Tribune & idées
Freud. Les transformations de l’Interprétation du rêve
Modifié huit fois en trente ans, cet ouvrage canonique de Freud fut le fruit d’un travail collectif qui porte la trace des conflits virulents des débuts du mouvement psychanalytique.
RÊVER AVEC FREUD. L’HISTOIRE COLLECTIVE DE L’INTERPRÉTATION DU RÊVE, de Lydia Marinelli et Andréas Mayer, traduit de l’allemand par Dominique Tassel. Éditions Flammarion-Aubier, 2009, 332 pages, 22 euros.
En 1899, paraît, dans une édition datée de 1900, l’Interprétation du rêve. Accueilli dans l’indifférence générale des milieux scientifiques, le livre sera ensuite traduit dans le monde entier, réédité et modifié huit fois entre 1899 et 1929. Pour les psychanalystes, il devient vite une sorte de manuel introductif à la technique psychanalytique de l’interprétation. À chaque parution, Freud écrit une nouvelle préface. Si leur lecture attentive signale certaines modifications ou ajouts, l’ensemble donne l’impression d’une élaboration progressive et continue. L’édition française de Meyerson, longtemps seule traduction française de cette œuvre jusqu’à ces dernières années, ne mentionne pas les modifications de chaque réédition et donne le sentiment que le corps du texte n’a pas vraiment changé depuis 1899. Dans son ouvrage monumental, la Vie et l’Œuvre de Freud, Ernest Jones présente un Freud isolé dans sa découverte et ses élaborations, dont l’autoanalyse va produire l’Interprétation du rêve. Lydia Marinelli et Andréas Mayer font voler en éclats ces idées reçues en travaillant à partir des modifications survenues dans la succession des éditions. En apportant nombre de correspondances entre Freud et ses disciples, ils dévoilent l’interactivité et le caractère collectif de l’écriture de l’ouvrage. Entre 1914 et 1929, le livre est même rédigé avec Otto Rank. Deux de ses textes y figureront de la quatrième à la septième édition avant d’être retirés par Freud dans l’édition finale. Tout comme d’autres documents, ils sont reproduits en annexe ainsi qu’une petite pépite : une parodie de l’Interprétation du rêve écrite par Alexander, frère cadet de Freud, et signée Prof. A. Freud ! C’est également d’une façon très vivante que Lydia Marinelli et Andréas Mayer démontrent le tissage extrêmement dense existant entre les changements du texte et l’histoire du mouvement analytique avec ses conflits théoriques, thérapeutiques et personnels. En même temps qu’il ajoute nombre d’apports de ses collaborateurs, face aux déviations qui menacent la psychanalyse, à chaque édition Freud précise, démontre ou clarifie. Par exemple, il n’a jamais cédé sur la séparation entre contenu manifeste et contenu latent du rêve, toujours réaffirmé le fait que le rêve est réalisation d’un désir ou encore qu’il n’annonce pas l’avenir mais renvoie au passé. On l’aura compris, Rêver avec Freud n’est pas un livre révisionniste voulant travestir l’œuvre de Freud ou son rôle, mais un livre passionnant qui nous plonge dans le bouillonnement de l’époque héroïque des débuts de la psychanalyse, en nous invitant à découvrir un Freud bien moins solitaire que nous ne l’imaginions.
Jean-Pierre Trocmé, psychanalyste
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