont pas de cancer. Une petite minorité n’en démordra pas et ne partira pas du cabinet sans avoir une ordonnance pour un scanner », ajoute la généraliste Alexandra Gardoy. Quid de la confiance accordée aux médecins ? Pour certains praticiens, souvent plus âgés, pas de doute : l’usage massif du Web constitue le chant du cygne de la consultation.

Pourtant, l’influence de la Toile est à relativiser. Avant Internet, il y avait la bobologie de comptoir ou la coupure de presse que certains stressés amenaient chez leurs généralistes. « Les ragots de santé ont toujours existé. Sur Internet, l’information est foisonnante mais souvent de qualité, explique pour sa part Jacques Lucas, vice-président du (Cnom). Il y a vingt ans, nous étions dans un rapport paternaliste : le médecin avait l’autorité sur le patient, car il savait. Désormais, la relation reste de confiance, mais n’est plus aveugle, puisque le patient peut croiser ses sources. » En pariant qu’un patient mieux informé, acteur de sa santé, se soignera mieux.

Face à l’essor des pratiques en ligne, plusieurs pistes de réflexion ont été lancées pour faire du Net un moyen de prolonger la consultation. Formation aux nouvelles technologies dans le cursus universitaire, développement du rôle du médecin dans la recherche d’informations santé en ligne… Pour le Cnom, puisque les médecins demeurent pour les Français la source d’informations la plus fiable, le plus important est de les inciter à s’investir davantage sur la Toile via la création d’un blog ou de leur propre site web.

« Les professionnels de santé doivent aller là où se jouent les enjeux, résume l’Ordre des médecins. Les deux tiers des Français interrogés se rendraient sur le site internet de leur médecin s’il en avait un, et 35% des personnes ne consultant pas sur Internet pourraient le faire si leur médecin disposait d’un site », assure Jacques Lucas. Des recommandations a priori plutôt bien accueillies par les médecins. Seul hic : très peu connaissent le contenu des sites de santé grand public. La raison invoquée ? Le manque de temps, tout simplement.

Paru dans Libération du 1er septembre 2010

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