Société 20/02/2010
L’outrage fait à la laïcité
Un universitaire dénonce la multiplication en France des offensives juridiques de religieux contre la liberté d’expression.
CATHERINE COROLLER
Le blasphème en procès 1984-2009 ; l’Eglise et la Mosquée contre les libertés de Jean Boulègue
Nova 211 pages, 18 euros.
«On ne peut plus dire que la France est le pays le plus laïc d’Europe.» Diable ! Ancrée dans sa posture de parangon de la liberté du peuple face aux religions, la France sous-estime-t-elle l’entrisme des prosélytes en tout genre ? C’est ce que Jean Boulègue, ancien professeur à l’université Paris-I, spécialiste d’histoire africaine, s’applique à démontrer. Selon lui, les religions n’ont pas renoncé à exercer une emprise sur la société. En témoigne l’opposition de la hiérarchie catholique à «l’IVG, l’homoparentalité, le mariage homosexuel, l’euthanasie, le suicide assisté». En témoignent également les menaces qu’elles font peser sur la liberté d’expression. «De 1984 à 2009, pas moins de vingt procès ont été intentés, devant les tribunaux de la France laïque, pour injure ou diffamation envers une religion, rappelle-t-il. Dans dix-huit cas il s’agissait du catholicisme, dans les deux autres de l’islam.»
L’offensive catholique contre la liberté d’expression est venue des intégristes. En 1984, ils portent plainte contre l’affiche du film Ave Maria, de Jacques Richard, qui montre une jeune fille presque nue attachée sur une croix. Soucieux de ne pas laisser les fidèles de Mgr Lefebvre parler seuls au nom des catholiques, l’épiscopat se lance dans la bataille. Entre autres cibles, les évêques attaquent, en 2005, les couturiers Marithé et François Girbaud pour une affiche détournant le tableau la Cène de Léonard de Vinci. Mais sur quel fondement juridique ? Le délit de blasphème ayant été aboli par la Révolution française, les religieux utilisent une modification de la loi sur la presse de 1881, introduite en 1972 par le ministre de la Justice, René Pleven. Elle punit les délits commis envers «une personne ou un groupe de personnes» en raison notamment de leur appartenance «à une religion déterminée».
Devant les tribunaux, catholiques et musulmans vont donc plaider que le film de Jean-Luc Godard Je vous salue, Marie (1) et les caricatures de Mahomet, publiées en 2006 par Charlie Hebdo, sont une offense envers les fidèles. Car les musulmans, à leur tour, se font procéduriers. En 2001, ils intentent un premier procès contre l’écrivain Michel Houellebecq, coupable d’avoir écrit que l’islam est la religion «la plus con». Le tribunal, jugeant que cette appréciation concerne «uniquement une religion» et pas «le groupe de personnes composé des adeptes de la religion considérée» les déboute.
Pour autant, les censeurs ne désarment pas. Et, se scandalise Boulègue, avec le soutien d’associations de défense des droits de l’homme. En 2004, Mouloud Aounit, président du Mrap, interroge : «Peut-on insulter les religions, et conséquemment les croyants, y compris musulmans ? Notre réponse est "non".» Quelques mois plus tard, Aounit se fait plus explicite en demandant que «la liberté de blasphémer» soit «condamnée avec la plus grande fermeté» «Rien ne garantit que l’offensive confessionnelle ne va pas resurgir», prévient Boulègue. Lors de la conférence de l’ONU sur le racisme d’avril 2009, l’Organisation de la conférence islamique (OCI) avait souhaité que soit votée une condamnation de la «diffamation des religions». Les pays européens s’y sont opposés. Mais le bras de fer n’est pas terminé.
(1) Sorti en 1985, et qui transpose l’histoire de la Sainte Famille dans le monde contemporain.
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