Quatrième épisode de notre série de témoignages « Deux fois plus », qui donne la parole aux femmes pour raconter le sexisme ordinaire en entreprise. Aujourd'hui, Claude Nahon, Vice-Présidente de l'IDDRI, membre de l'Académie des Technologies et ex-Directrice Développement Durable chez EDF, partage ses souvenirs de ce sexisme souvent bienveillant auquel elle a été confronté dès ses années à Polytechnique.
Le sexisme ordinaire ne s’arrête pas à la porte de l’entreprise. Au contraire. Dans un cadre corporate, il prend d’autres formes, parfois plus banales ou plus pernicieuses. Pour rendre compte de cette réalité, Usbek & Rica a choisi de donner la parole aux femmes, en se concentrant dans un premier temps sur celles qui occupent des postes à forte responsabilité.
Elles sont PDG, DRH, directrice innovation, directrice de la stratégie. Elles occupent des postes à forte responsabilité dans la communication, les affaires publiques, les assurances, les transports ou la banque. Elles ont la quarantaine, la cinquantaine, ou plus encore. Et elles ont toutes en commun d’avoir subi, en accédant à des sphères encore largement masculines, une forme de sexisme ordinaire.
Une expérience forcément perturbante, qu’elles choisissent aujourd’hui de partager en prenant la plume. Sans s’apitoyer sur leur sort. Pas dans un esprit de revanche. Plutôt pour inspirer les générations présentes et futures. Pour rappeler qu’en entreprise, quand on est une femme, il faut se battre deux fois plus - et parfois contre soi-même ! - quand on fait face à des vents contraires. Et enfin, pour contribuer, par la force et la sincérité de leurs témoignages, à engager les hommes comme les femmes sur le chemin de l’égalité.
Après Bénédicte Tilloy, directrice de la transformation chez Schoolab, Frédérique Delcroix, Directrice prospective et communication à la SNCF, et Alexia Lefeuvre, Head of Global Communication du groupe Novotel, de témoigner.
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Lorsqu'Aleth d'Assignies, la DGA d'Usbek & Rica, m’a contactée pour écrire quelques lignes sur le sexisme en entreprise, celui que j’avais connu pendant ma carrière, je me suis sentie désemparée. Je ne me souviens pas d’épisodes, d’anecdotes... sauf celles qui étaient particulièrement désagréables. Car la plupart du temps, j’ai été confrontée à ce que j'appellerais un sexisme « bienveillant », que les hommes comme les femmes pratiquent sans même s’en rendre compte.
Je suis sans doute la doyenne de celles qui vont écrire dans cette série de témoignages. En 1973, j’avais 20 ans et j’intégrais la prestigieuse École Polytechnique, l'X, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, à Paris. La seconde promotion avec des polytechniciennes. Je crois que mes premiers jours d’intégration m’ont donné à voir quelques exemples souvent caricaturaux de ce que j’allais rencontrer dans ma professionnelle. Je devais « essayer de me glisser dans un rôle dessiné pour un homme tout en conservant ma féminité ».
La présence des filles à l’X désarçonnait des militaires pourtant pleins d’attention, comme en témoignaient les rideaux à fleurs de nos caserts. Ils étaient bienveillants et protecteurs face à des jeunes filles ayant rejoint l’armée française comme élèves officiers. Cela avait été rendu possible par une décision de Michel Debré, ministre des Armées en 1972, supprimant les distinctions entre hommes et femmes dans l’armée. C’est ainsi que l’X ouvrit ses portes aux femmes en septembre 1972. Nous partîmes pour le camp militaire du Larzac. Nous allions tirer au fusil, au pistolet mitrailleur sur des cibles à silhouette humaine, lancer des grenades... Alors nous avons conservé par défi une once de maquillage et des boucles d'oreilles parce que le règlement militaire ne l'interdisait pas.
Il y a eu, pour commencer, ceux qui nous reprochaient d’avoir pris la place d’un garçon. On les dit peu nombreux : ça rassure. J’en ai tout de même croisé pas mal dans ma carrière. Je me souviens d’un directeur régional à qui j’annonçais ma grossesse et qui me répondit le plus sérieusement du monde : « Je vous pardonne puisque c’est un garçon ! ». Et de ce collègue me reprochant en hurlant dans le couloir d’avoir bénéficié d’une promotion canapé puisque des hommes plus méritants, d’après lui, avaient été écartés à mon profit.
Les treillis étaient trop grands et nous n’avions pas de rangers. Les pointures déLmarraient au 40, et je chausse du 37.
Nous étions en treillis dans le Larzac. Les premières femmes sur un camp militaire, les premières en treillis. Je ne le savais pas encore mais ma vie allait être une succession de « premières » dans telle fonction, à tel poste ou telle responsabilité. Les treillis étaient trop grands, beaucoup trop larges, et nous n’avions pas de rangers. Les pointures démarraient au 40, et je chausse du 37.